b) Les facteurs de l’enracinement des courants mystiques

Quelle explication peut-on donner à cette importance des courants mystiques à Annonay ? La présence des Ventadour, seigneurs d’Annonay dont on connaît l’action déterminée dans la compagnie du Saint Sacrement, est sans doute décisive. Mais aucun document, à ma connaissance, ne vient étayer cette hypothèse. Des villes importantes avec lesquelles les notables d’Annonay ont des relations, comme Lyon ou Grenoble, se dotent dès les années 1630 de compagnies 217 . Enfin le lien commercial avec d’autres centres importants, comme Lyon, a sans doute favorisé les brassages d’idées.

Les notables annonéens ont donc un rôle privilégié dans les deux confessions. Parmi les réformés, ils animent le consistoire. Chez les catholiques annonéens ils participent largement à l’expérience mystique. Les dévots annonéens ont été actifs dans la création de confréries. Celle du « Très Saint Sacrement » date de 1613. Une date très précoce pour une confrérie dont le nom révèle les préoccupations nouvelles de la Réforme catholique. A Villeneuve-de-Berg, la confrérie des pénitents blancs du Saint Sacrement ne fut fondée qu’en 1627 par les capucins présents dans la ville depuis deux ans 218 . Ces confrères du Saint Sacrement accomplissent leurs dévotions au prieuré de Trachin, on les appelle des pénitents. Ainsi, Pierre Dodin, conseiller du roi, juge conservateur des Equivalents, dont l’épouse est Anne Caron, lègue 1000 livres pour la chapelle des Pénitents. C'est le même Dodin qui a favorisé la venue des sœurs de Notre-Dame de Tournon alors qu’il était syndic des catholiques en 1630. Les pénitents vont être installés dans l'ancienne chapelle de l'Aumône dépendant de l’hôpital du même nom. L’historien d’Annonay rappelle que les notables sont présents dans cette confrérie et jouent donc un rôle actif dans la mise en place de la Réforme catholique :

‘« Les familles les plus distinguées adhèrent à cette confrérie » 219 . ’

Mais cette affirmation est invérifiable, ces registres de confréries ont été détruits. La situation d’Annonay rappelle donc des exemples connus, ceux de Rouen, de Paris ou encore de Lille dans lesquels les officiers de justice jouent un rôle essentiel dans la fondation des confréries et de la compagnie du Saint Sacrement.

Cet encadrement de plus en plus étroit de la population semble avoir eu des conséquences sur les fidèles. En effet, la courbe des conceptions d’Annonay 220 présente un profil différent de celui des deux autres villes. Les « temps clos » semblent nettement mieux respectés qu’à Privas ou même qu’à Villeneuve-de-Berg. Les injonctions du clergé concernant la morale sexuelle semblent donc avoir touché les fidèles. C’est le signe de l’ampleur et de la profondeur de la conversion, car ces comportements sont souvent les plus difficiles à modifier. Les périodes du Carême et de l’Avent, « creux de mars » et de décembre, sont souvent ponctuées par des prédications, assurées par des missionnaires étrangers au diocèse 221 . Ces sermons ont sans doute accentué l’effet des autres facteurs. Le réseau de confréries et la détermination des dévots complètent cette action. Ce comportement des fidèles catholiques renforce donc l’impression qu’Annonay a une évolution différente de celle des deux autres villes étudiées.

Ainsi, la communauté catholique paraît stimulée par les nouveaux courants issus de la Réforme catholique. Mais affirmer qu’en 1685 ces idées nouvelles ont pénétré tous les esprits, jusque dans le plus reculé des villages du Vivarais, serait très exagéré. La confessionnalisation de cette communauté présente encore beaucoup de lacunes. Par ailleurs, les inégalités géographiques sont considérables. La comparaison entre les trois villes étudiées a permis de le montrer. Ces inégalités tiennent à de multiples facteurs. Le rapport de force entre catholiques et protestants en est un. Les confréries ont ainsi plus de difficultés à se développer à Privas dans une population majoritairement réformée. Mais il est loin d’être le seul. En effet, le comportement des catholiques de Privas semble, sur certains points, plus conforme aux attentes tridentines que celui des fidèles de Villeneuve-de-Berg où le rapport de force démographique est en faveur des catholiques. Il faut donc rappeler l’importance d’autres facteurs, celui des réseaux très actifs de dévots, majoritairement composés de notables, qui démultiplient l’action du clergé et le rôle des curés dont la formation, nous l’avons rappelé, s’améliore. A cela il faut ajouter l’état des relations entre les deux communautés. C’est donc l’étude de ces relations qui fera l’objet du point suivant.

Notes
217.

J.-P. Gutton, Dévots et société au XVII e siècle, construire le Ciel sur la Terre, Paris, 2004, p. 20.

218.

Mollier A., Recherches historiques sur Villeneuve-de-Berg, Villeneuve-de-Berg, 1866, p. 35.

219.

Filhol A., Histoire religieuse et civile d’Annonay, Annonay, 1882, p.102.

220.

Graphique 16.

221.

Chomel le béat, ouvrage cité, p. 591.