Un paradoxe par rapport à la pensée d’Aristote : prendre et rejeter à la fois

Mais revenons au développement d’une pensée ayant pour sujet le statistique. La méthode scientifique se nourrit au sein de la pensée d’Aristote et c’est également vrai de la statistique.

Nous avons déjà rencontré les rapports d’Aristote et de la pensée officielle chrétienne par l’intermédiaire de Thomas d’Aquin (1225-1274). Ce dernier trouve dans les écrits d’Aristote un système qu’il pense le meilleur pour développer une doctrine de l’église. Dans ce renouveau de la scolastique il est en conflit avec les partisans d’un courant traditionnel, en particulier les franciscains, qui s’appuient sur la glose d’Augustin (354-430) inspirée du système néo platonicien. Notons qu’Averroès 14 se réclame aussi d’Aristote et qu’il est sans doute un des principaux enseignants de sa pensée à l’occident.

Mais ce qui a permis le développement de la pensée et de la méthode scientifique devient un obstacle pour développer une pensée statistique, ainsi lorsqu’on lit chez Aristote (Aristote, Derniers analytiques) dans le début du chapitre VIII des « Derniers analytiques » :

« Toute conclusion démontrée est éternelle : il n'y a donc pas de démonstration pour les choses périssables, de même qu'il n'y a pour elles que science d'accident. - Les définitions sont éternelles comme les démonstrations, dont elles ne sont qu'une forme. - La démonstration peut s'appliquer à certaines choses passagères, mais dont l'essence est éternelle, par exemple certains phénomènes naturels. » 15

On retient qu’ « il n’y a pas de démonstration pour les choses périssables ».

Et dans le paragraphe 10 de ce chapitre Aristote rajoute :

Ce qui peut se traduire par :

«  § 10 . Il est impossible de savoir par démonstration les accidents qui ne sont pas essentiels dans le sens même de la définition que nous avons donnée de ce mot : c'est qu'en effet on ne peut jamais pour les accidents démontrer que la conclusion est nécessaire, puisqu'un accident est ce qui peut ne pas être, seule espèce d'accident dont je veuille ici parler . » 16

Ceux qui voulaient développer une pensée statistique étaient obligés de faire un grand écart : d’une part accepter la partie du système qui leur permettait d’avancer (la logique, etc.), mais d’autre part transgresser le système mis en place par Aristote lui-même.

Notes
14.

Averroès (1126-1198) a commenté pendant une grande partie de sa vie les écrits d’Aristote

15.

Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire

16.

ibidem