c) Les ressemblances dans les courbes de mariages : un autre signe d’une frontière confessionnelle perméable.

Un autre signe des influences catholiques sur les réformés peut être repéré dans la mise en place des pratiques catholiques sur la courbe des mariages réformés 257 . Le faible nombre de mariages pendant la période de l’Avent, le creux de mars se distinguent nettement et traduisent très certainement une influence du clergé catholique. Cette influence est favorisée par le climat de persécution qui s’engage dès 1661, et dont les manifestations dans la région sont bien visibles. Les registres paroissiaux nous rappellent que le départ forcé des réformés de Privas, en 1664, 258 est bien une réalité, les « ci-devant » de Privas vivent dans des quartiers périphériques. Même s’ils appartiennent encore à la communauté privadoise, ils sont hors-les-murs. A cela s’ajoute la raréfaction des pasteurs et temples. Autant d’éléments qui ont pu jouer pour favoriser la mise en place d’une telle répartition des mariages. Un autre élément permet d’affirmer qu’il s’agit bien d’une influence catholique ; les Eglises réformées des environs de Privas ne se comportent pas de la même manière. Certes leur composition sociale n’est pas la même, la part paysanne est plus importante, mais surtout le clergé catholique est moins actif et des pasteurs sont plus présents 259 . La comparaison des deux courbes montre nettement que les réformés privadois respectent le temps du Carême et celui de l’Avent, alors que ceux des villages environnants à majorité protestante ont un comportement différent, avec une courbe qui ignore le « creux de mars ». D’autres différences sont perceptibles : la courbe de la population réformée des environs de Privas n’a pas de maximum secondaire en été, alors que c’est le cas pour Privas. L’explication tient ici au mode de vie : c’est l’opposition entre une population largement agricole, alors que les réformés privadois sont majoritairement des artisans. Cette courbe a des allures prémonitoires, elle annonce la fin d’une époque, celle de Privas, « petite Genève », capitale des Boutières protestantes, pour inaugurer celle d’une ville « mal convertie » mais coupée de son arrière-pays. Le choc de la Révocation achèvera l’évolution. Le rapport de force numérique entre les deux communautés n’est donc pas le seul facteur d’explication des comportements, d’autres éléments entrent en jeu. La communauté de Privas, en dépit de son avantage démographique, connaît un alignement sur le comportement catholique. Cela peut être le résultat de l’action du clergé, du peu d’implication des notables réformés, l’analyse des prénoms vétérotestamentaires nous a montré un taux très réduit dans ce groupe social, ou enfin, celui de pressions extérieures, dont il sera fait état par la suite.

Le début des persécutions a également des effets sur le comportement des réformés annonéens. La courbe de mariages des réformés 260  permet de distinguer, comme dans le cas privadois, un alignement progressif sur les catholiques et une frontière confessionnelle partiellement remise en cause avec les persécutions et la mise en place d’un climat d’insécurité. La courbe des mariages réformés a singulièrement changé entre 1640 et 1680. Elle ressemble de plus en plus à celle des catholiques. Par exemple le « creux de mars »

commence d’apparaître. Certains réformés respectent donc le « temps clos » du Carême. Ce changement peut être interprété comme la prise de conscience d’une situation désormais minoritaire à Annonay. Sans doute la perte du consulat en 1679 261 a-t-elle contribué à cette prise de conscience. Les réformés essaient désormais de ne plus provoquer le clergé catholique et les dévots par des mariages pendant les « temps clos ». Pour autant les réformés ne sont pas décidés à se rapprocher davantage des catholiques : les recherches de conjoints hors d’Annonay, parfois à des distances importantes, pour respecter l’endogamie confessionnelle, montrent ce refus de s’associer aux catholiques. D’autre part, les témoignages de certains notables montrent qu’ils sont persuadés qu’ils ne craignent rien en dépit des menaces qui s’accumulent. L’insouciance du médecin annonéen A. Laurent en 1685 est impressionnante. Face aux persécutions aucun préparatif de départ n’apparaît dans son livre de raison, comme s'il n'arrivait pas à croire à la réalité des persécutions : il continue d'acheter du « bled » et fait entretenir sa vigne. 262

Notes
257.

Voir graphique n° 18 et 19.

258.

Confirmé par le document cité par E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, volume 1, Privas, 1946, p. 209-210, et mentionné dans bulletin de la S.H.P.F.; II, 1853, pp. 40-41, lettre des « Anciens et jadis habitans de Privas à messieurs les Pasteurs et Anciens de l'Eglise refformée de Lyon (Décembre 1667) » à propos du départ de Privas des protestants (toutefois la réalité de ce départ est contesté par Molinier, les protestants seraient simplement allés au culte hors de Privas, mais auraient continué d'habiter leurs maisons dans Privas, hypothèse difficilement acceptable compte-tenu du nombre d’informations concordantes à propos du départ).

259.

On relève une situation totalement inversée à Annonay (voir graphique 57) : les communautés réformées des environs ont une courbe de mariages qui s’aligne davantage sur le modèle catholique avec un creux de mars-avril bien marqué ; l’originalité de la situation des réformés d’Annonay en est renforcée. Les contrastes sociaux permettent également d’expliquer les différences constatées dans les courbes.

260.

Voir le graphique n° 5 et 20.

261.

Ce point sera étudié dans le chapitre suivant.

262.

ADA 2 MI 351 R 2, A. Laurent, Le journal d'Antoine Laurent, Annonay, 1685, p. 58.