b) Le rôle du clergé et des notables

Le respect des temps clos est avant tout la manifestation d’une reprise en main des fidèles par le clergé. L’importance de celui-ci est très claire à Annonay et à Villeneuve-de-Berg. Sa densité élevée, l’exemple annonéen a déjà été cité, favorise la diffusion du message auprès des fidèles. A Villeneuve-de-Berg, les Capucins ont apparemment joué un rôle majeur dans la conversion à la fois des réformés mais aussi des catholiques. Si elle est difficilement

mesurable, cette action est tout de même appréciable au travers de quelques exemples. Ainsi, lors du mariage d’un notable réformé de Villeneuve-de-Berg, Christofle Jeune, on aperçoit l’activité des capucins dans la conversion :

‘« L'an 1677 et le 28 février Christofle Jeune fils à feu César après avoir fait abjuration de l'hérésie entre les mains du père Cordier des Capucins publiquement épousa Marie Champ fille à feu Jean en présence.. » 181

Ici le travail du clergé est facilité par la position minoritaire des réformés. A propos de Privas, en revanche, le rôle du clergé est l’objet d’un débat. E. Reynier souligne le faible rôle du clergé à Privas :

‘«  le clergé catholique a disparu complètement de la ville de 1565 à 1630 ; l'église est détruite, sauf le clocher ; le culte supprimé » 182

Après 1630, la réinstallation du clergé se fait difficilement surtout pour les réguliers.

‘« quelques missions passagères et sans efficacité sérieuse prennent pied, ou s'y efforcent. De 1630 à 1680, un curé suffit aux besoins religieux de la paroisse ; encore ne semble-t-il pas y habiter toujours. Il faut arriver à l'exode de 1664 pour retrouver une vie catholique longtemps faible, et à la Révocation, pour voir, ici comme partout, le grand effort de propagande missionnaire » 183 .’

Est-ce bien réel ? Privas semble l'objet d'efforts soutenus de la part de l’évêque de Viviers et des Etats du Vivarais, dès 1650, avec l'envoi de Sulpiciens ou de Récollets. Les Récollets s'installent à Privas en 1648. En mars 1652, les Etats du Vivarais, réunis à Privas, puis ceux de la Voulte en 1654, leur accordent 200 livres pour bâtir une chapelle. L'arrêt de 1664 leur cède, pour bâtir leur couvent, l'emplacement où étaient les fortifications avant le siège. Les Etats de 1681 leur accordent encore 1200 livres pour achever leur église 184 . Les biographies de quelques membres du clergé privadois, rédigées par E. Reynier, semblent en contradiction avec les affirmations précédentes. Il s’agit en effet souvent de prêtres qui ont une réelle envergure. Si Tubières de Queylus séjourne très peu à Privas, il a sans doute exercé une influence sur son vicaire et futur curé de Privas, Couderc. De Queylus est né en 1612 dans le diocèse de Rodez, il travaille avec le fondateur des Sulpiciens, M. Ollier, en 1645 et devient supérieur du séminaire de Viviers en 1653, par ordonnance de Mgr de Suze. Il est curé de Privas de 1654 à 1657. En réalité, son nom apparaît très peu dans les registres paroissiaux, c'est surtout son vicaire Couderc qui assure la charge de la paroisse. Né en 1629, fils d'un conseiller au parlement de Toulouse, il a écrit un catéchisme de controverse à destination des « nouveaux convertis ». Il se forme à la controverse lorsqu'il est vicaire de Tubières de Queylus. Il prêche des missions en Vivarais. En 1658, il prend en charge les petites écoles des garçons. Puis il devient ensuite supérieur du séminaire de Viviers (1661-1686). C’est, semble-t-il, la reconnaissance par la hiérarchie catholique de sa valeur, selon les normes de l’époque évidemment, c’est à dire sa capacité à ramener « les brebis égarées », qu’elles soient réformées ou catholiques. Il meurt à 57 ans. Vicaire de Privas, Tubières de Queylus étant curé, il rédige les registres paroissiaux en latin, ce qui est inhabituel, aucun autre prêtre à cette époque ne rédige ainsi les registres paroissiaux. Il continue pendant toute l'année 1655, d'une écriture soignée, ce qui laisse deviner une solide éducation. Guibert enfin est curé de Privas de 1659 à 1681, il devient official des Boutières en 1665. C’est sans doute un signe de la confiance que lui accorde l’évêque Louis de Suze. C'est donc le troisième curé de Privas à faire partie des « prêtres d'élite ». Les deux premiers curés sont les symboles mêmes des prêtres de la Réforme catholique : d’origine urbaine, venus de l’extérieur du diocèse, ils sont issus d’un milieu social élevé. Bien plus tard, les intendants reconnaîtront la nécessité de prêtres adaptés à la situation particulière de Privas 185 . Ce qui laisse à penser qu’il y a eu des prêtres, avant le curé Doize très critiqué au début du XVIIIe siècle, qui répondaient aux critères de la Réforme catholique. De plus, la densité de prêtres dans la paroisse de Privas est plus élevée que dans le reste du diocèse, avec des variations, il est vrai, selon les périodes. Est-ce leur action qui est à l’origine de cette re-confessionnalisation qui marque les fidèles catholiques et fait vaciller les réformés privadois ? Ce n’est sans doute qu’un élément, mais il n’est pas à négliger, dans un contexte qui sera étudié.

