c) La répartition des mariages réformés est-elle un signe d’une forte cohésion confessionnelle ?

Deux exemples semblent illustrer cette situation. Dans l’exemple annonéen 130 , la différence entre les deux répartions est très nette. Les courbes de répartition mensuelle des mariages des deux confessions, obtenues à partir des registres paroissiaux et du travail de P. Benedict, 131 permettent de souligner la singularité de la communauté protestante. Les catholiques respectent les « temps clos » de l’Avent et du Carême alors que les réformés ignorent ces dates. Certes aucune interdiction de mariage ne figure dans la Discipline de 1559, mais l’influence catholique peut parfois être décisive et modifier les comportements des réformés. Leur volonté de continuer de se marier pendant ces périodes montre de leur part la conscience d’être en sécurité. C’est l’affirmation d’une minorité qui ne craint pas d’affirmer ouvertement sa singularité. Une telle situation est à mettre en lien avec l’équilibre numérique existant entre les deux populations 132 . Mais elle est le résultat également d’une grande différence sociale entre les deux communautés. Les réformés comportent un pourcentage de notables plus importants 133 . Enfin les deux communautés annonéennes sont marquées, nous l’avons rappelé, par une histoire récente plus pacifique que celle des deux autres villes. Les seuls éléments rapprochant les deux communautés sont les minima et maxima d’été, qui rappellent des sociétés dans lesquelles la population agricole est importante même si des différences apparaissent dans les compositions sociales. Le creux d’Octobre est également accentué dans les deux communautés et permet de souligner l’importance de la vigne dans l’économie agricole annonéenne quelle que soit la confession. Les notables comme les vignerons passent beaucoup de temps à surveiller leur vigne sur les côteaux environnant Annonay ; ainsi, A. Laurent, médecin réformé, note fréquemment dans son livre de raison l’état de ses vignes. Les vendanges en Octobre pourraient donc expliquer ce creux dans les mariages. Le creux d’été est plus marqué chez les catholiques que chez les protestants, c’est la traduction d’une part moins grande de paysans chez les réformés. Les travaux agricoles ne constituant donc pas un obstacle au déroulement des mariages pour une large partie des réformés dont la composition est différente de celle des catholiques, elle comprend en effet plus d’artisans et de notables. La distinction entre les deux communautés se traduit donc à la fois sur le plan confessionnel et social. Toutefois certains rythmes, calqués sur la vie agricole, sont communs aux deux communautés.

La comparaison des courbes de mariages de Villeneuve-de-Berg montre également deux courbes avec des allures très différentes. La courbe catholique présente une allure sensiblement identique à celle d’Annonay avec les deux temps-clos bien marqués. La différence réside plutôt dans l’absence d’accident entre mars et décembre. L’explication est peut-être sociale car cette population catholique présente un pourcentage élevé de notables. En revanche, la courbe des mariages réformés de Villeneuve-de-Berg est totalement différente de celle des catholiques. Elle apparaît peu sensible aux rythmes agricoles et échappant ainsi complètement à l’influence du comportement des catholiques. Ces deux courbes aussi différentes sont une surprise, car les relations difficiles lors des guerres religieuses du début du XVIIe siècle et la situation minoritaire des réformés villeneuvois auraient pu laisser imaginer un alignement sur le comportement des catholiques. Or il semble qu’au contraire, leur position minoritaire ne les fasse pas apparaître comme un danger aux yeux des catholiques ; ce qui pourrait leur laisser une plus grande liberté. Leur position sociale, le pourcentage de notables est assez élevé, constitue peut-être également un élément qui a joué en leur faveur, car les notables semblent développer à Villeneuve-de-Berg des relations indépendamment des coupures confessionnelles.

Quant à la situation privadoise 134 elle est originale car les deux courbes présentent certaines ressemblances. La courbe catholique ne présente pas la même régularité que les deux précédentes ; les temps clos apparaissent mais le creux de mars est moins marqué que dans les deux autres villes. En revanche la courbe des réformés présente les deux creux correspondant aux temps clos, ce qui est surprenant si l’on se réfère aux exemples précédents. Cette ressemblance semble pouvoir être interprétée comme une influence des catholiques sur les réformés, ce qui est surprenant compte-tenu du rapport numérique favorable aux protestants à Privas. Nous tenterons d’expliquer plus loin l’originalité privadoise.

Au total, dans deux cas (Annonay et Villeneuve-de-Berg) sur trois les comportements des réformés sont donc largement indépendants de ceux des catholiques. Une telle situation est bien évidemment la marque de relations relativement cordiales entre les deux communautés mais elle peut traduire également une forte confessionnalisation. Ces premiers éléments de typologie viennent conforter les résultats déjà obtenus concernant l’illégitimité : Privas apparaissait déjà en position originale.

Notes
130.

Voir graphiques 5.

131.

Ph. Benedict, The huguenot population of France, 1600-1685, The demographic Fate and Customs of a Religious Minority, Transactions of the American Philosophical Society, Philadelphie, 1991, tables 19 et 21, p. 94 .

132.

Voir graphique n° 1.

133.

Voir tableau n° 22.

134.

Voir graphiques n° 9 et 10.