L’analyse de l’origine géographique des prêtres et des pasteurs révèle des différences. Les sources principales catholiques restent les registres d’insinuations ecclésiastiques dont la série est continue sur les deux siècles 89 . Ces informations ont été traitées pour la période 1694-1790 90 mais les données concernant le XVIIesiècle restent inexplorées, ce qui rend délicate toute interprétation concernant l’évolution. Nous avons donc dépouillé les informations pour les trois villes concernées. Pour les pasteurs, outre les fiches biographiques que nous avons pu constituer, les ouvrages de S. Mours donnent des compléments indispensables 91 .
Arnaud montre que le recrutement des clercs du diocèse de Viviers est largement interne. Sur 2388 clercs ayant un bénéfice entre 1694 et 1790, 1840 (soit 77 %) sont originaires du diocèse et seulement 548 viennent de diocèses voisins. Pour les prêtres le rapport est identique : sur un total de 1601, 1251 (soit 78 %) 92 sont issus d’un recrutement local et 350 sont étrangers au diocèse. La situation a-t-elle évolué depuis le XVIIesiècle ? L’origine des tous les curés n’a pu être établie. Au XVIIe siècle sur les trois villes étudiées, le lieu d’origine ne nous est connu que pour 7 curés. Sur ce total, 5 sont originaires du diocèse, soit 71 %, mais le pourcentage a peu de valeur avec des effectifs aussi réduits. Au XVIIIe siècle, sur les 9 curés identifiés, 8 sont originaires du diocèse, soit 88 %. Ce comptage, bien que très imparfait confirmerait des impressions relevées dans les fiches biographiques du clergé. Celles-ci révèlent la présence de quelques prêtres étrangers au XVIIe siècle, comme les curés de Privas, futurs directeurs du séminaire de Viviers : Tubières De Queylus et Couderc. En revanche, au XVIIIe siècle, le recrutement des curés privadois se fait plus largement dans les limites du diocèse. Ainsi, deux curés de Privas viennent du sud du diocèse ou de ses marges (St Remèze et le Gard). Observe-t-on dans le diocèse de Viviers le passage d’un clergé extra-diocésain, recruté souvent par les évêques afin de faire triompher la Réforme catholique, à un clergé à recrutement plus local au XVIIIe siècle ? Un tel constat serait conforme à l’évolution générale dans le royaume. Mais les données disponibles sont réduites et rendent fragiles les conclusions.
L’étude faite par S. Mours 93 sur les textes des synodes diocésains du XVIIe siècle 94 montre que sur 28 proposants reçus, l’origine géographique est connue pour 24 d’entre eux. Sur ce total 13, soit 54 %, étaient originaires du Vivarais, 5 du Dauphiné, cinq du Languedoc et un de Bourgogne. Mais ces données reflètent plutôt la situation de la deuxième moitié du XVIIesiècle. Le début du siècle, si l’on se réfère aux biographies des pasteurs, montre un recrutement plus extérieur. Le contraste avec les curés est donc assez marqué. Au XVIIIe siècle, la situation est plus contrastée. Les prédicants formés à Lausanne sont uniquement d’origine locale jusqu’en 1768. Ils sont très en lien avec la population vivaroise dont ils partagent la même culture populaire. Après 1768 un début de diversification s’opère. Quelques pasteurs ( 4 sur 13, soit 30 %) originaires des Cévennes ou du Languedoc viennent exercer en Vivarais. D’autre part, les pasteurs formés à Genève au XVIIIe siècle sont souvent d’origine étrangère à la province. Chiron de Chateauneuf pasteur d’Annonay de 1773 à 1787 né à Chateauneuf d’Isère et formé à Genève, 95 Koenig pasteur d’Annonay également à la fin du XVIIIe siècle ou encore Benvignat, né à Thônes-en-Genevois et pasteur dans les Boutières en 1769, sont autant d’exemples de ces ministres formés en Suisse et qui auront parfois du mal à s’intégrer. On peut alors légitimement s’interroger sur les conséquences pour la pratique des fidèles. Quelques sermons d’un pasteur, Noé Binvignat, ont été conservés et analysés 96 et permettent d’avoir une idée sans doute imprécise de ce point auquel un autre chapitre sera consacré.
