L’analyse peut être conduite à plusieurs échelles. Dans l’ensemble du Vivarais, A. Molinier 151 souligne la baisse des effectifs. La baisse constatée entre 1630 et 1685 est de 28 %. Le pourcentage est plus élevé que la moyenne nationale (-18,44 % mais calculée sur la période 1598-1682) , toutefois, il faut prendre en compte les variations de la définition des provinces synodales, le Velay était rattaché au Vivarais en 1630 or il ne l’est plus en 1685.
Cette première impression peut être précisée avec l’analyse de l’évolution de la population réformée sur les trois sites étudiés. Cette étude sera conduite sur la base d’estimations de populations obtenues à partir du nombre de baptêmes. Cette méthode, mise au point par les premiers statisticiens de la fin XVIIIe siècle, ne manque pas d’inconvénients : les baptêmes peuvent être surévalués : il est fréquent que des familles des paroisses voisines viennent faire baptiser leur enfant dans la ville proche. D’autant plus qu’avec le renforcement des persécutions, le nombre de temples diminue. Une telle situation entraîne parfois une surestimation de la population. Seuls ont donc été pris en compte les baptêmes d’enfants dont la famille habite la ville étudiée. Pour éviter une surestimation ou une sous-estimation, une moyenne décennale a été calculée. C’est à cette moyenne qu’a été appliqué le coefficient multiplicateur. C’est une autre difficulté qui apparaît : quel multiplicateur adopter ? Le nombre 27, rapport entre le nombre de baptêmes et le nombre d’habitants a été retenu ici. Il permet d’obtenir un ordre de grandeur et de comparer les trois évolutions, mais l’ambition de ce tableau n’est pas de donner, à l’unité près, le chiffre exact de la population réformée. Un autre écueil, l’intervalle entre naissance et baptême, assez important chez les réformés, peut conduire à ne pas prendre en compte la mortinatalité et sous estimer ainsi la population totale. D’autre part, la population réformée de Privas a vécu de nombreuses péripéties au cours du XVIIe siècle. Les protestants sont obligés de quitter Privas en 1629, après le siège, puis reviennent progressivement s’installer. C’est sans doute ce qui explique le chiffre très bas des années 1630 et provoque une hausse exagérée entre 1630 et 1685. De plus, les arrêts royaux de 1664 provoquent un départ, puis un retour partiel de la population réformée. Enfin les données sont très réduites pour Villeneuve-de-Berg et obligent à calculer des moyennes sur de courtes périodes rendant d’autant plus fragiles les résultats.
Les résultats sont pour le moins contrastés 152 . L’impression de baisse générale observée sur l’ensemble du Vivarais ne s’impose pas si l’on prend en compte les effectifs totaux des trois villes. Mais il y a tout de même deux villes sur trois qui connaissent une baisse. Dans le cas de Villeneuve-de-Berg, celle-ci serait sans doute encore plus marquée si les données étaient encore disponibles pour la première moitié du XVIIe siècle. D’autre part, la hausse des effectifs de Privas est en partie artificielle, elle est le résultat de mouvements migratoires à courte distance liés aux aléas politiques et militaires. Le fait majeur qui semble à prendre en compte ici est donc la baisse des effectifs dans deux villes sur trois, plus que la croissance globale du nombre des protestants. Bien que la baisse soit constatée dans deux cas sur trois, quelques nuances s’imposent. P. Benedict 153 classe Annonay parmi les villes dont la baisse des effectifs réformés a été très forte. Avec une baisse comprise entre 17 et 19 % elle se situe dans la moyenne de l’ensemble du royaume. La courbe des baptêmes montre même un sursaut démographique dans les années 1670 qui a contribué à ralentir le déclin démographique.
Les premières indications montrent une baisse générale des effectifs dans l’ensemble de la province de la population réformée confirmée dans deux villes sur trois. Il y a donc des évolutions locales qui peuvent être différentes. Il convient pour tenter de préciser les premiers constats, de vérifier si l’explication est seulement démographique. L’hypothèse n’est pas à exclure, le XVIIe siècle est marqué par de nombreuses crises démographiques dont le mécanisme a été clairement démontré. La peste de 1629, par exemple, a notamment laissé des échos importants dans la région 154 .
A. Molinier, Paroisses et communes de France, l’Ardèche, Paris, C.N.R.S., 1976, annexe 6, p. 52.
Voir tableau 13.
P. Benedict, ouvrage cité, p. 57 et 154.
L’importance de l’épidémie de peste de 1628-1632 est attestée à Annonay grâce à un règlement de police sanitaire édicté par les consuls (catholiques et protestants), qui précise qu’il est nécessaire de nettoyer les maisons et l'hôpital, les pauvres transportés à l'hôpital pour les sortir de leur saleté, que les pauvres sans « industrie » seront chassés de la ville, de même que les prostituées : « toutes putains publiques seront chassées de la ville et faubourtz et inhibées d'y revenir sur mesmes peynes », que chaque habitant devra enlever les fumiers des rues, vider les cloaques (fosses d'excréments), que les « pourceaux » seront mis hors de la ville ; que les rues seront balayées par les habitants, et les maisons parfumées au genièvre ( conviction que l'épidémie est véhiculée par les odeurs), qu’il sera interdit de mettre du chanvre dans les rivières, et aux étrangers d'entrer dans la ville. Mais la peste va frapper tout de même la ville de 1628 à 1633, cité par M. Guigal, « la peste aux portes d’Annonay, un règlement de police sanitaire en 1628 », Bulletin des Amis du Fonds Vivarois, n° 42, Annonay, 1992, p. 22 à 24.