2. Comparaison des lieux de culte.

L’intérieur de l’église et celui du temple présentent des différences mais également des ressemblances. Les « nouveaux convertis » sommés d’assister à la messe après la Révocation sont installés dans un lieu à part dans l’église paroissiale : les tribunes. Celles-ci sont agrandies afin de les recevoir. 417 Les tribunes, qui existent également dans les temples, semblent dans les deux cas constituer une « antichambre » à la fois sociale et religieuse. C’est dans les tribunes que se trouvent souvent les plus pauvres, les « nouveaux convertis » ou les « hérétiques ». Lors de la tentative de fermeture du temple protestant d’Annonay en 1635, les notables catholiques, le « juge de la ville » et le « procureur du Roy », entrés dans le temple pour s’emparer du pasteur, s’installent dans les tribunes pendant le sermon. Le témoin rappelle :

« Car eux estoient aux galleries » 418

La confirmation est donnée à la fin du XVIIIe siècle par un des curés d’Annonay, Léorat-Picansel. Il écrit une vie de Louis Chomel le béat en 1787, considéré comme un saint à Annonay. Lorsqu’il précise sa place dans l’église paroissiale, il rappelle qu’il occupait les tribunes par humilité :

« La dernière place dans le temple, une place dans les tribunes destinées aux personnes du peuple et aux pauvres » 419 .

Ce constat confirme les observations faites précédemment à propos d’une recherche commune du prestige dans l’église. Il montre également des ressemblances entre les deux espaces sacrés. Leur organisation oppose une partie centrale occupée par les bancs des notables à proximité du chœur. En revanche, les périphéries du temple ou de l’église sont laissées aux classes sociales moins favorisées ou celles qui sont considérées comme les plus suspectes « d’hérésie ». La séparation entre la table de communion, l’autel, et les fidèles est souvent dans les deux cas marquée par une barrière dans les deux confessions. Cette séparation souligne le caractère sacré de cet espace central.

L’élément le plus frappant en Vivarais est l’absence d’église dans certaines paroisses depuis la deuxième moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIe siècle. L’église de Privas est reconstruite tardivement (1686) car l’argent manque. Les habitants sont ruinés par les événements de 1629 et la ville est à majorité protestante. Il faut donc attendre 1670 pour le début de la reconstruction. Déjà, en 1583, lors de la visite pastorale de l’official Nicolas de Vesc, il est signalé à propos de Privas :

« Pas de messe depuis 20 ans, église rasée à terre, deux ou trois maisons catholiques » 420

La paroisse de Saint Julien-du-Gua, à proximité de Privas, présente les mêmes caractéristiques. Plusieurs actes de notaires rappellent que l’interruption du culte a été assez longue en raison du peu de soin des bénéficiers. Le parallèle avec la communauté réformée est donc saisissant. Les mêmes destructions de temples se produiront dans la période 1661-1685. Quelles peuvent être les conséquences sur la pratique des fidèles des deux communautés ? Les conséquences nous sont mieux connues pour les « nouveaux convertis » que pour les catholiques au début du XVIIe siècle. Sans pasteurs, entre 1685 et 1720, les « nouveaux convertis » vont se tourner vers les prédicants et les prophètes, mais les notables préfèrent le culte familial pour lequel nous ne possédons pas de document. Quant aux catholiques, dans la première moitié du XVIIe, privés d’églises et parfois de curés, leurs comportements peuvent être, parfois, largement influencés par les réformés. Les intervalles assez longs entre naissances et baptêmes à Privas ont permis de s’en rendre compte.

L’autre point de convergence entre les deux confessions est la volonté que tous les actes importants de la vie religieuse se passent dans les espaces sacrés. Chez les catholiques comme chez les protestants, les baptêmes ne sont pas autorisés hors du lieu de culte. Ainsi, le baptême est de plus en plus fréquemment célébré au temple le samedi ou le dimanche à l'issue de la prédication chez les réformés. Dans les registres d’actes pastoraux, la mention « baptisé le dimanche soir » ou « à l'issue de la prédication du soir » ou encore « baptisé le dimanche matin à l'issue de la prédication » est fréquente. Toutefois la répétition de l’interdiction dans plusieurs synodes permet de penser que les fidèles ont été réticents 421 . Le comptage des actes se déroulant dans le temple, à Privas, le confirme 422 . La part des baptêmes célébrés hors du temple est importante. L’explication est délicate. S’agit-il du résultat de l’absence de temple à Privas ? Un lieu de culte existe toutefois à proximité à Tournon-lès-Privas. On peut se demander alors s’il ne s’agit pas d’un signe de confessionnalisation incomplète. En revanche les lieux des baptêmes sont très peu mentionnés à Annonay sur les registres d’actes pastoraux : il peut s’agir de négligence ou d’un détail, car la majorité des célébrations se déroulent dans le temple ; ce serait alors le signe d’une plus forte adhésion des fidèles à l’enseignement des pasteurs ?

Notes
417.

D’après Chomel le béat, Histoire des protestants d’Annonay, ouvrage cité, p. 443.

418.

Anonyme, « Un épisode de l’histoire de l’édit de Nantes en Vivarais sous Louis XIII » dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1853, pp. 285-302.

419.

Léorat-Picansel, Vie de Monsieur Louis Chomel mort en odeur de sainteté à Annonay, Avignon, 1788 réédité et annoté par B. Chomel en 1928, p. 116.

420.

D’après J. Roux, Le diocèse de Viviers à l’époque moderne, mémoire de DES, dactylographié, 1967, p. 9.

421.

Cité par S. Mours, « la vie synodale en Vivarais », ouvrage cité, p.55-103 « La compagnie défend très expressément aux ministres de bénir les mariages en des maisons particulières »(défense renouvelée en 1673, 1674 et 1675)

422.

Voir tableau 63.