Introduction

a. Problématique de la thèse

Cette recherche est marquée par différents courants de la recherche historique. Ces influences méritent d'être rappelées afin d’indiquer les axes de ce travail.

Dans le courant, tout d’abord, de l'étude historique des faits religieux, apparu dans les années 1960 en France et qui se démarque des tendances précédentes dans lesquelles l'étude était souvent associée à une analyse sociologique et politique ou parfois limitée à un comptage des fidèles d'une confession. La nouvelle optique définie il y a quelques décennies sera reprise ici avec ses caractéristiques, notamment l’abandon explicite de toute visée apologétique et la volonté de ne pas se limiter à une histoire ecclésiastique mais d'analyser les nombreuses interactions entre religion et société. La distinction est parfois difficile entre religieux et non-religieux dans la société d’Ancien Régime. Par conséquent il s'agit de tenter de définir ce que les gens croient, en distinguant clairement ce contenu du dogme officiel. Enfin, bien que l’analyse des événements ne constitue pas l’objectif principal de ce travail, d’autres l’ont déjà faite avec beaucoup de talent, pour autant l'importance du contexte ne sera pas oublié pour mettre en valeur des évolutions.

Une deuxième influence pèse sur ce travail : c'est celle de l'école historique allemande illustrée par les historiens K. Schilling et W. Reinhard dont les travaux, dans les années 1990, ont contribué à construire le concept de confessionnalisation. La définition qui en est donnée par H. Schilling donne certaines directions de ce travail :

‘« par confessionnalisation, on entend un processus sociétal fondamental qui remodèle en profondeur la vie publique et privée dans les sociétés européennes. Imbriqué avec la genèse de l’Etat moderne et la formation d’une société de sujets disciplinés - qui n’est plus organisée comme la société médiévale sur la base des liens personnels et dans le cadre de petites unités fragmentées, mais sur la base de liens institutionnels et à l’échelle d’un territoire cohérent - il se développe la plupart du temps de façon concomitante, mais parfois en opposition avec elles. Il y a aussi interaction avec le système de l’économie capitaliste qui se constitue parallèlement et dans le même sens » 1

Cette approche nous a paru intéressante car elle associe les évolutions religieuses, sociales et politiques, ce qui constitue, à l’échelle du Vivarais, notre objectif. Mais, l’application de ce concept à la France d’ancien régime a été remise en cause récemment par P. Benedict 2 . Ce dernier rappelle que d’autres recherches sont en contradiction avec les résultats de l’école allemande. Les Réformes, catholiques et protestantes, ont-elles contribué à renforcer le rôle de l’Etat ? Les travaux, conduits par A. Farge et O. Christin, aboutissent à d’autres résultats : la construction de l’Etat moderne serait plutôt le résultat de la séparation progressive entre vie politique et monde religieux. P. Benedict en conclut que seule « la théorie faible » paraît applicable à la situation française. C'est donc la définition étroite énoncée par G. Hanlon 3 ou par T. Wanegffelen dans son ouvrage : Ni Rome ni Genève 4 , qui sera retenue ici ; c'est-à-dire comprendre quelle conscience de soi ont les groupes religieux de cette époque, comment ils tentent de clairement distinguer leurs pratiques ce celles de l’autre confession afin de s’identifier. Or c'est bien l'un des points majeurs sur lequel s'articule cette problématique : comprendre comment et pourquoi les fidèles des deux confessions catholique et protestante prennent sur la période 1629-1680 une conscience de plus en forte de leurs différences réciproques et de leur appartenance à un groupe religieux et quelles en sont conséquences sur les modes de cohabitation. L’efficacité de ce concept est également de pouvoir suivre le cheminement des deux communautés à travers la fin du XVIIe siècle et l’ensemble du XVIIIe siècle. Les deux communautés gardent-elles la même cohésion confessionnelle face aux différences d’encadrement pastoral, face aux persécutions dont sont victimes les protestants ou encore face aux idées des Lumières dans la deuxième partie du siècle ? P. Benedict invite toutefois à la prudence. L’exemple de Montpellier, qu’il a analysé, montre que le processus n’est pas linéaire, mais qu’il connaît des accélérations et des phases de ralentissement. Cependant, les résultats obtenus à partir de l’analyse du choix du notaire par les membres des deux confessions, de l’utilisation du terme officiel de « R.P.R. » dans les actes notariés, enfin de l’importance des mariages mixtes, montrent que la confessionnalisation est bien une réalité 5 . C’est pourquoi cette approche sera retenue dans ce travail. Pour organiser la réflexion, nous avons tenté de définir les différents attributs associés à ce concept. Nous avons donc retenu : l’identité confessionnelle (étudiée à partir des prénoms, des mariages mixtes), et la conscience de cette identité, la cohésion, (au travers des solidarités confessionnelles et professionnelles ou de l’endogamie), le respect des instructions de l’encadrement (analysé à partir de l’importance de la religion populaire, des sanctions émises), l’importance du sentiment religieux, enfin, la constitution d’un environnement stable facteur de confessionnalisation (géographique et cultuel : la persistance ou le caractère éphémère de la définition des limites : celles de la paroisse, des colloques, celle des lieux de culte et la séparation géographique de chaque communauté).

