La géométrie du hasard

Dans ce texte, Pascal transmet plusieurs « travaux » différents et il introduit et décrit ainsi la « Géométrie du hasard » :

« Et puis un traité tout à fait nouveau d’une matière absolument inexplorée jusqu’ici, savoir : la répartition du hasard dans les jeux qui lui sont soumis, ce qu’on appelle en Français faire les partis des jeux »

En fait ce que l’on présente quelque fois comme une découverte est un sujet à la mode à l’époque. Il s’agit de savoir comment répartir les gains en cas d’arrêt non prévu d’un jeu.

D’une manière indépendante Fermat (1601-1665), magistrat à Toulouse qui travaille la théorie des nombres, d’optique de calcul infinitésimal de géométrie analytique et le calcul des probabilités a trouvé une solution au « problème des partis » et il pense que quelqu’un pourrait s’occuper à publier l’ensemble de ses travaux et il pense Carcavi, à Huygens et à Pascal (1623-1662) déjà connu pour ses travaux en mécanique et en mathématiques (en fait aucune des trois personnes ne fit ce travail et c’est le fils ainé de Fermat, Samuel, qui fit ce travail après la mort de son père).

Le contact entre Fermat et Pascal a lieu en 1654 par le biais d’une correspondance dont nous avons heureusement la trace.

Privilège nous est donné d’avoir d’une part deux solutions différentes développées l’une par Pascal et l’autre par Fermat, et d’autre part une partie de la correspondance (certaines lettres sont perdues) entre les deux brillants esprits. On trouve une analyse de cette correspondance sous la plume de Nicolas Trotignon (Trotignon, 2006). Pascal va publier une solution dans la « Règle des partis » (Pascal, 1954, p.115), Fermat se contentera de d’essais restés manuscrits de son vivant.

Mais revenons à cette correspondance intéressante à plus d’un titre.

En effet elle nous donne à voir un archétype, celui d’un échange entre deux façons d’envisager le calcul des probabilités. Les solutions avancées par Fermat qui utilise l’analyse combinatoire et le principe des probabilités composées semblent plus magistrales et plus fécondes que la méthode énoncée par Pascal.

Elle peut également alimenter notre réflexion sur la « validation entre pairs » 17 , bien que leurs approches soient différentes ; mais plus fondamentalement elle sonne la fin d’une croyance en un futur contingent relevant de la simple supposition, En effet sur ce dernier point Pascal et Fermat donnent au calcul la capacité de pouvoir renseigner sur le futur contingent : l’idée nouvelle est de partir de l’ensemble des dénouements envisageables et par une pensée rétroactive, donner en remontant au présent, in fine, la connaissance d’un futur « calculé ».

Mais si Fermat reste un magistrat de province pour qui les mathématiques sont un passe temps, Pascal essaie de « faire carrière » et pour cela fréquente les salons parisiens où gravitent toutes sortes d’idées et de gens. Parmi ceux-ci le chevalier de Méré qui se demande à partir de combien de « coups » on peut parier, en jouant avec deux dés, avoir un double six, et avoir une espérance supérieure à ½. Pascal donne une solution et trouve là une certaine notoriété.

Soulignons, in fine, une petite note que Pascal (Pascal, 1665, p.219) rajoute à une lettre du 29 août 1654 de Fermat à lui-même (publiée après la mort de Pascal en 1665) « il écrivait dans sa province ce que j’inventais à Paris, heure pour heure, comme nos lettres écrite et reçues en même temps en témoignent. ». Or la note (de Pascal) est complétée par un renseignement concernant un travail de Pierre Boutroux qui « a établi [..] dans l’édition des Grands Ecrivains de la France (t. III, p.334) [que] les découvertes de Fermat et de Pascal ne furent pas simultanées. Fermat avait dix-huit ans de priorité.»

Nul doute que l’insistance de Pascal ne soit, au minimum, le reflet d’un doute sur la simultanéité de leurs découvertes.

Notes
17.

idée reprise par un certain nombre de didacticiens des mathématiques tel Nicolas Balacheff écrivant : « La nécessité de prouver est liée à la situation dans laquelle on se trouve; la preuve est un acte social, elle s’adresse à un individu (éventuellement soi-même) qu’il faut convaincre. » in Encyclopaedia Universalis.