b. Des organisations différentes

1. Les découpages territoriaux

Si le cadre général pour les deux communautés reste approximativement le diocèse civil du Vivarais, il y a, dans la subdivision de cet ensemble, de notables différences. Les actes du synode réformé de Chalencon de 1672 46 où se réunissent vingt-six ministres et autant d’anciens permettent de comparer l’organisation des deux Eglises. La liste des présents donne l’occasion de préciser le découpage du Vivarais. Trois ensembles apparaissent 47  : le colloque d’Annonay, concernant tout le Haut-Vivarais d’Annonay jusqu’à la vallée de l’Eyrieux, le colloque de Vallon, comprenant les communautés du sud (Vallon, Salavas) mais avec une extension vers le nord jusqu’à Villeneuve-de-Berg et Vals, enfin le colloque de Baix comprenant la moyenne vallée du Rhône (Baix, Le Pouzin…), la région de Privas et les Boutières. Cette organisation paraît assez peu logique si l’on considère les imbrications spatiales entre les différents colloques. L’organisation découle de la présence des communautés les plus importantes (Moyenne vallée du Rhône, Privas et Boutières, et Vallon-Salavas). Quant aux imbrications, celles-ci semblent résulter des persécutions qui se développent surtout depuis 1660 et qui entraînent la fermeture de plusieurs églises : ainsi celle de Privas en 1664, accompagnée de l’expulsion des protestants de la ville. C’est un des points marquants dans cette organisation spatiale : une adaptation permanente à la contrainte est imposée par les mesures royales, ainsi les colloques se modifient de même que la définition de la province synodale, le Vivarais annexe le Velay et le Forez puis s’en sépare. La comparaison avec la liste des Eglises présentes au synode de Vernoux en 1657 permet de prendre la mesure de ces changements 48 . A cette date le Vivarais est partagé en 3 parties : au nord le colloque d’Annonay, au centre celui de Privas, enfin au sud le colloque d’Aubenas. Ce découpage, assez adapté aux contraintes du relief, est largement différent de celui de 1672. Le colloque de Privas a disparu à la suite de l’arrêt de 1664 expulsant les réformés de Privas, ce qui justifie l’extension de celui de Baix pour prendre en charge les Eglises qui en dépendaient. D’autre part, Le Cheylard est devenu siège d’un colloque, réduisant la partie sud du colloque d’Annonay. Enfin il n’y a plus de colloque à Aubenas, en raison des persécutions des d’Ornano la communauté réformée a disparu, c’est l’Eglise de Vallon qui a pris le relais.

De ce fait, les limites des différents découpages ecclésiastiques des deux confessions correspondent rarement, à l’exception de certains obstacles physiques, la vallée de l’Eyrieux par exemple. Les découpages ne tiennent donc guère compte du relief pourtant accidenté dans la partie ouest du territoire. Il n’y a pas non plus de particularité confessionnelle attachée aux zones de relief. Il y a des montagnes protestantes, les Boutières, où se concentrent les réunions des synodes et des montagnes catholiques, les Cévennes, dans le Bas-Vivarais. De même il y a des zones basses, Vallon ou Annonay qui sont partagées avec les catholiques. Les populations catholiques et réformées sont donc réparties indépendamment des obstacles naturels. Enfin, au XVIIIesiècle, dans le climat d’illégalité et de persécution, cette souplesse d’organisation de l’Eglise réformée se développe. Les synodes du désert 49 de 1721 à 1784 regroupent à nouveau des délégués venus du Velay et les lieux de réunion changent régulièrement. En 1726, c’est même un synode national qui est accueilli en Vivarais.