Le structuralisme, dont les influences sur la recherche historique sont importantes depuis les années 1970, notamment avec M. Foucault, exerce une troisième influence sur cette recherche. C'est notamment le repérage des grandes structures sociales et mentales et de leurs points d'articulation. Ce type d'analyse permet de travailler sur une autre échelle de temps : la longue durée où seules se perçoivent les transformations en profondeur d'une société. Et c'est également un des aspects de ce travail, distinguer quel est l'apport d'une religion, le protestantisme dans une société vivaroise qui semble modérément touchée, avant le XVIe siècle, par les influences extérieures. C’est dans ce but que certains chapitres ont été organisés sur la longue durée 6 . Il s’agit de déterminer également dans les périodes longues les moments

de rupture. Or sur les deux siècles de cette étude, à partir du milieu du XVIIIesiècle, s'ouvre une période nouvelle dans les relations interconfessionnelles avec plus de tolérance, terme pris dans sa définition contemporaine. Le structuralisme a attiré également l’attention de la recherche sur l’ethnologie. Les travaux des folkloristes du XIXe siècle   ont donc pu être réinterprétés. C’est aussi un des objectifs de ce travail : comprendre les attitudes face à la fête ou l’organisation des espaces sacrés, qui ne sont pas seulement le résultat des instructions épiscopales ou de celle des synodes réformés. Une telle démarche offre des points de comparaison possibles les deux communautés.

Enfin, ce travail est largement redevable à l’ouvrage d’E. François sur Augsbourg 7 . Le concept de « frontière confessionnelle » défini par l’auteur, à propos de cette ville, a permis d’affiner notre problématique. La recherche de cette « ligne invisible » a conduit E. François à analyser, pour les deux confessions, les comportements démographiques, les statuts sociaux, les modes de coexistence, les représentations mentales et les sensibilités collectives. La ville dispose depuis 1648 d’une parité confessionnelle dans la gestion. Mais cette coopération n’a pas favorisé les rapprochements. Au contraire, l’évolution entre 1648 et 1806 renforce la distinction entre les deux groupes. Cette très nette différence, fortement intériorisée par les membres de chaque confession, se traduit notamment par l’absence de conversions et le refus de mariages mixtes. C’est une démarche identique qui a été reprise pour tenter de distinguer les modes de coexistence confessionnelle très différents qui apparaissent dans les trois villes étudiées. En effet, l’analyse des modes de coexistence constitue l’essentiel de ce travail. L’étude des trois villes nous a permis de construire une typologie de ces relations.

De ces divers courants historiques ressortent des directions de travail, il s’agit d’examiner si le protestantisme et le catholicisme ont véritablement modifié en profondeur les comportements mettant ainsi en place une véritable confessionnalisation, ou si, au contraire,

des traditions plus anciennes se sont maintenues. Quelle part tient la religion de Calvin dans ce que croient les protestants du Vivarais ? Présentent-ils des points communs tout de même avec les catholiques ? Quelle évolution s'observe de 1629 à 1787 ? Comment sont vécus les moments de rupture en Vivarais : la montée de l'intolérance pendant la deuxième moitié du XVIIesiècle et le mouvement inverse qui s'amorce après 1750 ? Quel est l’effet de la Réforme catholique ? Pour répondre à ces questions, un groupe social a retenu davantage notre attention : les notables. Ce travail n’est pas une étude exclusive des notables de chaque communauté. Les notables sont étudiés afin d’être comparés à l’ensemble de la société. Ce choix des notables se justifie en partie par la qualité et l’abondance des sources documentaires les concernant mais également par le rôle qu’ils jouent au sein de chaque communauté. Il conviendra de s’interroger sur leur place dans la confessionnalisation. Sont-ils des facteurs d’une cohésion confessionnelle ou au contraire sont-ils responsables d’une perte de substance de leur communauté ?

