1. La mesure des évolutions

a) Les courbes de mariage : un signe de la progression de la Réforme catholique ?

Un indicateur d’ensemble de la situation est fourni par la répartition annuelle des mariages chez les catholiques. Le respect des « temps clos » est une obligation de l’Eglise catholique  faite aux fidèles. L’exemple suivant rappelle que, même si la dispense est possible, la règle générale est le respect du Carême et de l’Avent :

‘« Du vingt-quatrième février ont épousé par devant moi vicaire soubsigné après trois publications et dispense du temps de Carême donné par monseigneur Vaguet official du vingt-deuxième du présent, Jean Clot fils à Mathilde et à feue Marie Chalendar du lieu de Vernosc âgé de trente années d’une part et Marie Lavaux fille de Fleury Lavaux et de Marie Meissa de la ville d’Annonay âgée d’environ vingt-trois années en présence.. » 178

Comment cette règle, qui constitue un des signes de la mise en place de la Réforme catholique, est-elle respectée ? On peut tout d’abord se demander dans quelle mesure ces courbes sont-elles un révélateur de la mise en place de la Réforme catholique ? Lorsqu’on dispose de données démographiques sur une longue période il est possible, comme dans le cas de Villeneuve-de-Berg, de réaliser des analyses comparatives à plusieurs époques 179 . On s’aperçoit alors que la mise en place de la courbe caractérisée par un creux de mars et de décembre se fait progressivement. Les deux mois se creusent lentement dans la courbe : les deux « temps-clos » semblent de mieux en mieux respectés.

Ces courbes 180 semblent donc révéler la mise en place de la Réforme catholique. Les deux « temps-clos » sont respectés y compris à Privas, bien que la période du Carême, le creux de Mars, ressorte moins nettement que dans les deux autres villes. En revanche, dans les trois cas, l’Avent constitue une période pendant laquelle les couples ne se marient que très peu. La surprise est donc de taille, car même une ville comme Privas, pour laquelle on aurait pu soupçonner une influence réformée sur la population catholique, compte-tenu du rapport de force favorable aux protestants, apparaît assez proche du modèle de la Réforme catholique. D’autant plus que la répartition des mariages réformés montre un alignement sur le comportement des catholiques. Le respect des « temps clos » donne à cette courbe la même allure que celle des catholiques. Or cette courbe a été construite à une époque où la persécution n’a pas atteint son maximum, les dix dernières années avant la Révocation ne sont pas prises en compte. Certes, les persécutions commencent plus tôt à Privas puisque dès 1664 un arrêt d’expulsion est pris à l’encontre des réformés, mais ces attaques n’ont pas la même ampleur que celles de 1685. Les relations entre les deux communautés sont difficiles, la mémoire de la guerre de 1629 et les exigences seigneuriales constituent des facteurs de tensions. Mais cette courbe n’est donc pas seulement le résultat des agressions des catholiques. La conviction religieuse des réformés privadois semble fragile. Ce constat est cohérent avec l’importance des conversions des réformés privadois, déjà observée grâce aux prénoms vétérotestamentaires dans la population catholique.

La comparaison avec les courbes de la population réformée, pour Villeneuve-de-Berg et Annonay, montre une nette individualisation des comportements. Il est vrai que la population réformée de Villeneuve-de-Berg est réduite, le nombre de mariages est donc également peu important ce qui rend la courbe plus difficile à interpréter. Le creux de Mars n’apparaît pas ici. La période de l’Avent, en revanche, est respectée. Mais c’est parfois une exigence des pasteurs de respecter le temps de l’Avent. De même, les deux communautés annonéennes ont un rythme de mariage très différent, le seul point commun étant le creux de l’été, mais cette ressemblance est le résultat de faits économiques et non confessionnels.

Ainsi, le schéma qui avait commencé de s’esquisser se confirme. On peut distinguer Villeneuve-de-Berg et Annonay et d’autre part Privas. Les deux premières villes présentent des comportements très différents entre les deux communautés, en dépit de rapports de force démographiques très différents. En revanche les deux communautés privadoises ont des comportements voisins associés à des conversions. C’est le signe incontestable que la frontière confessionnelle, dans ce dernier cas, est floue.

Notes
178.

ADA 4 E registre paroissial d’Annonayet SAGA Annonay 010-1, p. 73, 26/4/1678.

179.

Voir graphiques 55 et 56.

180.

Voir graphiques 5, 9, 10, 11 et 12.