Les relations confessionnelles ont été très différentes dans les trois villes étudiées dans les décennies précédant l’étude. La situation de Privas est bien connue grâce aux travaux d’E. Reynier 36 . Une longue guerre civile au début du XVIIe siècle 37 a augmenté les tensions interconfessionnelles. Les origines du conflit sont-elles seulement le résultat d’un drame sentimental ? En 1619, Charlotte-Paule de Chambaud, veuve en 1617, baronne de Privas est courtisée par deux partis : Joachim du Beauvoir du Roure de Beaumont, dit « Brison » réformé, d’une part, et Claude de Hautefort, vicomte de Cheylane, seigneur de Boulogne et fils d’un ancien ligueur d’autre part. La baronne de Privas choisit le parti catholique, et épouse Cheylane en 1620 faisant ainsi passer la ville dans le camp catholique, or la ville était depuis l’édit de 1598 une place particulière des réformés 38 . Cette capitale religieuse perdue est sans doute une des premières causes d’affrontement. E. Reynier rappelle également que la ville était un enjeu stratégique car elle permettait de contrôler la région. La possession de Privas permettait d’accéder aux Boutières et aux deux ports importants sur le Rhône : la Voulte et le Pouzin 39 .
Trois guerres, en réalité une successions de coups de main, interrompues par des
trèves vont alors opposer les deux camps. La guerre commence en 1621 puis s’arrête avec la paix de 1622. Les tensions reprennent en 1626, et la même année la paix est conclue. Privas abandonne la ville du Pouzin au roi. Enfin en 1628, le conflit se rallume mais cette fois-ci les réformés vivarois et privadois appellent Rohan à l’aide. Désormais, le sort de Privas est associé à la rébellion des sujets réformés de l’ensemble du royaume. Rohan, conscient de son infériorité numérique face à l’armée royale, et désireux de conserver un lien avec les régions de recrutement de ses troupes, décide de s’isoler dans les massifs montagneux, de la Montagne noire jusqu’aux Cévennes 40 . Les villes, qui contrôlent les vallées constituant des points d’accès aux zones de relief, deviennent immédiatement des lieux stratégiques. Privas, porte d’entrée des Boutières en fait partie. Dès lors son destin est scellé. En mai1629, l’armée royale, forte de 25 000 hommes assiège Privas. Quelques jours plus tard la ville est prise et livrée au pillage. Le siège est très rapide en raison du manque d’organisation des assiégés et de la fuite massive des habitants.Le roi interdit alors aux habitants de rester dans la ville. Mais il est difficile de vérifier l’application de cette mesure. L’année suivante la peste éclate et décime la population déjà réduite. La guerre et le siège ont laissé dans la population le souvenir des exactions, qui nourrit les tensions entre les deux communautés. Il y a donc une mémoire confessionnelle du conflit. Chaque ouvrage, selon l’appartenance confessionnelle de son auteur, se charge de noircir les actions de l’autre camp. De plus, le siège de 1629 est à l’origine d’un contentieux à propos du château de Privas qui va empoisonner les relations entre les deux confessions. Le seigneur de Privas estime que les protestants sont responsables de la destruction de son château ; il engage un procès pour exiger des réformés privadois le remboursement. Les catholiques refusent de payer car ils estiment qu’ils n’ont aucune part de responsabilité.
Dès le début des troubles, Villeneuve-de-Berg va être l’objet des assauts des troupes catholiques. En 1620 la ville est largement protestante ; elle est passée dans le camp des réformés dès le XVIe siècle. Un seigneur protestant, Chabreilles l’a transformé en une place forte face aux troubles qui s’engagent. En 1621, la ville est assiégée par les hommes du chef catholique Montréal. C’est le premier maillon à faire sauter dans les forteresses qui entourent Privas. Villeneuve-de-Berg tombe quelques jours après le début du siège, en mars 1621. Pour la ville les conséquences sont lourdes. Les troupes catholiques vont y rester trois semaines 41 . Le temple est détruit, la cloche confisquée par une paroisse voisine, les maisons brûlées ou endommagées et le pasteur chassé. Mais les destructions occasionnées par les combats, pour spectaculaires qu’elles soient ne sont pas les plus marquantes. Désormais, les réformés n’ont plus le contrôle de la ville. Le 5 janvier 1623, des notables villeneuvois errent encore dans la campagne environnante. Ils réclament aux commissaires chargés de l’application de l’édit de Montpellier que leurs biens leur soient restitués. Les commissaires permettent aux habitants de rentrer en possession de leurs maisson. Le culte réformé est autorisé, le temple doit être reconstruit 42 ; en réalité, il ne le sera jamais car les obstacles se multiplieront pour faire échouer ce projet. Les principaux officiers de justice seront désormais des catholiques, tel Pierre Tardieu nommé juge de Vivarais par le roi en remplacement de Claude Maurin, catholique, mais dont l’épouse est protestante. Enfin, les consuls sont désormais catholiques :
‘« La charge de consuls a été occupée sans droit ni forme par les catholiques apostoliques et romains » 43 ’En réalité, cette dernière décision ne sera pas appliquée immédiatement. L’on retrouvera dans les premières décennies du XVIIe siècle une mixité consulaire.