La comparaison entre les deux recrutements montre des évolutions parfois identiques et parfois différentes. Au XVIIe siècle, dans la deuxième moitié du siècle tout au moins, pasteurs et curés connaissent un recrutement plutôt mixte, les prêtres et pasteurs originaires du diocèse ou de la province sont majoritaires mais il y a également une part extérieure non négligeable. Cette proportion est toutefois encore plus importante dans le cas des pasteurs. la situation semble évoluer au siècle suivant. Le recrutement local se renforce que ce soit pour les curés ou pour les pasteurs. En revanche dans la seconde moitié du XVIIIe siècle une diversification apparaît dans les origines géographiques des pasteurs alors que cette évolution n’est pas visible chez les curés.
3. Origine sociale.
L’origine sociale des prêtres et pasteurs fait plutôt apparaître des ressemblances. Les mêmes sources 97 donnent des renseignements assez imprécis. Sur les 1840 actes des registres d’insinuations ecclésiastiques, seulement 350 donnent une indication de l’origine sociale. Sur ce dernier nombre environ 35 % sont des fils de notables (notaires, avocats, marchands-négociants) mais il y a seulement 6 fils de ménagers (soit 1,7 %). Les pasteurs sont issus de la petite notabilité (notaires) au XVIIe siècle. Dans les deux confessions, devenir pasteur ou curé constitue une promotion sociale, surtout en raison du prestige attaché à ces fonctions mais également du revenu : un chanoine de la collégiale d’Annonay a 300 livres de revenu par an mais un curé à la portion congrue doit se contenter de 200 livres, un pasteur en reçoit entre 300 et 400. L’exemple d’I. Meissonnier, pasteur de St Sauveur-de-Montagut, confirme que l’accession au ministère au XVIIe siècle est perçue comme une promotion sociale : il est fils de notaire et on lui impose de devenir pasteur. Il rappelle dans son livre de raison sa formation : 98
« mon père prit assez de soing pour me tenir aux escoles, pendant un an et demi. »
Puis il va à Privas pour devenir procureur en 1646. Une carrière qui débute dans la magistrature et dévie vers le ministère confirme l’idée que le pasteur est un notable. Il étudie ensuite chez le Sr Daufin à Chalencon puis à Beauvène en Dauphiné et poursuit avec la philosophie à Die en 1652 et enfin la théologie (pendant 6 ans). Il est reçu ministre en 1659. Après sa conversion au catholicisme, il perçoit une rente de 600 livres ce qui le confirme dans sa position de notable puisque ses gages ont doublé, même si son abjuration en fait un traître aux yeux de ses anciens coreligionnaires.
Au XVIIIesiècle, les deux clergés divergent. Devenir prêtre et curé constitue toujours une promotion sociale dans un Vivarais secoué par les crises démographiques, économiques et sociales. Ce sont souvent les riches paysans, les ménagers, ou les notables, notaires, avocats, qui ambitionnent pour leur fils cette fonction. D’autre part, les curés gardent un pouvoir important sur les fidèles, en ville comme à la campagne, ce qui renforce leur notabilité. La Réforme catholique en incitant à la confession et à la communion fréquentes en fait des intermédiaires obligés dans la voie vers le salut. Ils gardent également une place prépondérante au sein des confréries ou encore dans la gestion de l’hôpital à Privas et Annonay. En revanche les proposants, futurs pasteurs, sont d’origine sociale beaucoup plus modeste, au moins jusque dans les années 1760. Devenir pasteur comporte une dose de risque élevée et la rémunération est très réduite. Les fils de notables sont donc peu nombreux. Il est vrai que P. Durand est fils d’un petit notable rural, un expert foncier, mais il est constamment assailli de problèmes financiers. Un autre ministre, Coste en 1737, est réprimandé par le synode car il mélange ministère et négoce sans doute par nécessité. Le synode procède à une enquête et demande à Coste de ne plus s'occuper d'argent. Mais il n’y a pas de censure aussi lourde qu’au XVIIe siècle face à ce type de faute. Sans doute le synode a-t-il adapté ses sanctions aux nouvelles exigences de vie des pasteurs. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on trouve à nouveau quelques signes de notabilité chez les pasteurs vivarois. P. Peirot épouse une Glo de l’Horme, et Chiron de Chateauneuf a des prétentions de noblesse en ajoutant à son patronyme le nom de sa ville d’origine. D’autre part, signe plus certain de notabilité, il épouse Mlle Léorat, fille d'Alexandre Léorat et d'Anne Johannot, une famille de notables protestants.
