3. La place du cimetière dans les deux confessions.

La définition du sacré varie selon le point de vue. L’attitude des deux communautés ne semble pas identique en ce qui concerne le cimetière. Pour le clergé catholique et les autorités, donc les notables, le cimetière est un objet de préoccupation alors que cette question n’apparaît pas dans les comptes-rendus des synodes réformés. Comment expliquer une telle différence ? Est-ce simplement l’application de la Discipline, précisant qu’aucune cérémonie ne doit avoir lieu au moment du décès ? Jusqu’en 1720-30, le caractère sacré du cimetière n’est pas ancré dans l’esprit des populations catholiques. En revanche, le clergé catholique souhaite fortement que ces lieux soient à l’écart du monde des vivants. Les visites pastorales rappellent régulièrement, jusque dans le premier quart du XVIIIe siècle, la nécessité de clore le cimetière, de ne pas y danser ou y faire paître le bétail. Les consuls reprennent le même discours. Le 12 août 1729, lors des délibérations de la communauté de Privas, une description du cimetière est faite :

« Et qu'à l'égard du cimetière où plusieurs scandaleusement vont faire leurs ordures et paistre leur bestail que inhibition dès à présent leur soit faite d'y plus revenir ». 423

En 1673, la communauté de Privas émettait déjà les mêmes plaintes à propos du cimetière catholique :

« Estant du cousté des portes apellées porte d'Imbert et porte Neufve, pour empescher que le bestail ny entre et que les personnes y ailhent vendre du vin faire secher du linge estoffes et autres marchandises comme ils font comme si cestoit une place publique ». 424

L’aspect du cimetière, qu’il soit catholique ou réformé est difficile à décrire précisément. Mais les informations rapportées permettent d’imaginer un espace qui ressemble davantage à un pré qu’au cimetière actuel. Ansi l’évêque de Viviers réclame, en 1734, qu’il y ait une croix au milieu du cimetière, qu’il n’y ait pas d'arbres, que les herbes ne soient pas broutées par les animaux mais brûlées sur place. Il rappelle également la nécessité d’un endroit spécial dans le cimetière pour enterrer les enfants baptisés de moins de 7 ans, et un autre, hors du cimetière, non béni, pour les enfants morts sans baptême. 425 Cette distinction n’apparaît pas dans les cimetières réformés. L’absence de marques religieuses est un élément qui ne permet guère une identification confessionnelle. Cela correspond à la description des cimetières provençaux :

« Ils étaient dépourvus de tombeaux et de tout signe distinctif d'inhumation comme les cimetières catholiques de la Provence du temps et ne se distinguaient guère de ces derniers que par l'absence de croix. L'originalité très relative des cimetières protestants résidait donc dans l'absence de lien spatial avec un lieu de culte » 426 .

A Privas comme à Annonay, les cimetières catholiques se trouvent à l’intérieur, ou à proximité de l’enceinte, de la ville jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Leur position les différencie des cimetières réformés qui, en raison de la pression des catholiques, se trouvent généralement hors les murs. Du fait de la localisation différente et de l’absence de cortège lors des enterrements, on peut se demander si les cimetières restent des lieux de sociabilité pour les réformés comme ils le sont pour les catholiques. Cette fonction de sociabilité se confirme en lisant les recommandations épiscopales rappellant qu’il est interdit d' installer des foires et des marchés dans les cimetières, d'y exposer des marchandises, d'y étendre du linge ou d'y danser (ceux qui le feront seront excommuniés). Une liste d’interdictions très longue qui permet d’imaginer les différentes utilisations du cimetière.

Notes
423.

ADA E dépôt 75 BB 24, archives de la Communauté de Privas, 1747.

424.

Cité par E. Reynier, Histoire de Privas, tome II, volume 2, Privas, 1946.

425.

Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances épiscopales, ouvrage cité, p. 180.

426.

R. Bertrand, les cimetières protestants en Provence (XVII e - XIX e siècles), ouvrage cité.