Le plan qui découle de ces objectifs généraux, peut être précisé ainsi. Une première partie s’efforcera de mettre en lumière le cadre de travail et les deux perceptions différentes de l’espace vivarois. La première partie d’une thèse est souvent consacrée à l’étude du milieu naturel afin de mieux comprendre les enjeux. Ici une telle présentation paraissait très artificielle. Certes la recherche historique récente a montré le lien entre montagne et pratique religieuse. Mais les zones de relief n’apparaissent pas comme des régions uniquement réformées. Les Boutières protestantes cohabitent avec les Cévennes catholiques. Le choix a donc été fait d’une analyse comparative des espaces des deux confessions dès le début de ce travail. Le terme espace, largement utilisé, est polysémique. Il sera pris ici dans une acception plus précise. L’objectif est ici d’analyser la géographie des deux Eglises et des deux confessions ainsi que les structures qui organisent ces espaces.

Dans un deuxième temps, de 1629 à 1685, les deux communautés se caractérisent par des évolutions différentes dans les modes de croire mais sont marquées par des ressemblances dans les modes de vie. L’objectif est de partir des témoignages de l’encadrement pastoral, curés et pasteurs, sur l’état de la foi des fidèles et de tenter de comparer avec d’autres indicateurs. Ces derniers ne sont pas très nombreux. C’est la raison pour laquelle les informations démographiques, fournies par les registres paroissiaux ont été largement utilisées. Elles permettent d’obtenir une continuité, sauf pour les protestants à l’époque des persécutions, sur l’ensemble de la période. D’autre part il s’agit, également, d’apprécier l’état des relations entre les deux communautés. L’utilisation de la notion de frontière confessionnelle, définie par E. François 8 à propos d’Augsbourg, permettra de préciser l’analyse.

Une troisième partie sera consacrée à l’étude des ressemblances et des différences dans les modes de croire et les modes de vie sur une plus longue période. Quatre thèmes ont été retenus, en raison de leur fréquence dans les documents et en fonction de préoccupations actuelles de la recherche historique. L’attitude face à la mort et à la fête, les espaces sacrés et la recherche du prestige notamment chez les notables.

Dans une quatrième étape sera traité le temps des troubles et des changements (1685-1750). L’objectif n’est pas ici de refaire dans les trois villes étudiées une analyse des différentes persécutions. Le travail a déjà été fait. Mais il s’agit de mesurer l’écart entre la politique royale et son application sur le terrain. Pour cela un outil de travail, la comparaison entre les trois villes, s’est révélé très utile. D’autre part, cette période de troubles constitue souvent un révélateur pour les mentalités et les modes de croires. L’analyse de l’émigration des réformés, par exemple, permet de comparer les trois villes et leur attachement confessionnel. Ainsi un élément supplémentaire sera apporté à la construction d’une typologie sur les modes de coexistence dans ces trois villes.

Enfin, la dernière partie s’efforce de comprendre pourquoi, après 1750, les coupures sociales l’emportent sur les divisions confessionnelles. A partir de plusieurs exemples, un essai d’analyse sociale montrant le poids de plus en plus important des hiérarchies construites sur la richesse sera développé. Dans un deuxième temps la question de la déconfessionnalisation se pose. Les témoins, le clergé notamment, insistent sur la perte de l’attachement à la religion. Une telle affirmation est-elle fondée ? Peut-elle s’appliquer aux deux confessions ?

La logique de ce développement est de faire alterner des analyses en lien étroit avec la chronologie avec l’étude de mouvements de plus longue durée (1ère et 3ème parties). Cette dernière démarche paraît indispensable pour mieux comprendre l’évolution des comportements. En revanche les développements chronologiques sont inévitables compte-tenu de l’importance des événements sur le sujet : la Révocation, la politique royale de répression, ne seront pas étudiées en tant que tels, mais dans la mesure où elles influent sur les relations, les modes de croire, de vivre.