4. Itinéraires et comportements.
L’itinéraire des pasteurs et des curés semble également différent pendant l’exercice de leurs fonctions. Les pasteurs au XVIIesiècle se déplacent davantage, alors que les curés restent plus longtemps dans la même paroisse. A l’exception du pasteur De Vinay à Annonay, dont le ministère se prolonge pendant 41 ans (1629-1670), les autres connaissent une instabilité géographique plus importante ; souvent un ou deux ans de présence avant de partir pour une autre Eglise. Un tel constat n’est pas sans rappeler l’instabilité constatée précédemment dans les limites des territoires des Eglises réformées. En revanche, les vicaires apparaissent dans la même situation d’instabilité géographique que les pasteurs 99 . Les synodes favorisent la mobilité des pasteurs avant la Révocation. A ce moment-là, chaque Eglise peut présenter ses exigences et les pasteurs peuvent changer de communauté 100 . L'organisation de l'Eglise réformée au XVIIe siècle est marquée par la souplesse dans la répartition des pasteurs : au cours de chaque synode, on établit la liste, d'une part des Eglises à pourvoir, d'autre part, des pasteurs et proposants disponibles. En fin de synode, l'on procède à la distribution. Ce n'est pas toujours une tâche facile. Il semble que, dans la plupart des cas, députés des Eglises vacantes et pasteurs disponibles se mettent d'accord au cours de conversations, dans l'intervalle des séances. De plus :
« Le ministère d'un pasteur était soit « prêté », soit « donné » à une Eglise. Le système du prêt permettait une grande souplesse dans la répartition des pasteurs et facilitait le dénouement de certaines situations délicates » 101 .
Cette fluidité contraste avec la rigidité dont témoigne le parcours difficile que doit traverser un prêtre depuis l’ordination jusqu’à la mise en possession d’une paroisse. Les registres d’insinuations ecclésiastiques et les registres de notaires permettent de reconstituer cet itinéraire. Le prêtre doit trouver un curé résiliant son bénéfice ou un poste vacant par décès et obtenir l’approbation de l’évêque et du patron avant de pouvoir enfin, solennellement, être mis en possession de sa paroisse. Cette quête est encore plus longue et délicate si le prêtre est originaire d’un autre diocèse. Dans cette lutte difficile pour l’obtention d’un bénéfice les liens de parenté jouent un rôle capital. Ainsi se constituent au sein d’un lignage de véritables dynasties de prêtres ou de prieurs. Les Argoud d’Annonay conserveront ainsi un bénéfice à la cure d’Annonay pendant trois générations. Cette différence de fonctionnement est peut-être à l’origine de la plus grande stabilité géographique des curés. D’autre part, certaines fonctions pastorales sont plus rémunératrices et plus prestigieuses que d’autres. Ainsi une communauté comme Annonay peut assurer un revenu plus élevé au pasteur. De même, la famille Serres, seigneurs du Pradel, près de Villeneuve-de-Berg, assure des gages confortables au pasteur. Ces conditions constituent sans doute un facteur supplémentaire de mobilité. Enfin, la clandestinité au XVIIIesiècle renforce cette situation. Le pasteur est itinérant. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que la communauté réformée d’Annonay dispose d’un pasteur résident. Les changements répétés de pasteur sont-ils un facteur de tension entre les fidèles et le pasteur ? L’exemple inverse se rencontre également à Privas avec un curé, Doize, très peu apprécié de la population et qui s’installe malgré tout pendant 25 ans (1708-1733). 102
Que ce soit au XVIIesiècle ou au XVIIIesiècle, on rencontre peu d’exemples de curés ou de pasteurs objets de scandale. D’ailleurs la conduite délictueuse n’est pas la même selon la confession. Pour les réformés, il s’agit de vérifier que le pasteur reste à l’écart du monde, c’est-à-dire qu’il n’a aucune autre activité que sa charge pastorale. Ainsi le ministre Dauphin est-il suspendu par le synode du Cheylard en 1674 car il a pris à ferme la perception des taxes. Sa suspension est levée l’année suivante :
« à condition qu’il ne se mêlerait plus à l’avenir, d’aucun trafic mécanique et qu’il ne prendrait plus aucune afferme directe ni indirecte, ce qui avait été le motif de sa suspension » 103 .
