b) l’évolution entre 1650 et 1750

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle et le début du XVIIIe, la situation évolue. Un des facteurs de l’évolution tient à la mise en place du séminaire catholique. Celui-ci a été fondé assez tôt, dès 1650, par Mgr de Suze 75 , un prélat réformateur du diocèse de Viviers. Le séminaire est confié aux sulpiciens que l’évêque a rencontrés à Paris lors d’une assemblée générale du clergé. Les diocèses voisins n’ouvrent des séminaires que dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Lyon a un séminaire seulement en 1654. 76 Mais le séminaire n’a pas été beaucoup fréquenté dans les premières années. Deux directeurs suffisent et ils ne sont pas en permanence au séminaire. L’un deux Tubières de Queylus est envoyé comme curé à Privas de 1654 à 1657, signe du rôle de frontière religieuse que tient alors Privas, une telle place nécessitant un prêtre d’exception, selon les critères de l’époque. Il faut attendre 1661 pour que le fonctionnement du séminaire devienne plus régulier et que les futurs prêtres y résident plus longtemps, c’est-à-dire trois mois. Les effectifs sont réduits : vingt-sept personnes par promotion ce qui est peu en comparaison des 800 clercs et prêtres du diocèse. Le renouvellement complet du clergé diocésain a donc dû être assez long et il faut attendre le début du XVIIIesiècle pour que la formation des prêtres et curés soit effective. Il n’y a encore, en 1698, que 10,9 % des clercs du diocèse qui disposent d’un diplôme universitaire (bachelier, maîtrise ou doctorat). L’enseignement porte surtout sur le dogme, le catéchisme du concile de Trente, et la morale. C’est en 1666 que l’enseignement est renforcé avec des conférences sur les controverses, un cours de philosophie et de théologie. le séminaire semble bien avoir été un instrument important dans la reconquête religieuse. Les lettres patentes d’octobre 1670 entérinant la création du séminaire ne laissent d’ailleurs aucun doute : il s’agissait

‘« d’avoir un clergé instruit, bien formé capable de maintenir les fidèles dans la vraie foi et d’y ramener les hérétiques. » 77

Les conséquences de la mise en place du séminaire sont sans doute plus sensibles dans les villes que dans les campagnes. En 1698, l’intendant Basville souligne encore l’insuffisance de formation du clergé diocésain :

« Il arrive très souvent qu’il y a dans les paroisses, principalement des Cévennes et du Vivarais, des curés qui ne sont pas vicieux par leurs mœurs, mais qui sont si ignorants qu’ils ne peuvent en aucune manière instruire les nouveaux convertis dont ils sont chargés. MM. les évêques font ce qu’ils peuvent pour obliger ces curés de quitter, mais il s’en trouve d’opiniâtres qui ne veulent point se faire justice, cependant la religion en souffre » 78

En 1734, Mgr de Villeneuve, évêque de Viviers, reprend la même appréciation dans une de ses ordonnances :

‘« Nous sentons fort bien que la plupart des ecclésiastiques de notre diocèse ne sont pas en état de se pourvoir de livres dans lesquels ils pourraient puiser le plus abondamment la science… » 79

Toutefois dans les trois villes étudiées l’évolution est perceptible. Au tournant du siècle, le nouveau curé de Villeneuve-de-Berg, Saboul, est docteur en théologie de même que Couderc, curé de Privas. L’évêque de Viviers conscient des insuffisances du clergé décide d’améliorer la formation et l’encadrement. Dès 1693, l’évêque exige des curés qu’ils fassent une retraite au séminaire de Viviers. 80 En 1699, les ordonnances épiscopales de l’archevêque de Vienne, imposent la possession et la lecture régulière du bréviaire 81 . Enfin, les conférences ecclésiastiques, mises en œuvre par Mgr de Villeneuve, à partir de 1734 vont dans le même sens. 82 Les prêtres doivent se réunir, autour d’un curé-modérateur, pour une séance de travail une fois par mois, pendant « la belle saison » Il est interdit de manquer plus de trois séances. Un procès-verbal doit être envoyé à l’official. Ces rencontres se sont effectivement mises en place. Nous possédons pour 1748, un état des sujets abordés. Ils insistent surtout sur les questions de morale. 83 Les essais de formation s’inscrivent donc dans la longue durée. Il est difficile, malheureusement, de savoir quelle a été l’application. L’official forain est théoriquement chargé de vérifier une fois par an l’état des paroisses mais les trois visites pastorales qui subsistent pour les deux siècles étudiés permettent difficilement d’en apprécier la réalité. Quelle importance a réellement pris cette formation et quelles ont été les conséquences sur les ecclésiastiques ? La participation du clergé aux missions, nombreuses à Annonay, peut permettre d’apprécier les résultats de l’ensemble de ces mesures. Certes la source, Chomel le béat, un dévot, doit être considérée avec prudence. A l’occasion de la mission de cinq semaines prêchée par les Messieurs de Saint Joseph de Vienne, en 1763, il rappelle l'attitude des prêtres d'Annonay :

‘« ils ont tous suivi les exercices de la mission ». 84

Dans l’ensemble de cette formation, l’accent est très souvent mis sur la liturgie, la formation du prêtre, la confession, la morale. La nature de leur formation distingue donc nettement les curés des pasteurs. Toutefois il y a des points de rencontre, dans le domaine de la morale l’insistance est forte dans les deux cas. Cela transparaît dans le discours de chacun. La condamnation de la fête, omniprésente dans les sermons des uns et des autres, en est certainement la traduction.

