2. Privas et Villeneuve-de-Berg : deux exemples de frontières confessionnelles floues.

Privas et Villeneuve-de-Berg offrent l’exemple de limites plus floues entre les deux communautés.

a) Les prénoms vétérotestamentaires signes d’une frontière peu étanche.

La différence de pourcentage de prénoms vétérotestamentaires dans les deux villes montre que la frontière confessionnelle est moins étanche, et qu’il y a des passages 244 . Les différences sont de 3,90 pour Privas et 3,21 pour Villeneuve-de-Berg. Ce plus faible écart peut être interprété de plusieurs manières. Les réformés pourraient chercher à éviter les provocations en choisissant des prénoms plus neutres, surtout lorsqu’ils sont en situation d’infériorité numérique comme c’est le cas à Villeneuve-de-Berg. Toutefois, l’analyse des prénoms vétérotestamentaires nous a montré qu’ils choisissaient ce type de prénoms dans les mêmes proportions qu’à Privas. De plus, après la Révocation, les réformés villeneuvois conserveront le même taux de prénoms bibliques, la persécution n’est donc pas en cause pour expliquer la modération de leur comportement. Cela peut également révéler la présence de mariages mixtes ou de conversions. Les conversions semblent être les plus fréquentes à Villeneuve-de Berg. Un extrait d’une délibération municipale le confirme en 1658 :

« Chamboy, premier consul, assisté d'André Vernet et Etienne Cheyron, ses collègues, a dit que depuis l'établissement des révérends pères capucins en cette ville, la religion catholique y a fait beaucoup de progrès, que plusieurs familles s'y sont converties, que le prêche qui s'y disait auparavant y a cessé et en la plupart des lieux circonvoisins, que la confrérie du Saint-Sacrement y a été établie et les catholiques se sont rendus si dévots et si zélés au service de Dieu par les soins desdits religieux, qu'il y a sujet de louer et remercier Dieu du bon état où cette ville se trouve présentement » 245

Mais ce texte a été écrit afin d’obtenir d'autres religieux capucins, d'où peut-être l’exagération de la part des consuls à propos du nombre de conversions et de la dévotion des catholiques villeneuvois. La courbe mensuelle des mariages confirme en effet la conversion des catholiques aux principes tridentins, en revanche la répartition des conceptions en montre les limites, car les « temps clos » ne sont pas respectés. Les registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg signalent des cas de mariages mixtes précédés d’une conversion. Ils concernent souvent des notables comme dans le cas du mariage entre Guillaume de Griléon et Anne de Chambonnet. Dans ce cas, c'est l'épouse qui se convertit : « après avoir fait profession de foy ». Lors d’un autre mariage, en 1661, entre Antoine Chastaing, réformé, originaire de Die, et Catherine Charbonnier, catholique, c’est l’inverse qui se produit, l'époux se convertit : « après avoir fait abjuration de l'hérésie ». 246

Les mariages mixtes sont pourtant sévèrement réprimés par les consistoires. L’exemple suivant concerne l’Eglise de Lagorce à laquelle la communauté de Villeneuve-de-Berg fut rattachée pendant quelques années. Les sanctions prises sont lourdes. En témoigne l’exemple d'un notable fréquentant l'église de Lagorce, Noé Eldin, ancien de la communauté, censuré pour avoir laissé sa fille se marier avec un catholique :

‘« A  comparu Nohé Eldin du lieu des Salelles lequel a advoué d'avoir consenti au mariage de Suzanne Eldin sa fille avec une personne de la Religion romaine nonobstant les diverses remontrances et plusieurs exhortations qui lui ont été faites par plusieurs personnes et surtout par le dit sieur Chenal, tant en particulier qu'en présence de cette compagnie pour le détourner du dessein qu'il avait témoigné d'avoir de conclure le susdit mariage. Sur quoi la compagnie lui a témoigné le déplaisir qu'elle a de sa conduite, lui a vivement représenté la faute et combien grand est le scandale qu'il a donné à l'Eglise dans laquelle ayant charge d'ancien il devait être un exemple de pureté et de zèle pour ses prochains, et la compagnie l'a jugé digne de la grande censure, et l'a déclaré déchu et privé de ladite charge d'ancien en cette Eglise et outre ce, suspendu de la participation au sacrement de la Sainte Cène et de ne pouvoir présenter aucun enfant au St baptême jusqu'après la Ste Cène à Pentecôte prochaine… » 247

On mesure avec ce document les écarts entre les décisions des pasteurs et du consistoires et le comportement des fidèles. Les mariages mixtes sont une réalité dans une communauté où les effectifs réformés sont réduits et marqués par une baisse. Dans de telles conditions, le choix d’un conjoint réformé est difficile sinon impossible.

Notes
244.

Voir tableaux 9 et 24.

245.

ADA E dépôt 81 BB1, archives de la communauté de Villeneuve-de-Berg, 1658, p. 23.

246.

S.A.G.A. 341-4, registres paroissiaux de Villeneuve-de-Berg, 30/01/1659.

247.

Bibliothèque de la S.H.P.F., cote MS E 89, registre du consistoire de l’Eglise de Lagorce, 1665, p. 21.