Quelques autres pasteurs sont censurés par les synodes mais ils sont peu nombreux. Jean Poudrel, pasteur de Baix est accusé en 1674 de « fomenter la division dans une famille de sa paroisse ». Il est suspendu et se convertit au catholicisme. Dumon de l'église de Chalancon, en 1664, est accusé de laisser son fils prêcher :
« de ce qu'il permet que son fils propose publiquement et monte en chaire, quoiqu'il soit fort jeune, et encore de ce que le sieur Dumon exerce la charge de médecin au préjudice des articles de la Discipline… »
Au total peu de manquements graves à la Discipline. Le pourcentage est limité. Il y avait en 1631 dix-huit pasteurs, ils sont une quarantaine avant la Révocation. Les trois pasteurs accusés ne représentent donc que 7 % du corps pastoral.
En ce qui concerne les curés, les autorités ecclésiastiques craignent davantage les désordres sexuels. En témoignent les multiples rappels des ordonnances épiscopales. Ainsi Mgr de Villeneuve en 1734 indique que :
« les personnes du sexe ne doivent pas être confessées dans des lieux cachés ».
L’interdiction d’avoir une servante de moins de 40 ans est également fréquemment rappelée. 104 Mais ces notations répétées sont peut-être autant, sinon plus, le reflet des préoccupations lancinantes de ce prélat, ardent défenseur de la Réforme catholique que de la réalité. Je n’ai relevé, dans les archives de justice royale, que quelques cas de plaintes pour désordre sexuel contre un curé mais il n’est pas un des desservants des villes étudiées. Bien qu’une partie des archives des officialités ait été détruite, ce type d’accusation est rare. Mais est-ce le reflet de la réalité ? Doize, curé de Privas au début du XVIIIe siècle, est aussi objet de scandale, mais sans doute davantage par sa volonté d’imposer son autorité maladive sur toute la paroisse que par ses mœurs ; le subdélégué reconnaît que la conduite du curé est :
« Violente, ambitieuse la plus remplie de vanité, la plus intéressée et la moins pastorale...il est brouillé avec toute la ville. Il n'y a pas un homme ny pas une honnête femme avec lesquels il n'aye eu rixe… Je ne prétends pas parler de ses mœurs c'est un article à part, mais il ne convient en aucune manière pour curé de Privas, ville capitale par rapport aux NC du Vivarais ». 105
La comparaison des comportements des curés et pasteurs est difficile du fait que le curé semble jouir d’une impunité certaine dans la paroisse. Les paroissiens hésitent à porter l’affaire en justice. Mais la destruction d’une grande partie des archives de l’officialité ne permet pas d’aborder de manière satisfaisante la question. Si l’on rapporte le seul cas délictueux retrouvé, celui de Doize, aux 31 curés étudiés dans les trois villes on obtient un pourcentage de 3,3. La différence n’est donc pas très grande, compte tenu des faibles effectifs sur lesquels s’effectuent les calculs, entre pasteurs et curés.
Les questions financières sont un autre point qui rapproche les deux communautés sur l’ensemble de la période. Les mêmes angoisses se font jour lorsqu’il s’agit de trouver l’argent nécessaire pour le fonctionnement de l’Eglise. Deux documents en témoignent. Blanc, curé de Privas, en 1670, adresse un compte aux paroissiens à propos des dépenses qu’il a engagées trois ans plus tôt. Un tel délai laisse imaginer des difficultés dans le recouvrement de la dette. Les curés se plaignent parce que la communauté ne participe pas assez à l’entretien de l’église, au luminaire. Les disputes se terminent parfois par des procès. 106 La communauté réformée connaît les mêmes difficultés. En 1644 et 1646, la communauté réformée de Privas règle des dettes au pasteur Accaurat. Le pasteur est payé en partie avec des obligations, à charge pour lui de se faire rembourser 107 . Est-ce un signe de la pauvreté de la communauté, frappée par les événements de 1629 ou de la difficulté pour faire rentrer les fonds ? Le pasteur doit même parfois porter l’affaire en justice pour obtenir son argent. Ainsi David Chanal, pasteur de Lagorce en 1668, porte plainte pour défaut de paiement de ses gages par la communauté. 108
Le contrôle étroit des fidèles apparaît dans chaque confession. Lagarde de Chambonas, évêque de Viviers, transforme les curés en informateurs et traque le moindre manquement aux ordonnances épiscopales. Il déclare en 1711, dans une ordonnance synodale :