D’autre part, la plupart des ouvrages récents de synthèse sur la Réforme ou sur les relations entre catholiques et protestants abordent peu l'exemple vivarois : l'exemple du diocèse de La Rochelle a été étudié par L. Pérouas, le Dauphiné a fait, entre autres, l'objet d'études coordonnées par P. Bolle, R. Sauzet a travaillé sur le diocèse de Nîmes, C. Desplat s'intéresse au Béarn, Y. Krumenacker a travaillé sur le Poitou, E. Labrousse a concentré ses efforts sur Mauvezin en Gascogne ; enfin plus récemment des provinces dans lesquelles les protestants sont minoritaires ont fait l’objet d’étude, 9 ainsi D. Boisson s’est intéressé aux minorités réformés du Berry et C. Borello à la situation des communautés provençales. Dans cette liste une place particulière est à accorder à V. Sottocasa auteur d’une étude sur les relations confessionnelles dans les montagnes cévenoles. Cette approche est importante à double titre. D’une part car elle effleure la région étudiée dans ce travail et donne donc des éclairages transposables au Vivarais, d’autre part parce que l’étude des mémoires de chaque confession oblige à une analyse précise des comportements et des modes de cohabitation ; elle est donc amenée à s’intéresser à la réactivation de la frontière confessionnelle pendant la période révolutionnaire. Cet ouvrage nous a apporté un éclairage complémentaire de celui proposé par E. François sur la notion de frontière confessionnelle. Les ouvrages de S. Mours sur le Vivarais restent une référence, mais ils s'intéressent à une période plus longue avec une problématique différente. L’objectif de l’auteur est d’analyser les relations conflictuelles entre les deux confessions. Les étapes des persécutions anti-protestantes sont largement abordées. Certes, de manière novatrice pour son époque, l’auteur a abordé une étude des modes de vie. Mais, tous les chapitres consacrés à l’étude de la vie quotidienne sont centrés seulement sur la communauté réformée. Cette liste de travaux n'a certes pas la prétention d'être exhaustive mais elle semble souligner cette lacune géographique.

L'étude des relations entre protestants et catholiques a surtout été abordée depuis la fin du XIXe siècle, notamment par les historiens protestants. L'angle d'approche est souvent celui des relations conflictuelles entre les deux communautés. Aussi certaines périodes apparaissent-elles privilégiées, ainsi la zone critique de 1680-1685 avec la Révocation et les persécutions qui précèdent ou suivent cet événement. De même, la phase de rébellion des Camisards, qui touche peu notre cadre d'étude, fait l'objet d'abondantes parutions. Enfin la période des « Inspirés » et du Désert est également l'objet d'analyses fréquentes. Les ouvrages historiques ne sont pas toujours dénués d'intentions apologétiques. En témoigne le titre d'un des ouvrages de S. Mours consacré à l'un des pasteurs du Vivarais : Majal-Désubas, un martyr du Vivarais.

Les auteurs catholiques mettent l'accent sur la construction de l'Eglise pendant cette période, avec les effets de la Contre-Réforme 10 , mais peu sur les comportements des membres des deux communautés. Quant aux ouvrages plus anciens, ils sont souvent plus largement influencés par les idées religieuses de leur auteur, tel G. Guitton Saint Jean-François Régis, Lalouvesc, 1937. Il y a un réel déficit d’ouvrages récents, c’est-à-dire depuis les années 30, sur cette période. Le déséquilibre entre la production d’ouvrages réformés et catholiques est-il le résultat d’une mauvaise conscience des seconds alors que le culte du martyre alimente la production des premiers ?

Les ouvrages dont le propos n'est pas uniquement religieux 11 développent souvent également les multiples épisodes des luttes religieuses même si un souci nouveau, surtout chez E. Reynier sous l’influence de l’école des Annales, apparaît dans la connaissance de la

vie quotidienne à partir des registres de notaires. Mais la volonté de synthèse est réduite. Le travail le mieux documenté, celui d'E. Reynier, donne, dans certains chapitres, plus une suite de fiches de dépouillement d'archives qu'une véritable synthèse sur le protestantisme vivarois et sur les relations entre les deux communautés. En dehors de quelques publications récentes et ponctuelles, par exemple, les cahiers de Mémoires d'Ardèche et Temps présent ou de Patrimoine Huguenot, la problématique est donc restée identique, elle repose sur une analyse des relations conflictuelles entres les deux communautés privilégiant certaines périodes. Parfois avec une volonté dans certains ouvrages protestants, bien compréhensible, après des décennies de persécutions, de réhabilitation des acteurs de cette époque. Ceci étant, cette étude est largement redevable à tous les travaux anciens et récents. 12

