b) Frontière confessionnelle, séparation sociale et géographique des deux communautés.

La séparation géographique des deux communautés est un signe supplémentaire de l’existence d’une frontière confessionnelle. Il n’est pas possible de dresser une carte précise de cette répartition pour le XVIIe siècle. Mais cela est possible pour le siècle suivant. Au XVIIe siècle la situation nous est connue simplement par un détail rapporté par Chomel le béat. En 1618, ce dernier rappelle que :

‘« Le faubourg de la Récluzière était presque tout entier composé de maisons de religionnaires, lorsque M. Neron (chanoine) était obligé de porter le corps sacré de Notre Seigneur à quelque malade il était obligé de le porter en secret et dans une boette dans sa poche de crainte de s'exposer aux insultes des hérétiques » 234 .’

Une telle concentration rend difficile les relations et favorise la forte différenciation des deux groupes. Certes, la situation n’est pas tout à fait comparable avec celle décrite par R. Moulinas pour les juifs d’Avignon 235 , mais il y a une séparation géographique très nette que l’on pourra confirmer et préciser au XVIIIe siècle.

Par ailleurs, les différentes formes de sociabilité, dont malheureusement peu nous sont connues, semblent bien privilégier les relations uniquement au sein du groupe confessionnel. L’observation d’une famille de notables réformés d’Annonay, les Laurent 236 , donne quelques indications. En 1677, Antoine Laurent devient un consul protestant d'Annonay pour un an. Son grand-père a déjà été consul en 1607 et son père en 1640. C'est donc une lignée de notables. Son père, Jean Laurent, a épousé Madeleine Chomel fille d'Antoine Chomel, marchand tanneur protestant d'Annonay. Antoine Laurent a épousé Marguerite Devinay, fille du pasteur Alexandre Devinay. L’endogamie confessionnelle et sociale se confirme donc ici. Les relations dans la famille montrent également des liens étroits pour différentes formes de sociabilité, par exemple, la tuade du « porceau », qui est acheté et tué en famille, puis partagé. Des habitudes qui soulignent également le lien étroit entre monde rural et urbain. Les femmes de la famille ont l’habitude de se rencontrer pour échanger des tissus, ainsi sa belle-sœur Nanon Devinay a donné à sa femme « 3 aunes de guipure noire pour mettre sur sa jupe de satin blanc » 237 . De même les échanges de livres constituent des occasions de rapprochement .

Bien évidemment, il est difficile, à partir d’un exemple de tirer des conclusions générales, mais très peu de documents montrent des relations entre catholiques et réformés en dehors du champ professionnel. Les deux communautés semblent donc vivre avec le minimum de contact. Mais il nous manque, pour faire un point exact, les registres du consistoire d’Annonay, dans lequel pourraient apparaître les censures pour la participation à une fête aux côtés des catholiques.

Notes
234.

ADA 1 MI 150, Chomel le béat, ouvrage cité, p. 345.

235.

R. Moulinas, Les juifs du pape : Avignon et le comtat Venaissin, Paris, 1992.

236.

ADA 2 MI 351 R 2, A. Laurent, Le journal d'Antoine Laurent, Annonay, 1685.

237.

ADA 2 MI 351 R 2, A. Laurent, Le journal d'Antoine Laurent, Annonay, 1685, p. 6.