« Les curés doivent remettre à Mgr l’évêque au plus tard avant la fête de l’Ascension un état des âmes de leur paroisse en indiquant ceux qui n’ont pas fait leur devoir pascal et ceux qui sont pécheurs publics scandaleux » 109
Visiblement le contrôle ne concerne pas seulement les « nouveaux convertis » mais toute la communauté. Pourtant bien peu de ces « états des âmes » nous sont parvenus. Pour la région étudiée, un seul subsiste pour la paroisse de St Julien du Gua, 110 à proximité de Privas. Dans cette paroisse peuplée en grande majorité de « nouveaux convertis », le curé a noté soigneusement pour chaque fidèle, « ancien ou nouveau catholique », les communions pascales, la demande des sacrements avant le décès, et l’assiduité à la confession. Faut-il en conclure que le clergé n’a pas suivi son prélat dans cette tâche de contrôle ou que les archives ne nous sont pas parvenues ? La confession est également un moment où le curé peut exercer son pouvoir de contrôle sur la communauté :
« Nous ne saurions trop recommander aux confesseurs de ne pas se contenter ordinairement de l’accusation des pénitents mais d’y suppléer avec zèle et patience, en développant avec eux les plis et les replis de la conscience de ces pénitents par un examen exact et des demandes prudentes et détaillées. » 111
Le consistoire se transforme souvent en tribunal des mœurs et exerce un même rôle de contrôle sur les fidèles. Le fidèle pris en faute est d’abord réprimandé, souvent par les anciens, s’il persiste dans son comportement une sanction collective lui est infligée lors d’une assemblée. S. Mours rapporte un exemple à propos du consistoire des Vans en 1668 :
« le consistoire apprenant que « la femme de Me Paul Baille, chirurgien, et celle de Me Claude Durand, praticien, étaient en grande inimitié entre elles, » charge un de ses membres « de les citer toutes deux mercredi dans le temple à l’issue du prêche, afin de tâcher de les mettre d’accord ». Elles ne se présentent pas . Une nouvelle citation est alors émise par le consistoire pour le vendredi « après le catéchisme ». Cette fois, elles sont présentes :
« Le consistoire les a vivement exhortées de renoncer à leur inimitié et de vivre désormais comme de véritables chrétiennes, ce qu’elles ont promis et ont protesté qu’elles se pardonnaient réciproquement les offenses qu’elles pouvaient avoir reçues l’une de l’autre ». 112
Ce contrôle présente toutefois des différences. Dans un cas il relève uniquement du clergé alors que dans le second cas il s’exerce par l’intermédiaire de la communauté qui rend plus solennelle la décision du consistoire.
Les prêtres et les pasteurs sont influencés, mais de manière inégale, par de nouveaux courants de pensée. Des dissidences à caractère théologique ou spirituel trouvent des échos inégaux dans la région. Les débats à propos de la question de la prédestination engagés au début du XVIIe siècle, après le synode de Doordrecht, ne semblent pas déchaîner les esprits. Les compte-rendus des synodes provinciaux, dont la majorité date de la seconde partie du XVIIe siècle il est vrai, ne donnent aucun indice dans ce sens. La même question de la prédestination est également au cœur des préoccupations catholiques en ce début de siècle. La querelle janséniste est pourtant peu évoquée en Vivarais. Lors de la signature du formulaire de 1661, adopté par l'évêque Louis de Suze lors du synode du 19 octobre 1661, destiné à
condamner les idées jansénistes, on relève 414 signatures. Il y a donc beaucoup d'absents. Parmi eux on relève : l’abbaye de Cruas, les Chartreux de Bonnefoy, les capucins de Privas, les Augustins du prieuré du Charay près de Privas et les clarisses d'Aubenas. Mais, seuls les Oratoriens de Joyeuse sont notoirement jansénistes 113 . Mais il est difficile d’apprécier l’ampleur de cette sensibilité au sein du corps pastoral vivarois. Les condamnations restent rares, la diffusion semble limitée. On ne retrouve donc pas en Vivarais, ce qui se vérifie ailleurs, un lien entre la présence réformée et la diffusion des idées jansénistes. Seul écho, sur lequel nous reviendrons, les notes très précises de Tourton, notable annonéen, dans son livre de raison sur tous les débats religieux de la fin du XVIIe siècle.
