La lutte pour le contrôle de ces espaces est caractéristique d’une bonne partie de la période. Cette attitude est propre aux membres du clergé mais aussi à certains notables. Cette lutte se manifeste tout d’abord à l’échelle des quartiers. Chomel le béat rapporte qu’en 1618 les pratiques catholiques sont peu appréciées par les réformés :
« Le faubourg de la Récluzière 406 était presque tout entier composé de maison de religionnaires, lorsque M. Néron (chanoine) était obligé de porter le corps sacré de Notre Seigneur à quelque malade il était obligé de le porter en secret et dans une boette dans sa poche de crainte de s’exposer aux insultes des hérétiques » 407
Le cimetière est également l’objet d’affrontement entre les deux communautés. A Privas, en 1642, selon une source catholique citée par E. Reynier, 408 les protestants se servent seuls du cimetière, et l’espace occupé par l’ancienne église catholique détruite a été réutilisé : « où estoit anciennement l'eglise auquel lieu on tient à présent le marché ordinaire ». A Villeneuve-de-Berg, la première décision prise par le nouveau juge royal, Pierre Tardieu, est de déménager le cimetière des protestants. Celui-ci sera désormais à l'extérieur de l'enceinte. La même conduite est adoptée par les catholiques privadois. Le cimetière réformé est transféré au quartier du Lac, donc à l’extérieur de la ville. Seuls les réformés d’Annonay conservent un cimetière à proximité de la ville, celui du Champ 409 . Cette originalité semble confirmer le climat assez cordial entre les deux communautés. Il faut attendre 1668, (peut-être est-ce la résultat des premières vexations ?) pour que le cimetière soit déménagé à Saint Georges, dans le faubourg de la Récluzière, donc hors les murs (le cimetière est appelé La Josserande ou Hors-Déôme). Après 1685, la volonté des catholiques annonéens, tout au moins du clergé, de réoccuper cet espace est manifeste. Les cimetières réformés sont alors récupérés après une bénédiction « purificatrice ». :
« Lors d'une épidémie de fièvre ardente il fut fait défense d'enterrer dans les caveaux (=dans l'église paroissiale) et l'on obtint de Mr l'archevêque qu'on pourrait bénir le cimetière de la Josserande qui avait été à l'usage des Religionnaires ». 410
Dans les faits, le cimetière sera encore utilisé par les réformés jusqu’en 1697.
La volonté de reconquête se traduit par des manifestations plus ostentatoires. Lorsque le curé d’Annonay porte le Saint Sacrement aux malades, il est précédé d’un clerc sonnant la clochette. C’est souvent une occasion de conflit, les « nouveaux convertis » refusant de se découvrir. Quelques exemples de procès sont rapportés concernant les notables d’Annonay. 411 André Léorat, maître-apothicaire, André Lagrange fils de Me Louis Lagrange, avocat, Jean et Jacques Rignol (fils de Me J. Rignol, ancien notaire) ont « pressé le pas pour éviter d’avoir à saluer le Saint Sacrement ». Les processions marquent également l’espace. Les missions organisées à Annonay dans la première moitié du XVIIIe siècle commencent et se terminent la plupart du temps par une procession. Les itinéraires de ces processions présentent des ressemblances. Elles empruntent assez souvent les rues des quartiers protestants d’Annonay : La Valette, Faya, le Champ, la Récluzière, 412 et utilisent régulièrement la place des Cordeliers à l’entrée du quartier de « nouveaux convertis » de la Récluzière 413 . Leur point d’aboutissement, dans un pré appartenant à une famille de notables « nouveaux convertis », les Veyre de Soras, est peut-être révélateur de la même volonté de contrôle. En 1736, pour le mardi gras, la procession se termine avec la mise en place d’une « très belle croix pour nous être un monument éternel de cette mission ». 414 Les croix ont souvent été un objet d’affrontement. Arrachées par les protestants au XVIe siècle, elles réapparaissent dans le paysage annonéen avec la reconquête catholique. En revanche, Privas, dont la population est encore majoritairement réformée, en compte très peu. Ces processions mobilisent une grande partie de la population d’Annonay, avec un respect de la hiérarchie sociale dans l’ordre de marche. 415 Une de ces processions, en 1759, se termine sur la place des Cordeliers autour de la croix, avec une organisation toute militaire :
« …place des Cordeliers, arrêt sur la croix et là chaque corps se retirant par pelotons dans un coin de la place il y eut l’espace et le moyen de donner la bénédiction… » 416
Voir plan d’Annonay, carte 4.
Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, ouvrage cité, p. 344.
E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, volume 1, ouvrage cité.
Voir plan d’Annonay n° 5.
D’après Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, ouvrage cité, p. 443.
ADA 11 B 6 , registres de la justice royale d’Annonay, 28/5/1699.
D’après Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, ouvrage cité, p. 591 et 660.
Voir plan d’Annonay, carte n° 5.
Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay ouvrage cité, p. 591.
D’après Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, ouvrage cité, p. 591.
D’après Chomel le béat, Annales de la ville d’Annonay, ouvrage cité, p. 591