Désir de savoir : une bien mauvaise traduction

Une autre approche de l’étude des apprentissages pourrait prendre appui sur la psychanalyse et en particulier sur les écrits de Freud. Ce dernier dans « Sigmund Freud présenté par lui-même », parle du « désir de savoir » (FREUD, 1925, p.14) qu’il dit avoir eu très tôt et qui l’a conduit à des lectures précoces de la Bible en particulier. Un éclairage de cette affirmation de Freud nous est donné par Lacan qui rappelle dans son séminaire que « le désir de savoir n'a aucun rapport avec le savoir » (LACAN, 1991, p.22). Dans cette phrase il rappelons nous que Lacan parle du « désir de savoir » présent dans les textes de Freud. Certains exégètes des textes freudiens regrettent que le texte original en allemand n’ait pas été traduit en Français par « désir de rechercher », cela eut été plus proche de l’original et aurait permis d’éviter bien des contresens.

Malgré cette réserve, la théorie freudienne nous permet de mieux comprendre comment en statistique, comme en psychanalyse, il y a eu déplacement des enjeux de la connaissance du savoir sur l’objet. Il faut dans les deux cas faire une place au non savoir dans le savoir lui-même, et cela contraint le statisticien à une écriture corsetée par des règles de codage scrupuleuses dont la symbolique permet une différenciation des objets manipulés. Par exemple si l’on considère la situation du test de comparaison de deux moyennes expérimentales dans le cas de deux échantillons indépendants il faudra distinguer par l’écriture :

Certes le mathématicien apprenti ou confirmé manipule aussi des objets inconnus par exemple lorsqu’il résout des équations, mais il espère en déterminer des solutions et trouver les valeurs des variables inconnues, à la différence du statisticien qui sait au départ qu’il ne connaitra pas les valeurs de certaines variables et qu’elles resteront dans le signifié, en quelque sorte inter dites 24 , cette place dans le signifié étant en général rappelée par une marque dans le signifiant.

Et pour revenir à notre exemple du test des moyennes de deux populations à partir de deux échantillons indépendants, il existera sur ces neuf objets un choix de signifiants étendu et élaboré entre les lettres grecques, romaines, majuscules, minuscules et agrémentées d’un accent circonflexe dans le cas de variables estimées. On voit que dans cette situation sur neuf objets, quatre seulement sont connus et cinq appartiennent à ce que j’ai appelé ici le non-savoir mais font partie malgré tout du savoir lui-même, et nul ne doute, qu’ici en particulier, le jeu sur les signifiants, figure imposée sans laquelle l’apprentissage ne pourrait s’effectuer, ne rende difficile l’émergence du signifié.

Cette difficulté à faire « rentrer » le non savoir dans le savoir lui-même fait partie intégrante de la pensée statistique, en particulier quand, après avoir fait un cours de statistique descriptive, on aborde la statistique inférentielle et l’échantillonnage. Et ce n’est pas par hasard que l’on va retrouver des obstacles similaires en mécanique quantique quand elle viendra au devant de la scène, celle-ci empruntant largement à la statistique et aux probabilités.

Notes
24.

Ici il n’y a pas de faute de frappe, c’est bien inter dites.