En revanche, s’il n’est pas question d’entrer dans la polémique 186 qui a longtemps eu cours sur le nombre de conversions opérées par ces curés dans la population réformée de Privas, il convient toutefois de mettre en relation le nombre élevé 187 de prénoms vétérotestamentaires chez les catholiques privadois avec la courbe des mariages alignée sur celle des catholiques. Ces prénoms sont le signe qu’il y a eu des conversions, sans pour autant remettre en cause le rapport de force numérique au bénéfice des réformés privadois.

L’action du clergé ne semble toutefois pas suffisante pour expliquer les évolutions et l’implantation de la Réforme catholique. Le rapport de force démographique n’est pas, lui non plus, un élément décisif dans la compréhension. Le rôle des notables paraît, en revanche, essentiel. L’analyse des prénoms permet de le confirmer 188 . Le taux de prénoms bibliques est moins important chez les notables privadois réformés 189 que dans le reste de la population, alors que l’inverse est observable à Annonay 190 . Cette différence dans l’importance des prénoms est peut-être un signe d’attachement religieux et confessionnel différent. Ces écarts dans le comportement des notables ont des conséquences sur l’ensemble de la communauté. L’attachement des notables réformés à leur confession semble déterminant. Le constat semble confirmé également pour les catholiques. Lorsque les notables catholiques sont attachés à leur religion, comme cela semble être le cas à Annonay, la Réforme catholique n’a pas de peine à s’implanter. La faiblesse de la frontière confessionnelle à Privas peut donc être expliquée par le contexte de tension qui a renforcé la pression des catholiques sur les protestants et favorisé le mouvement de conversion et par l’insuffisance de la résistance des notables. Toutefois l’utilisation des pourcentages de prénoms vétérotestamentaires comme signe d’attachement confessionnel trouve également ses limites. Les réformés villeneuvois choisissent encore largement des prénoms vétérotestamentaires entre 1671 et 1684 et pourtant ils n’envoient aucun représentant au synode de Vernoux en 1657 ; cette absence pourrait être un signe d’une foi fléchissante. 191 C’est donc un faisceau d’indices convergents qui est à prendre en compte.

Notes
181.

SAGA 341-5, registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg, 28/02/1677

182.

E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, vol. 2, ouvrage cité, p. 105-106.

183.

E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, vol. 2, ouvrage cité, p. 107.

184.

D’après E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, vol. 2, ouvrage cité, p. 105.

185.

En 1709, à propos du curé Doize, le subdélégué reconnaît que la conduite du curé est «  violente, ambitieuse la plus remplie de vanité, la plus intéressée et la moins pastorale..il est brouillé avec toute la ville. Il n'y a pas un homme ny pas une honnête femme avec lesquels il n'aye eu rixe.. Je ne prétends pas parler de ses mœurs c'est un article à part, mais il ne convient en aucune manière pour curé de Privas, ville capitale par rapport aux NC du Vivarais » cité par E. Reynier, ouvrage cité, p. 106.

186.

E. Reynier, Histoire de Privas, Vicissitudes religieuses et politiques, tome II, volume 1, Aubenas, 1943, p. 99, réagit vivement, en historien de sensibilité protestante, aux affirmations infondées de G. Guitton auteur de Saint-Jean-François Régis, 1937, lequel reprenant les conclusions du P. De Gigord attribue à Jean-François Régis un nombre impressionnant de conversions dans Privas. Le débat montre que le sujet est resté (et reste encore peut-être ?) pendant longtemps brûlant.

187.

Le taux est le plus élevé des trois villes. Voir tableau n° 18.

188.

Voir tableau 18.

189.

L’étude a été faite à partir de la liste des consuls privadois en 1663 : on obtient 5,3 % de prénoms vétérotestamentaires contre 9,15 % dans l’ensemble de la population réformée privadoise.

190.

L’étude a été réalisée à partir de la liste des consuls sur la période1629-1685 : on obtient 13,79 % de prénoms vétérotestamentaires pour les consuls réformés contre 5,29 % pour l’ensemble de la population réformée d’Annonay.

191.

AN TT 275 A, Actes du synode des Eglises réformées du Vivarais, Forez et Velay, le 24 avril 1657 et jours suivants, folio 1.