Pourquoi la frontière confessionnelle est-elle plus perméable à Privas et Villeneuve-de-Berg qu’à Annonay ? Nous avons rappelé que les rapports de force démographiques étaient à prendre en compte mais qu’ils ne peuvent tout expliquer, faute de quoi la situation de Villeneuve-de-Berg et Privas serait incompréhensible. En effet, dans le premier cas on est face à une minorité réformée qui montre quelques signes de résistance, et dans le second cas, nous sommes en présence d’une communauté protestante majoritaire mais qui a beaucoup de mal à s’opposer à l’influence catholique. Toutefois le rapport de force ne tient pas seulement à la situation à un moment donné, mais également à l’évolution, or nous l’avons rappelé, les évolutions sont toujours défavorables aux réformés.Dans les trois villes, ils doivent faire face à une population catholique à croissance rapide. 263
L’autre explication possible tient aux inégalités sociales 264 . Les communautés réformées dont la proportion de notables est élevée semblent davantage résister à l’érosion. C’est le cas d’Annonay. La communauté réformée privadoise, en revanche, a une composition sociale moins favorisée par rapport aux catholiques ; est-elle, alors, soumise à la tentation d’imiter les notables catholiques 265 ? Un tel fait pourrait favoriser le mouvement de conversion. D’autre part, les notables constituent les piliers de la communauté, nombre d’anciens sont en effet des notables et leur présence contribue à préserver l’ensemble du groupe. Or dans la communauté privadoise deux facteurs de fragilité se conjuguent. D’une part les notables ne sont pas très nombreux, d’autre part, ces notables ne semblent pas très attachés à leur communauté, l’analyse des prénoms nous l’a montré. Ces deux éléments jouent en faveur des conversions et donc, d’une frontière plus perméable. La confirmation est donnée après 1685, la disparition des notables, notamment leur absence aux assemblées du « Désert », va modifier profondément l’allure de la communauté réformée.
Enfin, une dernière explication peut être trouvée dans les relations entre les deux communautés. Certes le contexte de tension est général dans le royaume après 1661, mais des situations locales peuvent renforcer ou réduire la persécution d’ensemble. La présence d’une relative entente semble favoriser l’étanchéité de la frontière, en revanche les affrontements, comme c’est le cas à Privas, conduisent à des situations plus incertaines. Ainsi des situations de flou confessionnel se mettent en place dès 1664 lorsque les privadois doivent quitter leur ville. Pierre Tavernol, par exemple, bourgeois réformé privadois épouse au temple en 1656 Judith Brun mais leur fils Armand est baptisé à l’église le 4 octobre 1665. 266 La confirmation est donnée en 1685, les réformés privadois fourniront alors les effectifs d’émigrés les plus nombreux parmi les trois villes. On a vu également à Privas les pratiques réformées s’aligner sur celles des catholiques à propos des intervalles entre naissances et baptêmes ou de la courbe des mariages ; l’étape ultime étant la conversion. En revanche dans les deux autres villes la situation est différente. Villeneuve-de-Berg offre un exemple d’une situation intermédiaire. Des conversions ont eu lieu assez tôt dans le siècle. Nous les avons vues apparaître dans les pourcentages de prénoms vétérotestamentaires chez les catholiques. En revanche, les différences de comportements respectifs se maintiennent en ce qui concerne les intervalles naissances-baptêmes ou dans la répartition mensuelle des mariages et des conceptions. Enfin Annonay, serait le modèle le plus poussé dans la mise en place d’une frontière étanche. En effet, aux caractéristiques relevées pour Villeneuve-de-Berg s’ajoute l’absence de conversions de réformés. Certes la distinction entre ces trois situations se brouille progressivement avec la mise en place de la répression. La pression des catholiques, du clergé et des missionnaires notamment, pousse les réformés annonéens à réduire l’intervalle naissance-baptême. Mais l’évolution est alors commune aux trois villes. D’autre part, l’influence des pasteurs va dans le même sens. Il est très difficile, dans l’état des données, de distinguer quel est le facteur dominant.
Les trois villes offrent donc différents modèles de frontière confessionnelle. La compréhension de ces situations très diverses impose le recours à une analyse plus précise des relations interconfessionnelles dans chacune de ces villes.
Voir graphique n° 7.
Voir tableau n° 22.
Mais cela infirme la conviction d’ E. Reynier, Histoire de Privas, Tome II, volume 1, p. 272-273, qui affirmait que les réformés étaient plus riches que les catholiques, en se basant sur des sources fiscales. Peut-être est-ce une surimposition des réformés, forme de ségrégation, qui est à l’origine de ce constat ? Autre explication possible, le constat fait par E. Reynier est antérieur au choc de 1664, alors que le tableau ci-dessous est postérieur.
SAGA Privas 186-1, page 82 et E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, vol. 1, ouvrage cité, page 198.