D'où la volonté de ce travail, en regard des ouvrages déjà réalisés, d'aborder l'étude d'un autre point de vue. De conduire tout d’abord une analyse de plus longue durée ne comprenant pas que des périodes conflictuelles, mais également des phases de coopération à l'instar de ce qu' E. Rabut décrit dans la Drôme au début du XVIIe siècle. 13 En 1629, la paix d'Alès restaure la cohabitation entre catholiques et protestants après les sanglants affrontements dont l'épisode marquant est le siège de Privas. De 1629 à 1685, une longue période s'ouvre où les deux communautés vont pouvoir à nouveau participer en commun à la gestion des villes et pratiquer librement leur culte. Mais de 1662 à 1685, les mesures vexatoires de la part du pouvoir se multiplient contre les protestants jusqu'à aboutir à la Révocation. La période de forte tension entre les deux communautés se poursuit jusqu'en 1760, interrompue toutefois par des années plus pacifiques en l’absence des troupes royales, puis peu à peu un climat de relative tolérance s'instaure jusqu'en 1787, date de publication de l'édit de tolérance. L’apaisement dans les relations interconfessionnelles que constate l’édit de 1787 permet d’observer différemment les deux communautés. L’Eglise réformée se reconstruit et peut être comparée à la communauté catholique. Poursuivre l’analyse au-delà de 1787 représentait une difficulté : celle d’évoluer dans un contexte radicalement différent. Le manque d’homogénéité dans l’arrière-plan historique rendait plus difficile la comparaison. Cette date a donc été retenue comme le point d’arrêt de l’étude. Ces repères chronologiques permettent de souligner l’alternance entre période de tension et période de cohabitation. Ces jalons permettront de découper les grandes parties de cette étude même si d’autres chapitres s’efforceront de retrouver des évolutions plus longues. La date de 1629 est prise comme point de départ car elle correspond à la fin des guerres religieuses que se livrent les deux communautés. Ce choix de date pour le début de l'étude correspond à la volonté de ne pas trop mettre l'accent sur l'analyse politique des relations conflictuelles entre les deux camps mais davantage sur une comparaison des sociétés. Pendant les périodes de tensions, les comportements se sont trouvés modifiés, exacerbés, par les excès de la guerre, il faut attendre que le tourbillon des conflits religieux retombe pour pouvoir observer la sédimentation des attitudes et des comportements des deux communautés. Enfin, il s’agit de construire une étude plus globale des communautés religieuses dans un contexte social, religieux et politique. Les interactions entre société et foi sont multiples. C’est un des objectifs de ce travail de les mettre à jour.

La problématique comparative n’est pas nouvelle mais elle est encore assez peu appliquée aux groupes de différentes confessions. Il est vrai, toutefois, que les derniers travaux sur les protestants font de plus en plus référence à la comparaison avec les catholiques (Y. Krumenacker sur les protestants lyonnais, C. Borello sur les réformés provençaux). D’autre part, certaines recherches ont déjà défriché cette voie ainsi celle d’E. François pour Augsbourg, de G. Hanlon et d’E. Labrousse dans le Sud-Ouest. C’est dans cette optique que sera mené ce travail. L’intérêt d’étudier les deux communautés est rappelé par E. François dans son travail sur Augsbourg  :

‘« les deux communautés se comprennent chacune en référence à l’autre », 14

L’accent sera mis plutôt sur les ressemblances puisque les différences ont davantage été étudiées par ailleurs et ceci afin d’éviter deux études parallèles. L’autre justification de ce travail tient à l’étonnement suscité par les contradictions à propos de la comparaison entre les deux communautés. Ainsi lorsqu’on lit certaines pages de l’Histoire de la France religieuse : 

‘« Les huguenots étaient des français du XVIIe siècle ; leurs racines locales, leurs structures familiales, leurs activités professionnelles leurs usages et une part considérable de leurs croyances ne les distinguaient en rien des catholiques de même niveau social » 15

Cette première citation est à confronter avec la suite :

‘« Il n’est pas abusif de parler d’une subculture réformée dans la France du XVIIesiècle, profondément ancrée dans la culture majoritaire… » 16

Le rapprochement des deux citations incite donc à tenter de démêler à propos du Vivarais une situation complexe : les réformés et les catholiques se distinguent-ils en raison de leur différence d’appartenance confessionnelle ? Les ressemblances paraissent-elles au contraire l’emporter ?