La principale dissidence au sein de l’Eglise réformée est représentée par les « Inspirés » entre 1689 et 1730. L’originalité par rapport aux autres mouvements tient à son caractère local. Certes les lettres enflammées du pasteur Jurieu contribuent à diffuser les idées millénaristes parmi les fidèles réformés humiliés par la Révocation. Mais les prophètes qui vont diffuser les paroles de la bergère de Saou en Dauphiné sont implantés dans la région de Privas. Quelques prédicants vont se rapprocher de ce courant millénariste. Mais ils n’appartiennent pas au corps pastoral. L’un d’entre eux, Dortial, est connu grâce à la correspondance du pasteur Pierre Durand. Ce dernier a d’ailleurs des écrits très sévères pour condamner le mouvement et les prédicants qui l’encadrent. Un autre témoin de l’époque, Ebruy, prédicant et ancien inspiré, montre clairement le lien entre prophétisme et action camisarde :
« Pour les Camisards qui étaient à Franchassis, celui qui s’érigeait en chef était un nommé Jean-Pierre Dortial du lieu de Chalancon à présent à Genève. C’était un prétendu divinement inspiré et fort entêté, sujet à de grands égarements dans ses prédictions, ayant fait et dit plusieurs choses qui ne font pas honneur à notre Sainte Religion et je ne puis vous les mettre sur le papier » 114
Les pasteurs formés à Lausanne, à l’imitation de Durand, mettront plusieurs années à réduire le groupe constitué autour de Dortial, à écarter de la prédication les femmes prédicantes.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les dissidences locales ont surtout un caractère disciplinaire. C’est le cas du pasteur Philip, formé au séminaire de Lausanne et déchu par le synode des Hautes-Cévennes en septembre 1773 pour
« impureté, ivrognerie, haine implacable, menace de meurtre, jurements, impiété, dissipation et folles dépenses » 115
Mais Philip ne désarme pas et passe en Vivarais-Velay. Il prêche, rassemble des fidèles autour de lui et refuse de se soumettre au synode. Cette dissidence se poursuit jusqu’en 1791, date à laquelle il accepte de se soumettre. En revanche, le caractère très hiérarchique de l’Eglise catholique ne permet guère ce genre d’opposition.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle la réception des idées des philosophes est contrastée. Les curés éprouvent parfois une profonde aversion pour ces idées nouvelles qui sont considérées comme une menace pour la religion. C’est la position du curé d’Annonay, Léorat-Picancel. Mais d’autres ecclésiastiques paraissent plus conciliants avec ces nouveaux courants. A partir de 1766, Annonay se distingue des autres villes vivaroises par la présence de deux loges maçonniques où les notables aiment à se retrouver. Les listes fournies font apparaître la présence de plusieurs ecclésiastiques souvent issus de familles de notables. Ainsi deux chanoines, Monneron et Montgolfier, le provincial des Cordeliers, le curé d’Annonay sont-ils membres des loges de la Vraie Vertu et de Saint Jean. 116 Certes les « travaux humides » l’emportent sur les « travaux secs » au cours des assemblées mais le courrier échangé avec le Grand Orient montre un vocabulaire particulier. Ainsi, le mot « Raison » est-il fréquemment répété. S’agit-il simplement d’une conformité de langage ou d’un révélateur plus profond d’une évolution des mentalités ? Dans le dernier cas quelle a pu être la conséquence, au travers des sermons, sur les fidèles d’Annonay ? Les pasteurs en revanche semblent avoir eu moins de difficultés pour accepter les nouvelles idées. Dans la lettre qu’il adresse aux annonéens en 1760, le pasteur Peirot, évoque les Lumières comme une bénédiction parce qu’elles ont mis fin à la période de l’intolérance.
La première impression dans cette analyse était marquée par l’importance des différences. Les encadrements pastoraux reçoivent des formations distinctes, avec comme seul point commun l’indispensable maîtrise de la controverse, les densités sont très contrastées, deux géographies confessionnelles se distinguent nettement, enfin des évolutions différentes ont été observées. Pourtant les points de convergence existent. Ainsi, l’encadrement pastoral appartient très souvent au monde des notables, si l’on excepte pour les réformés la parenthèse des « Inspirés ».