Ces efforts, bien qu’incomplets, de formation contrastent avec la situation de l’encadrement réformé dans les années qui suivent la Révocation. L’obligation pour les pasteurs de quitter le territoire s’est appliquée au Vivarais comme au reste du royaume. Beaucoup de pasteurs doivent quitter la province ou se convertissent, leur expérience est donc perdue pour la communauté protestante. Un seul, Reboulet, peut rester, sur place en raison de son âge. Pour combler ce vide les prédicants et les prophètes vont prendre la relève. Les prédicants qui circulent dans les campagnes du Vivarais, surtout dans les environs de Privas n’ont pas une formation identique à celle des pasteurs. Ils sont souvent issus de couches sociales beaucoup plus modestes et non de familles notables comme avant la Révocation. Leurs études sont très réduites. Même lorsque Antoine Court organise le séminaire de Lausanne, les études restent plus courtes. Les neuf pasteurs originaires du Vivarais qui partent se former au séminaire de Lausanne entre 1728 et 1750 n’y restent que 2 à 3 ans. On est loin des six ans de formation à l’académie de Die. Les proposants vivarois qui peuvent suivre un cursus complet à l’académie de Genève en complément de leur formation à Lausanne sont une infime minorité 85 . Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIesiècle, dans un climat de relative tolérance, pour qu’à nouveau, des pasteurs formés, soit à Lausanne, soit à Genève, bénéficient d’un temps plus important, supérieur à quatre ans et puissent desservir les communautés vivaroises réformées. Quels ont été les effets sur les fidèles de cette évolution du corps pastoral sous la pression des persécutions ? On assiste certainement à une déconfessionnalisation et parfois même une véritable déchristianisation ainsi qu’en témoigne le pasteur Pierre Peirot dans une lettre à Antoine Court, en 1741 :

« j’ai trouvé des religionnaires de l’âge de trente ans à qui j’ai raconté l’histoire de la vie et de la mort de notre Seigneur Jésus-Christ qui m’ont avoué ingénument que jamais ils n’avaient entendu parler de ces choses » 86

La situation est surprenante, car à la même époque les fidèles catholiques, sous l’impulsion d’un clergé mieux formé, adhèrent de plus en plus à la Réforme catholique. Passé le milieu du siècle, le retour progressif des pasteurs a dû entraîner parfois une rechristianisation mais le plus souvent une nouvelle confessionnalisation. En témoignent peut-être, les injonctions répétées des pasteurs lors des synodes du Désert contre la fête, les danses, la consommation d’alcool.

Notes
75.

R. Hilaire, Le séminaire de Viviers, son histoire (1650-1924), Habauzit, 1930, p. 1. Les lettres d’établissement du séminaire datent du synode du 18/6/1653.

76.

D’après J. Gadille (sous la direction de ), Histoire des diocèses de France, Lyon, Paris, 1983, p. 171.

77.

R. Hilaire, Le séminaire de Viviers, …ouvrage cité, p. 13-14 .

78.

Lettre de Basville au ministre dans Boislile, Correspondance des contrôleurs généraux, t. I, n° 1227, 1698, cité par E.. Reynier. Histoire de Privas, tome II, vol. 2, ouvrage cité, p 107-114.

79.

ADA, BIB 1538, Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances de Mgr de Villeneuve, 1734, p. 318.

80.

ADA 5 J 160/1, Mgr l’évêque de Viviers, Abrégé et précis des ordonnances synodales de Mgr l’évêque de Viviers, depuis 1693 renouvelées au synode de Bourg-Saint-Andéol (1711),article 56, Viviers, 1711.

81.

D’après ADA 5 J 153/2 archives paroissiales de Satillieu, Mgr l’archevêque de Vienne, Ordonnances épiscopales de May 1699 (affiche).

82.

ADA BIB 1538, Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances de Mgr de Villeneuve, 1734, p 318.

83.

Archives Diocésaines de Viviers, document non coté, Mgr de Villeneuve, Matières des conférences ecclésiastiques du diocèse de Viviers pour l’année 1748, Viviers, 1748, un feuillet recto verso.

84.

ADA 1 MI 150, Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, 1768, p. 672.

85.

C. Lasserre, Le séminaire de Lausanne (1726 – 1812), instrument de la restauration du protestantisme français, Lausanne, 1997, annexe VIII, p 293.

86.

Cité par S. Mours, ouvrage cité, p. 326.