Les deux villes, Privas et Villeneuve-de-Berg, partagent donc un destin difficile lors des guerres religieuses du début XVIIe siècle. Toutefois, les résultats des troubles sont différents. Privas est ruinée mais conserve son rang de capitale protestante et la population reste à majorité réformée. En revanche, Villeneuve-de-Berg devient une place-forte catholique dès 1621, et une majorité catholique s’impose. Les conversions, favorisées par l’implantation des Capucins, confirmeront dans la première moitié du siècle cette évolution. Les populations de ces deux villes ont été marquées par la guerre, les tensions intercommunautaires s’en ressentiront pendant plusieurs années.
Annonay ne connaît pas en ce début de siècle une histoire aussi troublée. Sa position septentrionnale, qui la place à l’écart de la zone des combats, en est certainement une première explication. Le comportement des réformés et des catholiques paraît également moins belliqueux. Les deux communautés semblent conserver de bonnes relations depuis la fin des guerres religieuses du XVIe siècle. Les principales familles réformées refusent en 1621 de suivre leurs coreligionnaires du Vivarais et de s’engager dans la guerre. Ils réaffirment leur fidélité au roi dans une déclaration solennelle :
‘« Nous promettons et jurons sincèrement, devant Dieu et devant les hommes, de nous tenir fermes et inséparablement attachés au service du Roi Louis-le-Juste, XIIIe de ce nom, Roi de France et de Navarre, lequel nous reconnaissons pour notre prince naturel et légitime, qui nous a été donné de Dieu pour la conduite de cette monarchie, voulant vivre et mourir dans la naturelle sujétion et nécessaire obéissance que nous lui devons… » 44 ’Cette promesse renouvelle celle déjà faite en 1568 par le notable réformé annonéen Achille Gamon :
‘«[les annonéens] font confédération et promesse de vivre en paix les ungs avec les autres soubs l’obéissance du Roy et observation de ses édits ». 45 ’La conjugaison des deux éléments, le refus de l’engagement des réformés d’Annonay aux côtés de Rohan et la persistance de relations cordiales entre les deux communautés depuis la fin des guerres religieuses, place Annonay dans une position différente de celle des autres villes. Cette singularité se retrouvera tout au long de cette étude. Le contexte n’est pas le seul facteur explicatif mais il n’est pas à négliger.
E. Reynier, Histoire de Privas, t. II, vol. 2 Aubenas, 1943, p. 3-34.
Anonyme, Les commentaires du soldat du Vivarais, publié par J.-L. de Laboissière, Privas, 1908, p. 3-8.
T. Wanegffelen, L’Edit de Nantes, une histoire européenne de la tolérance (XVI e – XX e siècle), Paris, 1998, p. 46 : les places de sûreté sont des villes pourvues de troupes à la différence des villes particulières dans les deux cas elles sont sous l’autorité de gouverneurs réformés.
E. Reynier, Histoire de Privas, Vicissitudes religieuses et politiques, t. II, vol. 2, Aubenas, 1943, p. 3.
V. Sottocasa, Mémoires affrontées, protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc, Rennes, 2004. p. 288-290.
Grimaud A., Histoire de Villeneuve-de-Berg ancienne bastide royale, Aubenas, 1942, p. 162.
Grimaud A., Histoire de Villeneuve-de-Berg ancienne bastide royale, ouvrage cité, p. 165.
Registre des procès-verbaux dressés par de La Croix et Chabreilles comme députés par le roi pour rétablir l’Edit de Nantes en Vivarais après la guerre de 1619-1622, cité par Grimaud A., Histoire de Villeneuve-de-Berg ancienne bastide royale, Aubenas, 1942, p. 162.
Cité par Filhol A., Histoire religieuse et civile d’Annonay et du Haut-Vivarais, Annonay, 1882, p. 65-66.
O. Christin, « La coexistence confessionnelle 1563-1567 », B.S.H.P.F., octobre-novembre-décembre 1995, p. 501.