Les quelques témoignages des notables du XVIIesiècle montrent une résignation commune face à la mort ainsi que le souci d’une « bonne mort » ce qui ne signifie pas pour autant l’absence de sentiment face à la perte d’un proche. Ainsi Isaac Meissonnier, pasteur et fils de notaire, raconte dans ses Mémoires la mort de trois de ses cinq enfants :
«… mais puisque telle a esté la volonté de Dieu, je m’y soubmets et mets la main sur la bouche parce que c’est lui qui l’a fait » 340
La ressemblance avec l’attitude de Louis Chomel, fils de notable, catholique annonéen, est frappante. Le curé d’Annonay, Léorat-Picansel, décrit sa mort en 1768. Les caractéristiques sont les mêmes : le renoncement, l’acceptation de la volonté de Dieu et de la souffrance annonciatrice de la mort :
« Le juste seul peut avoir le bonheur de mourir d’une mort aussi édifiante et douce, tandis que les remords et l’agitation souillent les derniers instants des impies et des pécheurs » 341
Au XVIIesiècle, un autre notable, appartenant à la riche bourgeoisie d’Annonay, le médecin protestant Antoine Laurent, confirme cette première impression. Il souligne, dans son livre de raison en 1681, l’importance de la résignation et du courage à propos de la mort de son père :
« Mort. Ce jeudi 14 août 1681, sur les quatre heures du soir mon père a esté attaqué de sa relaxation en l’aine avec vomissements dont la fin a été un miserere, sans aucune douleur pourtant, qui l’a emporté le 21è du même mois ayant témoigné pendant tout le cours de sa maladie une grande résignation à la volonté de Dieu et un grand détachement pour les choses de la Terre. » 342
A une seule occasion, Antoine Laurent se laisse aller à des plaintes contre la mort, manifestation de la volonté divine ; lors de la naissance de son premier fils en 1677, il confesse dans son livre de raison :
« Le lundi 4 octobre 1677 à 5 h du matin, Dieu m’a donné un fils, qu’il m’a enlevé ensuite le 9è dudit mois à 3 h de l’après-midi. Je le prie qu’il me fasse la grâce de ne murmurer pas contre lui. » 343
Le pasteur d’Annonay, d’ordinaire si concis dans la rédaction des actes pastoraux, témoigne la même admiration face à la mort d’un marchand réformé d’Annonay, attaqué en chemin par des malfaiteurs. L’expression employée : « constamment » est le révélateur d’une « bonne mort » et c’est ce qui impressionne le pasteur au point de faire un bref récit :
« Le pénultième octobre 1658 Sieur Isaac Chanal marchand bourgeois de cette ville ayant été volé et assassiné au bas de Pilat, venant de St Didier, de St Etienne et de St Chamond fit tant qu’il se rendit en une masure nommée… ou il rendit l’Esprit fort constamment en la présence de nombre de ses parents et amis et fut son corps porté en cette ville et enterré au cimetière du Champ le lendemain veille de la Toussaint » 344
Enfin, le dernier exemple sera emprunté à Chomel le béat 345 dans la première moitié du XVIIIe siècle. Ce dernier rapporte la description d'une condamnation à mort sur une place d'Annonay. Un jeune homme de grande taille de la région du Cheylard va être roué. Chomel est surtout impressionné car le condamné, après avoir tenté de se révolter a appelé son confesseur et s'est laissé conduire sans rien dire au supplice. Le spectacle de la mort attire, Chomel signale une foule nombreuse.
Cet état d’esprit n’est pas propre aux notables. Un livre de raison d’un ménager protestant des Boutières, Jacques Delarbre, rappelle en 1742 une attitude identique à propos de la mort de sa sœur :
« Le 10 aoust 1745, ma dite sœur Marion est morte audit lieu de la Combe du pré après avoir fait faire son aumône pour laquelle nous donnâmes 100 l. Le seigneur lui aye fait mizéricorde et laye receu au Royaume de ses bienheureux, amen. » 346
De cette série d’exemples, il est possible de dégager les caractéristiques de la « bonne mort » pour les deux communautés. C’est d’abord accepter la souffrance qui précède la mort sans peur et sans plainte. La constance ou le courage face à la mort signifie dans les deux cas que l’agonisant n’a rien à se reprocher et qu’il aborde la mort sans crainte. Ne pas avoir de remords pour les actions accomplies durant sa vie est considéré comme un signe d’une bonne préparation à la mort. L’absence de crainte paraît pourtant exceptionnelle y compris chez les réformés comme le montrent les quelques exemples. Elle souligne les écarts entre la pratique et l’enseignement de Calvin. La prédestination doit, en principe, donner l’assurance du salut au fidèle. Mais l’absence de purgatoire et le sentiment de déréliction contrarient cette assurance. De ce fait, la réalité est souvent différente. C’est ce qui justifie le recours aux intercesseurs qui apparaissent dans les testaments des deux confessions. Pour les catholiques la crainte de la mort est moins étonnante. La pastorale de la peur est très marquée dans ces années et peut l’expliquer. En revanche, pour les enfants, la « bonne mort » est très différente selon les confessions. La mort avant le baptême est une catastrophe pour les catholiques. Le clergé, par son attitude, contribue à l’aggravation de la situation en imposant un cimetière séparé pour les enfants morts sans avoir été baptisés ; alors que chez les réformés, la mort précoce est la garantie d’une existence sans péché. Cette différence ne suffit pas à faire disparaître toute tristesse lors du décès ; l’exemple d’A. Laurent, médecin annonéen, en témoigne. Enfin la mort doit être édifiante pour l’entourage. Les ressemblances paraissent donc l’emporter au vu de ces premiers témoignages. Pourtant les fidèles des deux confessions ne sont pas nourris par la même littérature de préparation à la mort, car les « ars moriendi » sont encore au XVIIe siècle une lecture régulière des catholiques. Mais les deux communautés vivent également dans l’angoisse de la mort et du salut. Enfin, la préparation à la « bonne mort » pour les catholiques, suppose d’avoir reçu tous les sacrements, alors que cette préparation à la mort n’existe pas chez les réformés. C’est un élément supplémentaire d’angoisse face à la mort pour les catholiques.
Charles Aurenche, « Mémoires d’Isaac Meissonnier », Revue du Vivarais, 1914, pp. 433-459.
Léorat-Picansel, Vie de Monsieur Louis Chomel, mort en odeur de sainteté à Annonay par Monsieur l’abbé Léorat-Picansel, Avignon, 1788, p. 10.
ADA 1 J 255, Antoine Laurent, Livre de raison du médecin Laurent d’Annonay, 1676-1685. et P. Guigal, « Le journal d’Antoine Laurent médecin protestant d’Annonay », (1676-1685), Bulletin des amis du fonds vivarois, Annonay, n° 43, 1992, p.2 – 9.
Antoine Laurent, ouvrage cité.
ADA 5 E 37, registre d’actes pastoraux d’Annonay, 30/10/1658, l’original est reproduit en annexe n° 17.
Chomel le béat, ouvrage cité, p. 671, 1762.
Jacques Delarbre, Livre de raison 1739-1750, d’après l’article de Jean Escande et Maurice Boulle, « Livre de raison de Jacques Delarbre, protestant de la vallée de l’Eyrieux entre 1739 et 1750 », actes du colloque de Mémoires d’Ardèche Temps présent sur Religion et Société, Privas, mai 1995.