c) Les formules utilisées : un signe de différences chronologiques dans la pénétration de la Réforme catholique

Enfin, les formules utilisées par les prêtres lors des mariages pourraient constituer un dernier indicateur de l’implantation de la Réforme catholique. Le mariage est un sacrement depuis le concile de Florence en 1439. Le mariage est réalisé si les époux l’ont accepté et dès qu'ils ont eu des relations sexuelles. Avant le concile de Trente, le prêtre n'était qu'un témoin. C’est à partir du concile que le décret Tametsi fait du prêtre un acteur plus actif du sacrement et impose un rituel avec publication des bans dans l'église de chaque fiancé et exige la présence de témoins. Le prêtre n'est plus un témoin passif mais donne la bénédiction. Quand et comment ces décisions du concile ont-elles été appliquées en Vivarais ? Les formules utilisées lors du mariage donnent quelques indications. Ainsi, lors du mariage catholique Amblard-Reynaud, à Villeneuve-de-Berg la formule utilisée est la suivante :

‘« L'an 1674 et le 6ème may Jean Amblard fils à Pierre, espousa Suzanne Reynaud fille à feu Estienne du lieu de St Maurice d'Ibie en présence.. » 200

Le rôle du prêtre, ici le curé Teyssier, ne semble pas particulièrement souligné. La formule évoque plutôt une conception pré-tridentine du mariage, dans laquelle les deux époux sont les seuls acteurs du sacrement. Mais l'année d'après, 1675, un changement de curé a lieu et la formule change. Le nouveau curé, Saboul, écrit :

‘« L'an mil six cent soixante et quinze et le 8e jour du mois de fébvrier a esté célébré mariage en face de notre Sainte mère l'Eglise, entre Laurent Dussart fils a feu Artaud et Jeanne Ribeau, et Marguerite Auzally fille à Anthoine et feue Jeanne Chalamon habitant de cette paroisse illitérés ayant au préalable publié un ban sans avoir trouvé aucun empêchement canonique et ayant obtenu des autres auquel mariage ont été présents.." 201

Les formules ont donc changé, signe de l'implantation de la Réforme catholique, car la famille des deux époux est clairement identifiée, les questions de bans sont plus soigneusement étudiées, et surtout le clergé apparaît plus actif dans le déroulement du mariage ainsi que le révèle la formule : « a esté célébré en face de notre Ste mère l'Eglise » .

La place plus importante du prêtre dans le mariage est donc un fait tardif à Villeneuve-de-Berg, mais plus précoce à Annonay. Un tel retard peut être mis en lien avec la courbe des conceptions des fidèles catholiques peu marquée par les exigences tridentines.

Un mariage célébré par Tubières de Queylus, curé de Privas, permet de revenir sur la pénétration de la Réforme catholique par l’intermédiaire de ces prêtres étrangers au diocèse. Les formules qu’il utilise, et ceci dès 1654, sont les suivantes :

‘« Le vingt-septième…après avoir exprimé leur consentement en la forme requise ont contracté mariage en face de la Saincte Eglise en présence de .. ». 202

Elles montrent que les exigences tridentines sont prises en compte, le prêtre, représentant de l’Eglise tout entière devient un acteur dans le mariage. Ses successeurs utilisent des formules voisines. Couderc, vicaire puis curé de Privas en 1659, remplit les nouvelles obligations concernant la publication des bans et la présence de témoins :

‘« après la publications des troix bans, ont contracté mariage en face de la Ste Eglise par paroles de présent.. » 203

Guibbert, successeur à la cure de Privas, reprend les mêmes formules, en 1671. Il est très surprenant de constater qu’une ville comme Privas a donc connu l’influence de la Réforme catholique plus tôt que Villeneuve-de-Berg où la densité du clergé est beaucoup plus importante. Ce constat permet de conforter l’idée émise précédemment sur le rôle important de ces prêtres, « fers de lance » de la Réforme catholique, dans la répartition mensuelle des mariages, et plus largement dans la diffusion des idées nouvelles.

Cette évolution ne manque pas de rappeler les mariages réformés. Le rôle du pasteur paraît important. Le déroulement d’un mariage à Villeneuve-de-Berg dans l'Eglise réformée, par le pasteur du Pradel Jean Paget, permet d’illustrer le propos :

‘« Ce jour d'huy troisième janvier à l'heure du presche au matin et au commencement des exercices de piété par moi Jean Paget ministre de ladite maison dudit sieur du Pradel a esté béni le mariage.. ». 204

Le mariage se passe le dimanche, le jour du culte, et pendant un culte, signe du poids des pasteurs sur les fidèles et de l’acceptation de ces consignes par la population réformée.

En 1650, à Annonay la même formule est employée :

‘« Le 7 septembre 1650 Sr Etienne Léorat, bourgeois et Damoiselle Françoise de Marsanne de Fontjullianne ont reçu la bénédiction de leur mariage » 205 .’

Dans les deux cas, le rôle du pasteur paraît important, parfois plus que celui du curé dans l'Eglise catholique. C’est ce qui nous avait conduit à utiliser le terme de clergé pour les deux confessions, dans le chapitre d’introduction. Une autre ressemblance, la publication des bans chez les catholiques et les trois publications avant mariage chez les réformés, se retrouve fréquemment. Mais il semble que ce soit une contrainte qui n’apparaît qu’après 1671.

Notes
200.

SAGA 341-5, 1674, registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg.

201.

SAGA 341-5, 8/2/1675, registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg..

202.

SAGA 186-1, 27/06/1654, registre paroissial, Privas.

203.

SAGA 186-1, 20/2/1659, registre paroissial, Privas.

204.

SAGA PRP 13-1, 01/01/1677, registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg.

205.

dans SAGA PRP 02-4, registres d’actes pastoraux d’Annonay, 1650, reproduction de l’original annexe 11.