a) La mesure de l’illégitimité confirme-t-elle le discours des pasteurs ?

La comparaison entre le faible taux d’illégitimité et l’importance des discours sur la dépravation morale des réformés donne déjà un premier signe de cette différence. L’analyse de l’illégitimité n’est pas très facile compte-tenu des sources disponibles. Les registres des consistoires sont inexistants pour les trois communautés étudiées, il faut donc s’en tenir aux registres d’actes pastoraux, en exploitant les actes de baptêmes et de mariages. Les mentions « illégitime » ou « né en fornication », notées par les pasteurs, apparaissent et permettent un comptage. Une incertitude subsiste toutefois, lors des baptêmes le nom des parents apparaît avec l’indication « mariés ». Parfois cette précision n’est pas indiquée, (peut-être s’agit-il d’un simple oubli ?) mais aucune autre mention qui pourrait confirmer l’illégitimité n’apparaît. Dans le tableau, tous les cas ont été pris en compte. 125

Pour valider les résultats, une mise en perspective avec les données obtenues en Vivarais et dans l’ensemble du royaume s’impose. Les taux relevés dans l’ensemble du royaume varient entre 1 et 5 %. 126 En Vivarais, les chiffres sont, pour le XVIIe siècle, sensiblement plus bas. A. Molinier a effectué des sondages sur les paroisses d’Annonay, d’Aubenas, de Valgorge, de Bourg-Saint-Andéol et de Rocles, mélangeant ainsi les populations urbaines et rurales. Le chiffre obtenu pour la période 1668-1672 est de 1,43%. Le Vivarais, toutes confessions confondues, reste donc en-deçà de la situation générale du royaume.

Les taux relevés dans cette étude qui porte principalement sur des populations urbaines sont parfois plus élevés. C’est particulièrement net pour Privas. Toutefois, en dehors de ce cas les taux restent dans les moyennes de référence. Pour Annonay, aucun cas dans nos sondages n’a été relevé. Ph. Benedict en dénombre toutefois 3 %. Ce qui rapproche le résultat de la population catholique. Par ailleurs, le taux d'illégitimité baisse, c’est notamment le cas de Privas, signe peut-être que les fidèles suivent davantage les consignes concernant la morale, données par les pasteurs. Enfin, les notables ont souvent des taux d’illégitimité encore plus bas que le reste de la population. Sur les sondages effectués, aucun cas d’illégitimité n’a été rencontré, ni sur Privas ni sur Annonay. Les pourcentages dans l’ensemble sont les plus bas dans les villes où la population réformée est composée majoritairement de notables, c’est-à-dire Annonay et Villeneuve-de-Berg 127 . La comparaison avec les catholiques fait pourtant apparaître un taux légèrement plus élevé. Peut-être n’est-ce là que l’effet de l’attention que les pasteurs portent à cette question ?

Par conséquent les taux d'illégitimité ne permettent pas de justifier les sermons des pasteurs sur la dépravation générale des mœurs. L’illégitimité existe au sein de la population réformée mais les taux sont voisins de ceux que connaît la population catholique. La contradiction est d’autant plus forte que les évolutions sont opposées : le discours des pasteurs dénonçant la dépravation va en s’accentuant alors que l’illégitimité se réduit. L’hypothèse, évoquée plus haut, d’une relation entre persécution et remise en cause de plus en plus marquée de la foi et de la pratique des fidèles semble, par conséquent, se préciser. Le sentiment de déréliction est donc antérieur à la Révocation. Il s’ancre dans l’esprit des Réformés dès le début des années de persécution.

Notes
125.

Voir graphique 3 et tableau 8.

126.

D’après J. Dupâquier, La population française aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, P.U.F., 1995, p. 39.

127.

Voir les tableaux comparatifs sur la répartition sociale simplifiée des deux populations n° 22 et 26.