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Deux registres sont déposés aux archives départementales de l’Ardèche, tous les autres sont aux archives diocésaines de Viviers : volumes 3 à 38 (1606-1788)(documents non cotés) ; l’index de Jean Baconnier, Insinuations ecclésiastiques du diocèse de Viviers, non daté, répertorie tous les noms cités dans les registres d’insinuations ecclésiastiques, manuscrit, 2 volumes, non coté.
ADA 20 J 240 André Arnaud, Le recrutement du clergé séculier dans l’ancien diocèse de Viviers d’après les registres d’insinuations ecclésiastiques, mémoire de DES, Lyon, 1966, dactylographié, p. 71-73.
Notamment S. Mours, Figures huguenotes vivaroises, Valence, 1937 et Portraits huguenots, de la Révocation à la Révolution, Valence, 1948.
Donc un recrutement interne beaucoup plus important par rapport à d’autres diocèses comme Toulouse où le taux n’atteint que 50 % (d’après Ph. Wolf, Histoire des diocèses de France, Toulouse, ouvrage cité, p. 125).
S. Mours, ouvrage cité, p. 55-103.
Archives Nationales, série TT de 230 à 276 B.
D’après E. Arnaud, Histoire des protestants d’Annonay, Valence, 1891, p. 119.
P. Joutard, « Une mentalité du XVIesiècle au temps des lumières : les protestants du Vivarais », Dix-huitième siècle, n° 17, CNRS, 1985, pp. 67-74.
André Arnaud, Le recrutement du clergé séculier dans l’ancien diocèse de Viviers d’après les registres d’insinuations ecclésiastiques, mémoire de DES, Lyon, 1966, dactylographié, p. 72-75.
I. Meissonnier, « Mémoires d’I. Meissonnier, suivi du livre de raison, ministre à St Sauveur-en-Vivarais », publié par Ch. Aurenche, Revue du Vivarais, Privas, novembre 1914, p. 433-459.
D’après la liste des vicaire de Privas au XVIIIesiècle fournie par N. Chabannes, Paroisse de Privas, essai d’Histoire religieuse contemporaine, Largentière, 1914, p. 9.
Par exemple le pasteur Accaurat, né à Privas, Pasteur à St Vincent en 1620, Aubenas (1623-1628), Privas (1637-1663), Tournon les Privas (1663-1664) Le Pradel (1667-1668), Annonay (1670-1672) . Cité par Arnaud E., Histoire des protestants d'Annonay, Annonay, 1890, p. 100-101.
S. Mours, « La vie synodale en Vivarais au XVIIesiècle », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, Paris, 1946, pp. 55-103.
D’après E. Reynier, Histoire de Privas, vol. II, tome II, ouvrage cité, p. 110-111.
D’après E. Arnaud, Histoire des protestants d’Annonay, ouvrage cité, p. 102-103.
ADA, BIB 1538, Ordonnances de Mgr de Villeneuve…, 1734 et Ordonnances épiscopales de Mgr l’archevêque de Vienne, ADA 5 J 153/2, 1699.
D’après ADH C 273, 1719, cité par E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, vol. 2, ouvrage cité, p.111.
ADA 19 B 1 (1642) et 28 B 4 (1668)
ADA E dépôt 75 GG9 et ADA E dépôt 75 GG 10, archives de la Communauté, 03/12/1644.
ADA 25 B 72, p. 32.
ADA 5 J 160/1 abrégé des ordonnances synodales de Mgr l’évêque de Vienne, 1711. Voir également annexe 24, le formulaire de visite pastorale de 1746.
ADA 4 E 37, registre paroissial de la paroisse de St Julien du Gua, 1751. Voir carte 2, le Gua est situé au Sud-Ouest de la carte.
Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances du diocèse de Viviers, ouvrage cité, p. 60-61.
Cité par S. Mours, Le protestantisme en Vivarais et en Velay, ouvrage cité, p. 221.
De Fontréaux, « le formulaire de 1661 », Revue du Vivarais, juin 1932, p. 100-102.
Patrimoine Huguenot d’Ardèche, Mémoire de J.-P. Ebruy , prédicant en Vivarais de 1689 à 1709, Mémoire de ce qui s’est passé dans le Vivarais au sujet de la religion, Privas, 2000, p. 25 .
Cité par S. Mours, Le protestantisme en Vivarais et en Velay, ouvrage cité, p. 375.
D’après BN, FM2 144 pièce 26 et E. Rostaing, Les anciennes loges maçonniques d’Annonay et les clubs (1766-1815), Lyon, 1903, p. 355-361.