Des actes fondateurs : les listes, les nombres

L’usage de listes

C’est dans les premières listes que l’on reconnaît à la fois les premières manifestations de désignation d’objets et du concept de nombre. Cela ressemble fort à une naissance d’un couple : l’écriture et les nombres avec comme première conséquence un forme de statistiques correspondant au classement et à la présentation des données.

C’est d’ailleurs ce que fait remarquer Jack Goody (Goody J., 1993, p.167) dans un entretien ayant pour sujet « Ecritures et sociétés » :

‘« Les études menées récemment sur les débuts de l’écriture indiquent en effet qu’elle s’est développée à Sumer surtout pour des raisons de comptabilité : les marchands utilisaient ce moyen pour envoyer des messages à d’autres marchands. Il s’agissait de brèves indications (de mots isolés ou numéros) portées sur des pots ou des tablettes, de listes de mots apparemment destinées à instruire les élèves dans les écoles. Ces premières écritures ne comportent ni phrase ni paragraphe. »’

Evidemment nous savons qu’avec le temps l’écriture va remplir des fonctions fort différentes, passant de la liste de couples (description d’un objet, nombre) à des fonctions plus transcendantes citons par exemple la description du cadastre, algorithmes de calcul d’aires, contrats de commerce, etc. et surtout transcription du discours ou du langage parlé. Ainsi Goody (Goody J., 1993, p.167) poursuit :

‘«  Des écrits plus proches de la parole se développèrent bien entendu sous forme de contrats, de codes, et même de documents historiques et littéraires. Mais les types d'écritures non liées au discours jouèrent un rôle particulièrement important, favorisant le développement des mathématiques et de ses applications (comme par exemple le calcul de l'aire d'un champ). C'est dans la période babylonienne du premier millénaire qu'apparaissent des notations liées au cadastre ainsi que des listes concernant le lever du soleil et de la lune, permettant ainsi l'apparition d'une vraie astronomie prévisionnelle. »’

On voit donc qu’en quelques pas nous sommes passés de listes d’objets et de nombres, c'est-à-dire un début des statistiques descriptives à une véritable approche de statistiques prévisionnelles.

Ce double aspect de ces listes, d’une part le codage réservé à ceux qui en connaissent les clés de et d’autre part la prévision d’un futur par essence imprévisible, va installer pour longtemps respect et défiance vis-à-vis du statistique. Comment en effet ne pas être empli de respect pour celui qui sait à l’avance ce que l’on va trouver dans une jarre ou dans une tablette d’argile et ne pas craindre celui qui par la lecture des tables arrive à prévoir les phases de la lune ou l’arrivée de Sirius permettant de prévoir les crues du Nil (même si ces dernières comportent, on s’en doute, quelques imprécisions) ?

Tout au long de notre travail nous rencontrerons cette facette de la statistique comme une entrave à son évolution, mais également dans la partie didactique de ce travail comme un obstacle au développement d’une pensée statistique chez l’individu.