c) Les prénoms vétérotestamentaires : un moyen de mesurer l’ampleur des conversions ?

Des conversions vers le catholicisme sont sans doute également responsables des évolutions des effectifs réformés constatés précédemment. Leur importance est difficile à apprécier car elles sont au cœur d’une polémique enragée au XVIIe siècle. Pour les protestants, comme pour les catholiques, il est impensable de reconnaître des conversions, car elles sont un signe d’échec, et remettent en cause l’équilibre confessionnel, souvent fragile. Ceux qui se convertissent sont l’objet de vexations et sont mis à l’écart de la communauté. Un exemple est donné avec la conversion de David Sibleyras, notable réformé privadois. La lettre de l’évêque de Viviers, Louis de Suze, adressée aux consuls privadois, présente une situation conflictuelle au sein de la communauté réformée. David Sibleyras s’est plaint auprès des autorités, des mauvais traitements dont il est victime de la part de ses anciens coreligionnaires. En réponse, la lettre de Monseigneur de Suze, sans aucune formule de politesse, mais pleine de menaces, montre les relations difficiles entre l'évêque et les protestants de Privas et les tensions au sein de la communauté réformée :

« C'est pourquoy je vous prie de tenir la main à ce que ledit Sieur Sibleyras demeure en paix et liberté de sa conscience dans sa maison dudit Privas car arrivant le contraire je seray contraint d'en escrire à sa majesté, messieurs de son conseil et à la cour de Parlement de prendre la revanche sans aller chercher plus loin que dans mes terres, je vous prie encore un coup d'y prendre garde devant que réussir. Votre très affectionné à vous frère Louis de Suze évêque de Viviers » 169 .

Quant aux catholiques, les chiffres avancés sont souvent très exagérés. S. Mours 170 l’a montré à propos de la mission de Jean-François Régis en Vivarais, le nombre de conversions reste à cette occasion minime, contrairement à ce qu’affirment certains ouvrages apologétiques catholiques. Pour dépasser l’analyse des cas particuliers et atteindre une vue plus globale de la situation, il y assez peu de documents. Les listes de conversions sont parfois incomplètes ou inexistantes. Les documents sont de source catholique et n’enregistrent que les conversions dans un sens ; du protestantisme au catholicisme. La seule solution en l’absence de source paraît être l’analyse des prénoms. Le tableau complet a déjà été présenté 171 . Ici seule la partie concernant les catholiques, puisque c’est de ce point de vue qu’il est possible de mesurer les conversions des réformés, a été reportée ci-dessous. La méthode des prénoms a toutefois ses limites puisqu’il n’est pas possible de mesurer les conversions du protestantisme au catholicisme. Dans tous les cas, les données ne prennent pas en compte les conversions effectuées après 1683, à l’époque des persécutions afin de ne pas fausser les conclusions par les mouvements de conversions massifs et forcés.

Les prénoms vétérotestamentaires utilisés par les catholiques semblent bien révéler des conversions. Le mimétisme, les catholiques choisissant des prénoms identiques à ceux des réformés par imitation, semble peu plausible. Il pourrait fonctionner pour Privas, mais aucun document ne permet de l’attester. Pour Villeneuve-de-Berg où les protestants sont minoritaires, cette explication semble plus difficile, sauf peut-être pour la population féminine. En effet, la première impression est l’important déséquilibre entre hommes et femmes, mais les deux communautés semblent puiser dans le même stock de prénoms avec 43 % de prénoms féminins en commun 172 . En revanche, pour les hommes, la distinction est plus nette avec seulement 35 % de prénoms en commun. Or il y a des catholiques qui portent des prénoms vétérotestamentaires. Ce qui permet de constater des conversions, le prénom biblique constituant une mémoire de ce changement. La situation est très différente selon les villes étudiées. Les faibles pourcentages pour Annonay et Villeneuve-de-Berg s’opposent à des taux beaucoup plus élevés à Privas. Bien que Privas se retrouve avec la part de prénoms vétérotestamentaire la plus élevée, ce pourcentage reste tout de même assez modéré. Ces conversions s’effectuent parfois au mariage. Dans le registre paroissial de Privas, entre 1654 et 1684, on trouve la trace de deux conversions avant mariage, ce qui représente peu de choses par rapport au total des mariages de cette période chez les catholiques soit 0,5 % des mariages 173 . En tout cas, il y a un décalage entre les conversions reconnues, infimes, et celles qui existent. Car se convertir ou se marier avec quelqu'un d'une autre communauté revient à franchir la « frontière invisible » 174 , celle qui garantit la stabilité de chaque communauté et donc la paix sociale et religieuse. Le nombre des conversions est certainement inférieur à celles que donnent les ouvrages catholiques sur Privas au XVIIe siècle mais elles existent tout de même.

Notes
169.

ADA E dépôt 75 GG 6, 31/10/1626.

170.

S. Mours, Le Vivarais et le Velay protestants, notices paroissiales, ouvrage cité, p. 186-192.

171.

Voir tableau 9 et 18.

172.

voir tableau 9.

173.

SAGA, PRP 09-3.

174.

E. François, ouvrage cité, p. 235.