b) Les questions évoquées lors des synodes provinciaux réformés révèlent-elles une communauté en crise ?

Un autre point confirme les écarts entre l’opinion des pasteurs et anciens et l’attitude des fidèles : les affrontements et les discussions signalés lors des synodes portent souvent sur des points mineurs au regard de la pratique religieuse, en tout cas pour un observateur contemporain. Rien ne concerne le dogme mais toutes les questions abordées sont en lien avec les difficultés financières et les sujets d’ordre moral. Les querelles de bancs illustrent tout à fait ces affrontements entre fidèles et consistoires. Plusieurs exemples sont signalés par S. Mours et certains apparaissent dans l’Eglise de Lagorce, que fréquentent les réformés de Villeneuve-de-Berg. La question récurrente concerne la place dans le temple. Les fidèles ne sont pas toujours satisfaits de l’emplacement qu’ils doivent occuper et des tensions apparaissent. Cela donne lieu à des tentatives de conciliation souvent laborieuses entre les accusés et le consistoire.

Une autre question très pratique préoccupe également les synodes. En 1675, les réformés d’Annonay se plaignent d’un ancien, un notable, nommé Plan, « qui faisait fonction de lecteur », et qui a été suspendu de :

‘« Sa charge d'ancien pour n'avoir pas voulu déférer à l'ordre et à la coutume qui est de dire l'oraison dominicale à la fin de la prière qui est dans la liturgie qu'on a acoutumé de dire dans le temple certain jour de la semaine » 128

Les débats ont un aspect très formel : on discute pour savoir à quel moment on doit placer l'oraison dominicale dans le déroulement de la liturgie. Cette question, comme celle des bancs donnent une image d’une Eglise très préoccupée par des questions apparemment mineures. Le parallèle avec l’Eglise catholique est d’ailleurs possible : une des préoccupations des visites pastorales, au XVIIe siècle consiste à vérifier, entre autres, le nombre de nappes sur l’autel ou le bon état du tabernacle.

Nous avons pensé pendant longtemps que les synodes n’abordaient que des sujets de second ordre, par exemple les questions morales, et évitaient les questions de premier plan, le dogme, pour ne pas donner prise à la curiosité du commissaire catholique dont la présence est imposée par les ordonnances royales. Mais il n’en est rien. Les questions de bancs font déjà l’objet de débats au sein des synodes et des consistoires avant la présence de commissaires catholiques. R. Mentzer relève dans la communauté de St Jean-du-Bruel un cas similaire bien plus ancien, il date de 1596, que ceux présentés ici. 129 Il est vrai que les questions concernant les dogmes étaient habituellement traitées au synode national. Toutefois l’absence de réunion d’un synode national depuis 1659 laisse peu de place à ce genre de débat.

Ces questions de bancs ne semblent donc de nature ni à affaiblir la foi comme le dénoncent les pasteurs, ni à remettre en cause la cohésion de la communauté, car les consistoires triomphent généralement des récalcitrants en utilisant des sanctions appropriées. La confessionnalisation paraît donc importante dans ces communautés au XVIIe siècle. Les comptes rendus des synodes révèlent une pratique qui accorde une place apparemment démesurée à des questions matérielles.

Notes
128.

AN TT 243, synode réformé de Desaignes, 03/12/1675.

129.

R. A. Mentzer, «Sociability and Culpability, Conventions of Mediation and Reconciliation within the Sixteenth-Century Huguenot Community » in Memory and Identity, the huguenots in France and the Atlantic Diaspora , B. Van Ruymbeke et Randy J. Sparks, Columbia, 2003, p. 4 et 5.