2. La recherche du prestige dans les modes de vie.

Cette recherche du prestige se retrouve, chez les notables, avec une politique constante d’achat de terres et un rôle de prêteur. L ‘objectif de ce travail n’est pas de comparer sur un plan économique les deux communautés. Mais l’exemple suivant permet simplement de confirmer le développement précédent. Siméon Veyre, notable annonéen réformé, donne une illustration de cette volonté forcenée d'acquisition des terres. Dans le registre qu’il a rédigé intitulé :  Estat des fonds que Sr Siméon Veyre mon père marchand d'Annonay a acquis que le bon Dieu nous fasse la grâce de jouir longtemps en paix, 336 on relève des achats immobiliers fréquents et un nombre de quittances important, signe de l’activité de prêt. Parmi les achats immobiliers on relève l’importance des terres agricoles. Les notables annonéens, catholiques ou réformés, sont proches de la terre. Bien qu’ils aient d’autres activités économiques, ils ont également la volonté de vivre « noblement » en utilisant leurs terres. Les activités économiques et financières de la famille Veyre s’effectuent davantage avec des réformés qu’avec des catholiques. Mais tous les partenaires dans ces transactions n’ont pu être identifiés. Géographiquement, ses achats de terres sont regroupés autour d'Annonay, dans un rayon de moins de vingt kilomètres. Les notables catholiques ont un comportement identique. Les notaires et marchands, qu’ils soient catholiques ou protestants, prêtent et achètent des terres. De ce fait, le mode de vie des notables est largement influencé par le monde agricole. Les inventaires permettent d’imaginer la vie quotidienne des notables, largement façonnée par les exigences agricoles. Les maisons urbaines ont des allures de fermes ; le pressoir et la cave sont très fréquents. Les objets quotidiens d’usage agricole, le couteau à tailler, se retrouvent chez Desfrançois, notable catholique, ou chez Laurent, médecin réformé, avec une persistante chronologique étonnante.

D’autres signes de recherche du prestige apparaissent à travers la possession d’objets rares et de livres dans les habitations des notables des deux confessions 337 . Sur certains points la comparaison est impossible. Par exemple, les inventaires après décès des réformés, pour des raisons de sécurité, ne décrivent jamais les livres religieux après 1685. Ces informations confirment certains points déjà établis. La possession d’un nombre important de livres religieux révèle, parfois, une famille de dévots, un groupe dont on a déjà identifié certaines caractéristiques dans la partie précédente. Les Desfrançois, notables catholiques annonéens, ont acheté des offices de justice et ont très bien pu entrer en contact avec ces groupes de catholiques. La place des livres dans la maison, permet de penser qu’ils ont, au moins pour certains, dont l’Imitation de Jésus-Christ retrouvé dans la cuisine, constitué des lectures régulières. Ils montrent tous les thèmes de prédilection de la Réforme catholique. Annonay apparaît bien comme un pôle avancé dans la progression de la Réforme catholique. Les livres religieux sont-ils des signes de conversion chez les réformés après 1685 ? Dans le cas de Delacou, un banquier lyonnais issu d’une famille annonéenne, les tableaux religieux ont peut-être seulement une fonction esthétique. Quant à Tourton, notaire réformé annonéen, après sa conversion en 1685, il s’intéresse de très près à l’Eglise catholique et tente de comprendre les différentes sensibilités spirituelles du moment : molinisme, quiétisme et jansénisme. Il n’est donc pas étonnant de trouver quelques livres religieux catholiques dans sa bibliothèque.

La transformation de l’habitat semble se faire au même rythme pour les deux confessions. Avant 1750, les signes de luxe dans les habitations sont peu nombreux. Delacou est une exception, sans doute en raison de sa fortune et de ses habitudes de notable lyonnais. Les cheminées restent encore le principal moyen de chauffage. La spécialisation des pièces est parfois incomplète. Un lit peut être installé dans la pièce à vivre ou dans la cuisine, parfois pas seulement pour les domestiques. Les habits sont souvent identiques. En dépit des consignes des pasteurs 338 et des prêtres sur le refus du luxe dans les vêtements, la volonté d’ostentation, marque de prestige, est souvent la plus forte. A titre d’illustration, les descriptions précédentes peuvent être mises en relations avec les achats de vêtements que décrit Laurent, médecin réformé annonéen  après sa nomination au consulat : le 23/1/1678. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les objets signe de luxe, la montre en métal précieux par exemple, sont plus fréquents. Ils témoignent souvent d’une curiosité nouvelle pour le domaine scientifique. Le thermomètre ou la lunette d’approche se retrouvent chez les notables de chaque confession. Au total, c’est davantage la richesse que l’appartenance confessionnelle qui distingue les notables dans leur mode de vie.

Notes
336.

ADA 4 J 1, fonds Veyre de Soras, 1661-1673. L’analyse des modes de vie a été réalisée avec une série d’inventaires après décès dont quelques uns seulement sont présentés en annexe 2 ; notamment : ADA 37 B 83, pièce 16, inventaire des biens de J. Desfrançois (1669), ADA 36 J 3 inventaire après décès de F. Desfrançois (1707), ADA 36 J 36 inventaire après décès des biens de Fr. de Sauzéa (1641), ADA A MI 328 inventaire des biens d’Isaac Tourton (1701), ADA 1 MI 325, 326 et 327 livre de raison d’Isaac Tourton (1676-1705), ADA 37 B 50 pièce 28 inventaire des meubles de Me Louis Tourton, ADA 37 B pièce 40 inventaire des meubles de Sr André Lagrange (1746), ADA 37 B 85 inventaire des biens de Jean Veyrin (1729), ADA 39 B 1 (fol. 74-88) inventaire des biens de Jean Darnaud (1676), ADA 2 E 4656 inventaire des biens de Brueys de la Caumette (1744), ADA 37 B 85 inventaire des biens de F. Peyret (1694) et ADA 9 B 83 inventaire des biens de J. Johannot (1713) .

337.

Voir les pièces justificatives, annexe 2.

338.

Exemple au synode de Vallon, 1681, cité par S. Mours, « La vie synodale en Vivarais », ouvrage cité, p. 55-103 : « et pour donner des marques extérieures de cette réformation et de la mortification intérieure de nos cœurs dans ce temps calamiteux, la compagnie exhorte..tous les fidèles de l'un et l'autre sexe de faire paraître dans leur port et dans leurs habits une singulière modestie..qu'on s'abstienne..de toutes les couleurs éclatantes et pompeuses des étoffes et des rubans. Mais sur toutes choses, on retranchera tous ornements indécents et toutes sortes d'excès, danses, bals, mascarades, banquets, carnavals et toutes autres œuvres infructueuses des ténèbres. »