En comparant des fiches biographiques des pasteurs et des curés des trois villes étudiées, nous avons tenté de discerner des ressemblances et des différences afin de mieux comprendre quelle a pu être l’action de cet encadrement sur les fidèles. Cette étude a été complétée par des travaux plus généraux sur le diocèse de Viviers ou sur les églises réformées du Vivarais. L’analyse prosopographique permettra de comparer les formations, les origines géographiques et sociales et les comportements du clergé. Ce dernier terme est-il exact pour les protestants ? Sur un plan dogmatique en effet, le pasteur n’est pas un intermédiaire entre le fidèle et Dieu, la Discipline de 1559, rappelle que le sacerdoce est universel. Ce principe est mis en application dans le fonctionnement de la communauté. Le rôle des fidèles, des Anciens, notables en grande partie, dans le consistoire est une réalité. Mais le pasteur détient néanmoins au sein de la communauté une autorité de par son appartenance sociale, sa formation universitaire qui lui donne un statut voisin, parfois, de celui du curé. En témoignent les articles du synode réformé de Desaignes en 1675 :
« Les ministres de l'Evangile devant servir de patrons aux fidèles qui sont commis à leur conduite et ne demandent pas moins prêche de la main que de la langue, ni moins édifiés par la sainteté de leur vie que par la pureté de leur doctrine, la compagnie les exhorte, au nom et en l'autorité du grand pasteur et évêque de nos âmes, à prendre garde à eux-mêmes et à l'imposition de leurs charges pour en remplir tous les devoirs, à s'attacher uniquement à la simplicité de la doctrine évangélique sans l'altérer par de vaines et inutiles conceptions propres véritablement à recréer l'esprit mais non pas à le nourrir, et à rassasier la conscience, travaillant sans relâche à l'instruction des ignorants, à la consolation des affligés, à l'affermissement des faibles et à la censure des pécheurs, sans avoir égard à l'apparence des personnes et sans qu'aucune des considérations du monde les empêche de satisfaire à leur vocation, salutairement effrayés du compte redoutable qu'ils auront à rendre des âmes qui se perdront par leur négligence et pour ne pas détruire d'une main ce qu'ils auront bâti d'une autre. Ils s'emploieront à faire fleurir leur vocation chrétienne au milieu de leurs familles, les formant à la piété et en bannissant le luxe et la vanité que l'on y remarque que trop souvent, de penser qu'ils ne soient condamnés par leur propre bouche et qu'ayant préché aux autres ils ne soient trouvés eux-mêmes non recevables » 70 .
Face à la question du salut, la réponse des réformés a été marquée dès 1559 par l’affirmation très nette de la croyance en la prédestination : Dieu sauve ceux qui sont élus. Des voix se sont faites entendre, au synode de Doordrecht en 1619, pour nuancer cette affirmation et rappeler que le fidèle détient une part de responsabilité dans la quête du salut. Quelle est l’influence de ces débats dans la foi des fidèles réformés vivarois ? La plupart des pasteurs ont fréquenté les académies de Die ou de Genève lors de leur formation. Celles-ci ne défendent pas les thèses arminianistes. Pourtant, la croyance en la prédestination ne paraît pas si profondément ancrée dans les esprits puisque l’éventualité que le pasteur risque de perdre des fidèles est évoquée. Le pasteur semble détenir, de ce fait, une grande responsabilité qui en fait un véritable intermédiaire entre Dieu et les hommes comme pourrait l'être un prêtre. Mais il ne s’agit pas d’une imitation de l’Eglise catholique, d’une forme de « catholicisation » des croyances réformées, mais bien de deux évolutions parallèles, traductions d’une mise en place de la confessionnalisation. Le pasteur est désormais largement responsable du salut des fidèles. Les documents manquent pour jalonner cette évolution. Ce document est peut-être très lié au contexte de persécution qui a commencé dès 1661. En 1675, L’Eglise réformée ressent-elle alors la nécessité d’une reprise en main des fidèles ? Les Anciens et les pasteurs seraient les moyens de cette reprise en main. De ce fait, le rôle du pasteur se renforce, faisant apparaître des ressemblances avec la place du curé au sein de la paroisse. Ainsi le rôle moral de ces deux acteurs, au sein de la communauté se trouve renforcé.
AN TT 243, actes du synode réformé de Desaignes, 1675.