d) Le rôle des prédicateurs et des missionnaires.

Le rôle des prédicateurs et missionnaires et du clergé a déjà été en partie étudié dans leur effort de conversion. Quelques documents permettent d’analyser leur action dans la détérioration des relations intercommunautaires avant 1685 dans les trois villes étudiées. A Villeneuve-de-Berg, le culte protestant s'est arrêté en 1642 sous l'action des capucins, décision entérinée par délibération du conseil de ville de 1658. Une partie du clergé et la confrérie semblent avoir été très actifs pour accélérer la dégradation des relations entre catholiques et protestants. En 1627 est créée sous l'influence des capucins la confrérie des pénitents blancs du Saint Sacrement, comportant beaucoup de notables pour « redonner éclat au culte de la présence réelle et de la Vierge Marie ». Cette confrérie est accusée par les protestants d'être une société secrète dont « la campagne tenace et souvent sournoise contre les hérétiques vise à les éliminer des corporations et des métiers et à obtenir une application restrictive de l'édit de Nantes ». 304 L’affirmation est difficilement vérifiable, mais elle correspond à une phase de reconquête sans doute assez virulente de la part des catholiques après les guerres religieuses des années 20.

Un autre exemple d'un regard très agressif d'un membre du clergé catholique sur les protestants, le chanoine de Banne, auteur d’une chronique historique sur le Vivarais au début du XVIIe siècle. Lors de la peste de 1629 il accuse les protestants :

‘« L'année susdite 1628, les huguenots de Genève portèrent secrètement un onguent endiablé à Lion et frotèrent les marteaux des portes, les bénitiers des églises, et tous ceux qui touchèrent lesdits bénitiers ou marteaux prirent la peste. » 305

Donc une image négative est véhiculée qui a pu favoriser les tensions, mais aucun document ne vient l’attester. Par ailleurs, la légende des « engraisseurs » n’est pas propre au Vivarais, on la retrouve dans une grande partie de la vallée du Rhône à l’époque de la peste. Le chanoine n’a pas inventé l’accusation, mais il la reprend à son compte. De plus, le manuscrit du chanoine est resté confidentiel, donc peu susceptible d’alimenter les rumeurs.

Enfin, E. Reynier 306 cite le cas de Blanc, curé de Coux, paroisse proche de Privas, qui depuis 1644 joue un rôle actif dans l'oppression. En 1665, les Etats du Languedoc lui ont alloué 236 livres pour avoir « obtenu 5 arrêts au conseil tout à fait avantageux aux catholiques de cette province et reconnus tels par Messeigneurs les Prélats qui avaient pris la peine de les examiner ».

La reconquête entreprise par le clergé ou certains seigneurs déstabilise les équilibres fragiles entre les deux communautés. Les mentions concernant l’agressivité du clergé sont plus réduites pour Annonay. Est-ce une lacune des sources ou une confirmation de l’hypothèse émise précédemment à propos des relations plus sereines ? Mais les interventions extérieures favorisant les tensions peuvent trouver des limites dans leur application. Ainsi à Privas, l’arrêt de 1664 obligeant les réformés à quitter la ville a eu des conséquences lourdes en remettant en cause la gestion biconfessionnelle. En effet, en 1665, seul un syndic catholique est nommé. Mais en 1666 il y a retour à une situation de mixité ce qui permet d’imaginer que les réformés conservent un rôle actif dans les affaires de la cité. En effet, Pierre Blachier, syndic réformé en 1663, est à nouveau investi, or, les registres paroissiaux ne révèlent pourtant pas sa conversion au catholicisme. L’arrêt de 1664, dans lequel les autorités royales et l’évêque constituaient les facteurs extérieurs de tension, n’a donc peut-être pas été appliqué dans toute sa rigueur.

Notes
304.

Boulle M., « Villeneuve au temps du roi-soleil et du régent » dans Revue de la société des Enfants et Amis de Villeneuve-de-Berg, numéro spécial du sept centième anniversaire , Aubenas, 1984, pp. 151-237.

305.

Boulle M., « Villeneuve au temps du roi-soleil et du régent » dans Revue de la société des Enfants et Amis de Villeneuve-de-Berg, numéro spécial du sept centième anniversaire , Aubenas, 1984, pp. 151-237.

306.

E. Reynier, Histoire de Privas, tome II volume 1, Privas, 1946, p. 208.