Cette situation très mouvante contraste avec une relative fixité du découpage de l’espace religieux catholique. Le Vivarais est partagé en trois diocèses 50 depuis la fin de l’antiquité : au nord, celui de Vienne comprend toute la région d’Annonay jusqu’à la vallée du Doux. La région entre Doux et Eyrieux relève du diocèse de Valence. Enfin toute la partie

sud est incluse dans le diocèse de Viviers. Quelques paroisses échappent même au sud à l’emprise de l’évêque de Viviers et sont rattachées au diocèse d’Uzès. Cette géographie ecclésiastique catholique ne correspond donc pas du tout au découpage civil et à la situation démographique et économique. Les villes les plus importantes du Vivarais : Annonay, Aubenas, Privas, sont tout au plus siège d’un archiprêtré, mais ne peuvent prétendre au statut de ville épiscopale. En revanche, Bourg-Saint-Andéol et Viviers, capitales religieuses, ne sont que de modestes bourgades, alors que le découpage de l’Eglise réformée est davantage ajusté sur la situation urbaine du XVIIe siècle. Les villes choisies pour les colloques sont souvent celles qui sont les plus importantes, les plus proches des foyers réformés majeurs mais également, c’est une revendication présentée au synode en 1675, celles qui sont les plus accessibles. Dans les deux communautés les villes choisies ne sont donc pas les mêmes. D’autre part, alors que les villes accueillant les symboles de l’Eglise catholique se situent dans la vallée du Rhône, les villes hébergeant les synodes réformés sont situées plus à l’ouest, à l’exception de Baix. Il y a donc deux géographies confessionnelles différentes et sans doute aussi deux perceptions différentes de l’espace. Les réformés ne disposent pas d’une capitale religieuse alors que les catholiques considèrent Bourg-Saint-Andéol puis Viviers, ou Vienne pour les annonéens, comme une ville épiscopale de temps immémorial. Les fidèles réformés doivent donc s’adapter et changer de lieux de culte et de communauté. Ainsi, les protestants privadois devront successivement pratiquer le culte à Privas, puis Tournon-lès-Privas, Chomérac et enfin Ajoux. De même, les villeneuvois n’ayant pu obtenir le droit de reconstruire leur temple, fréquenteront le culte du Pradel, puis celui de Lagorce. Les réformés annonéens sont l’exception car ils disposeront jusqu’à la Révocation d’un temple. Cette permanence du lieu de culte les amène à considérer différemment leur temple à la différence des villeneuvois ou des privadois. Cette question sera abordée lors de l’étude des espaces sacrés. La même permanence s’observe dans les limites de la paroisse catholique. Cette situation est renforcée par la stabilité des lieux de culte et la durée d’exercice des curés. Certes, quelques paroisses nouvelles sont agrégées au diocèse de Vienne ou de Viviers entre 1629 et 1787, mais l’impression dominante est celle de la fixité, les limites des paroisses ne se modifient pas. Les églises ont, à la suite des guerres religieuses, été l’objet de destructions. C’est le cas à Annonay et à Privas. Mais, une fois les reconstructions effectuées, les lieux de culte sont implantés de manière durable. C’est, sans doute, ce qui déclenche de la part du fidèle catholique un attachement beaucoup plus fort pour le lieu de culte qui devient un espace sacré. Ainsi s’explique le désir de s’y faire enterrer ou d’y être représenté en permanence pour les plus riches par la possession d’une chapelle. Au total, face à l’espace il y a bien deux conceptions des fidèles, mais la coupure ne se fait pas seulement entre réformés et catholiques mais entre les Eglises disposant d’un lieu de culte stable (Annonay pour les réformés) et ceux installés dans la précarité (Villeneuve-de-Berg et Privas pour les réformés et les catholiques).

Notes
46.

AN TT 240 pièces 168 à 171.

47.

Voir carte 1.

48.

A.N. TT 275 A, Actes du synode des Eglises réformées de Vivarais, Forez et Velay, 24 avril 1657.

49.

Copie dans ADA 21 J 164 et analyse par Maurice et Elise Boulle, «  Actes des synodes du Vivarais-Velay », (1721-1793), Revue du Vivarais, 1996, pp. 171-212.

50.

Voir carte 1, carte 3 et graphique 2.