D’autant plus que la problématique a localement été peu abordée, surtout d’un point de vue catholique. En témoignent les évocations des érudits locaux :

‘« Vital Chomel souhaitait qu’un chercheur au courant de la spiritualité catholique pendant la première moitié du XVIIe siècle, puisse compléter, du point de vue catholique, les considérations de M. Mours, légitimement faites sous le seul angle de la lutte contre les protestants » 17 (1953)’

et Elie Reynier en 1942 :

‘« L’histoire du clergé séculier, rendue difficile par l’anéantissement de presque toutes les archives ecclésiastiques, n’est pas entamée… » 18
Notes
1.

H. Schilling, « Die Konfessionalisierung im Reich-Religiöser und gesellschaftlicher Wandel in Deutschland zwischen 1555 und 1620», Historische Zeitschrift 246 (1988), p. 1-45, cité par Gérald Chaix, «La confessionnalisation, note critique», B.S.H.P.F., tome 148, octobre-novembre-décembre 2002, p. 851-865.

2.

P. Benedict, « Confessionalization in France ? Critical reflections and new evidence», dans A. Spicer et R. Mentzer, Society and Culture in the huguenot world 1559-1685, Cambridge, 2002, p. 44-61.

3.

G. Hanlon, Confession and Community in Seventeen-century France : Catholic and Protestant in Aquitaine, Philadelphia, 1993.

4.

T. Wanegfellen, Ni Rome, Ni Genève, Paris, 1997.

5.

P. Benedict, « Confessionalization in France ? Critical reflections and new evidence», A. Spicer et R. Mentzer, Society and Culture in the huguenot world 1559-1685, Cambridge, 2002, p. 44-61.

6.

Il s’agit des chapitres 1 et 3 : le cadre de travail, deux perceptions différentes de l’espace vivarois et des ressemblances dans les modes de croire et dans les modes de vie (1630-1750).

7.

E. François, Protestants et catholiques en Allemagne, Identités et pluralisme, Augsbourg (1648-1806), Paris, 1993.

8.

E. François, Protestants et catholiques en Allemagne, Identités et pluralisme, Augsbourg (1648-1806), ouvrage cité.

9.

C. Borello, Les protestants de Provence sous l’édit de Nantes : essor, maintien ou déclin ? (1598-1685), Aix-Marseille, 2001 et C. Borello, Les protestants de Provence au XVII e siècle, Paris, Champion, 2004.

10.

J.Charay (sous la direction de), Petite histoire de l'Eglise diocésaine de Viviers , Aubenas, 1977.

11.

E. Reynier, Histoire de Privas, T. II, première partie : Vicissitudes religieuses et politiques, Aubenas, 1943 et deuxième partie : La vie économique et sociale, Aubenas, 1946, et A. Grimaud, Histoire de Villeneuve de Berg, Aubenas, 1947.

12.

Je remercie notamment : l’association Patrimoine Huguenot d’Ardèche , la Société des Amateurs de Généalogie de l’Ardèche (sigle SAGA dans les notes) et les archives diocésaines de Viviers, le conservateur des archives départementales de l’Ardèche (sigle ADA dans les notes).

13.

E. Rabut, Le Roi, l'Eglise et le Temple, La pensée sauvage, Paris,1987.

14.

E. François, Protestants et catholiques en Allemagne, Identités et pluralisme- Augsbourg (1648-1806), ouvrage cité.

15.

François Lebrun, (sous la direction de ) Histoire de la France religieuse, tome II,Jacques Le Goff et René Rémond (sous la direction de ), Du Christianisme flamboyant à l’aube des Lumières – XIV e – XVIII e siècles, Paris, Seuil, 1991, p. 458.

16.

François Lebrun, (sous la direction de ) Histoire de la France religieuse, tome II, ouvrage cité, p. 464.

17.

J. Roux, « La contribution de la Revue du Vivarais à l’Histoire religieuse », Revue du Vivarais, Aubenas, 1993, pp. 347-363.

18.

Elie Reynier cité par J. Roux, article cité, pp. 347-363.