d) L’absence ou la difficulté de prosélytisme chez les réformés.

Enfin une dernière explication de l’érosion des effectifs tient au peu de prosélytisme chez les réformés à l’inverse de ce que pratique le clergé catholique. La situation est très différente de celle du XVIe siècle, les conversions étaient alors nombreuses. Les seules exceptions sont les controverses qui se déroulent au début XVIIe siècle. Celle qui a lieu à Annonay nous est connue par plusieurs ouvrages. En 1624, elle mobilise deux jésuites en face du pasteur De Vinay 175 et déclenche un mouvement de conversion limité à quelques notables réformés. De telles rencontres se déroulent également aux Vans à l’initiative des jésuites ou des capucins. Quelques conversions nous sont connues dans l’autre sens, mais elles sont rares. Le registre du consistoire de Lagorce en rapporte deux dans les années 1670. Pourquoi une telle différence de comportement ? Est-ce la conséquence de la conviction en la prédestination, et l’assurance que la Révélation n’est réservée qu’aux élus, qu’il est donc inutile d’évangéliser des catholiques « hérétiques » ? L’autre explication, plus simple, tient à partir de 1661, à la multiplication des mesures vexatoires, par exemple l’interdiction pour un catholique d’assister au prêche du pasteur, qui empêche toute forme de prosélytisme. Enfin, certains nobles vivarois ont abjuré, leur rôle d’entraînement ne joue plus en faveur de la Réforme, même si une petite noblesse s’accroche encore au protestantisme.

Au total, on constate une baisse des effectifs réformés, à l’exception de Privas qui constitue un cas particulier, sous l’effet des troubles politiques et des comportements démographiques. Les actes des synodes donnent l’impression d’une religion qui s’attache beaucoup à la morale et à l’organisation de la communauté, mais les convictions religieuses et l’attachement confessionnel ne semblent pas remis en cause. Les signes retenus parfois comme révélateurs de l’affaiblissement spirituel : la soumission à l’autorité royale, apparaissent comme une volonté de s’intégrer dans l’ensemble du royaume, en s’identifiant à celui qui reste, aux yeux des réformés de l’époque, le seul garant de leur survie, le roi. Le peu de conversions avant 1683-1685 témoigne d’un enracinement de la foi réformée. Les conversions existent mais elles ne sont pas massives, bien que les situations soient différentes selon les villes. En effet, la situation de Villeneuve-de-Berg se distingue par la présence d’une forte fécondité associée à une baisse des effectifs. Dans ce cas les conversions, favorisées par une situation d’isolat confessionnel, sont sans doute responsables de la baisse des effectifs. Le taux de prénoms vétérotestamentaires en témoigne. Cette situation est à mettre en lien avec l’absence de représentants de la communauté réformée villeneuvoise à plusieurs synodes provinciaux, signe peut-être d’un affaiblissement des convictions. En revanche la situation d’Annonay est différente : la baisse modérée des effectifs réformés est sans doute le résultat d’une fécondité faible. A la différence de Villeneuve-de-Berg, les conversions sont réduites dans la population annonéenne ; le faible pourcentage de prénoms vétérotestamentaires chez les catholiques ainsi que la courbe des conversions au XVIIe siècle le confirment. Enfin, la hausse de la population réformée privadoise tient sans doute à sa position de capitale réformée des Boutières ; les mouvements migratoires peuvent compenser les conversions dont les prénoms vétérotestamentaires permettent de mesurer l’importance. Dans l’ensemble, les protestants donnent l’image de communautés soudées autour de leur pasteur. Toutefois, la soumission aux exigences pastorales est inégale et incomplète, le peu de respect pour le dimanche, la courbe des mariages qui s’aligne parfois sur celle des catholiques, enfin le refus de respecter les bancs imposés dans le temple en sont autant de signes. Certes bon nombre de nobles ont déserté les rangs des réformés. Mais les notables restent très attachés à leur foi, notamment à Annonay. En revanche la situation privadoise nous a permis de constater que l’importance des conversions pourrait être mis en lien avec la plus faible adhésion des notables à la Réforme. Les notables privadois 176 sont en effet beaucoup moins nombreux à porter des prénoms bibliques que dans le reste de la population réformée, au contraire ils puisent largement dans un stock commun avec celui des catholiques. Les notables n’ont donc pas pu jouer, comme à Annonay, un rôle de stimulateurs spirituels. La réalité sociale est donc étroitement associée à la vie spirituelle. Il convient donc de distinguer, des situations différentes selon le rapport de force entre catholiques et protestants et la composition sociale de la ville. Pour poursuivre la comparaison entre les deux communautés, une analyse du comportement des fidèles catholiques s’impose.

Notes
175.

S. Mours, Le Protestantisme en Vivarais et en Velay, ouvrage cité, p. 195.

176.

voir tableaux 9 et 18.