Un autre point sépare les deux communautés. Alors que l’intérieur des temples est très austère, les prix-faits évoquent les bancs et les murs blanchis à la chaux, dans la communauté catholique, celui des églises connaît des transformations impressionnantes. Certes dans tous les diocèses du royaume, des évolutions identiques se constatent. Toutefois, en Vivarais, le clergé va exercer une pression qui paraît plus forte qu’ailleurs auprès des curés et des communautés pour mettre en place la Réforme catholique et pour faire face aux nombreuses destructions d’églises survenues pendant les guerres religieuses. Dans le diocèse de Viviers, les autorités religieuses sont très vigilantes sur l’aménagement intérieur de l’église pendant tout le XVIIe siècle et le premier tiers du XVIIIe. En témoignent des procès engagés par l’évêque contre des paroisses qui n’ont pas exécuté les ordres communiqués lors des visites paroissiales. 427 La précision utilisée pour décrire l’organisation intérieure des églises confirme cette impression.
« Les confessionnaux des églises seront placés en lieu commode et visible et il sera mis un voile à la place du confesseur devant eux pour que l’absolution, ou le refus fait au pénitent ne puissent être jugés par dehors… » 428
Le mobilier de l’église traduit les nouveaux objectifs de la Réforme catholique. La présence des confessionnaux rappelle qu’une des nouvelles exigences est la confession annuelle. Mgr de Suze rappelle, en 1685, l’importance de la fréquence de la confession : il conseille aux fidèles de se confesser souvent et au minimum une fois par an, à Pâques, ou après un « péché mortel ». Il souligne ce que doit être l’état d’esprit du pénitent lors de la confession. Le pécheur ne saurait se contenter d’une simple attrition mais doit rechercher la véritable contrition. La minutie des instructions épiscopales en 1685 et 1734 pour décrire l’organisation du confessionnal traduit des enjeux importants. Le fidèle est isolé du reste de la communauté, il est seul face au prêtre, ministre du sacrement. Seul le clergé a donc le pouvoir de pardonner. Deux conceptions s’opposent au travers du mobilier des espaces sacrés : d’un côté une confession solitaire : le pénitent est seul face au prêtre, dans le confessionnal ; et côté protestant, au contraire, un aveu public de la faute pour obtenir le pardon. D’autre part, de plus en plus dans la première moitié du XVIIIe siècle un confessionnal est attribué à chaque prêtre.
Témoignant de la même volonté d’appliquer les exigences de la Réforme catholique, les retables sont de plus en nombreux. Dans la visite pastorale de 1675, on retrouve fréquemment l’association de la représentation du Christ et de la Vierge, révélatrice des préoccupations de la Réforme Catholique et celle du saint local, sans doute plus familier pour la communauté. La liste des objets classés parmi les monuments historiques dans le département de l'Ardèche permet de le confirmer pour Annonay et Villeneuve-de-Berg . Dans l'église paroissiale d’Annonay, figurent le buste reliquaire de Saint Pierre d'Alcantara et un buste reliquaire de Saint Jean de la Croix, datant du XVIIe siècle en bois sculpté doré, ces deux pièces, déjà signalées, rappellent l'existence d'un courant mystique précoce à Annonay. Dans la chapelle de Trachin, utilisée pour les dévotions des Pénitents d’Annonay, une sculpture en pierre au-dessus du porche d’entrée représente une Vierge à l'Enfant, datée du XVIIe siècle. Pour Privas, en revanche, les restes sont plus modestes, seule la toile de l'Assomption installée au XVIIIe siècle rappelle, bien tardivement, les efforts de la Réforme catholique. On le voit, le XVIIe siècle ne marque pas de la même manière Privas et Annonay. Il est vrai aussi qu'au début du XVIIe non seulement la ville de Privas est à majorité réformée mais les guerres laissent peu de loisir aux habitants de s’occuper du lieu de culte ; enfin l'église paroissiale n'est reconstruite qu'à la fin du XVIIe siècle, ce qui permet difficilement de la doter à cette époque en objets de culte. En revanche, Villeneuve-de-Berg possède de nombreux héritages, signe d’une implantation plus forte de la Réforme catholique. C’est sans doute aussi l’œuvre des Capucins dont la présence a été signalée dans cette ville. L'église possède un maître-autel en bois peint et doré représentant la mort de Saint Louis, la toile a été réalisée par P.et J. Parrocel en 1745. Le retable de la chapelle des Sept-Douleurs, avec un bois peint et doré et la toile de Notre-Dame des Sept-Douleurs, datée du XVIIe siècle, ou encore le tableau de La Vierge et l'Enfant Jésus terrassant le serpent, daté de la fin du XVIIe siècle, permettent de souligner l’importance du culte de la Vierge et de l’Enfant Jésus. L’organisation de l’espace autour de l’autel est conforme aux exigences épiscopales.
« Le sanctuaire sera séparé de la nef et fermé par un balustre ». 429
Une grille de communion en fer forgé du début du XVIIIe siècle sépare la communauté des fidèles du monde du sacré auquel seul le prêtre peut accéder. Une séparation qui rappelle celle qui devient de plus en plus fréquente dans les temples. Le maître-autel, avec les gradins et le tabernacle, souvent réalisé au XVIIIe siècle en bois sculpté, peint et doré, participent au culte du Saint Sacrement, objectif principal de la Réforme catholique.
La place de l’enseignement est également un des priorités du clergé catholique. C’est à cette fin qu’est construite une chaire en bois sculpté au XVIIesiècle. C’est un des rares points de comparaison avec les réformés. Tous les temples possèdent une « chaire à prêcher » en bois. C’est le seul élément du mobilier qui sera repris pour les cultes au « Désert ». Toutefois la place de la chaire n’est pas la même dans l’espace sacré. Elle est en général au centre du temple, très proche de la table de la Cène, alors qu’elle est souvent à l’extérieur du chœur dans une église catholique. Les espaces sacrés s’organisent donc différemment. Alors que le temple est organisé autour de la chaire du pasteur, qui dispense l’enseignement, l’église est de plus en plus centrée sur l’autel et le tabernacle renfermant le Saint Sacrement. D’autre part, les intérieurs des églises présentent de plus en plus de lieux spécialisés ; on relève notamment, outre les chapelles déjà installées et dédiées souvent au culte d’un saint, les confessionnaux dont le nombre doit être égal à celui des prêtres desservants, les fonts baptismaux que les évêques exigent de fermer à clé afin de conserver la cuvette de cuivre, la burette ou coquille et le bassin utilisés pour le sacrement. Cette spécialisation des lieux dans l’église est à l’opposé de la situation à l’intérieur du temple.
Enfin les visiteurs apostoliques sont attentifs aux vêtements sacerdotaux. Ceux-ci doivent être en bon état car ils constituent également un moyen pour distinguer nettement le curé du pasteur. Mgr de Suze le rappelle en 1685 :
« le prêtre porte l’aube et la chasuble avec une croix pour rappeler la passion de NSJC, qu’il fut habillé d’une robe blanche et d’un vieux manteau de pourpre et non comme les pasteurs portant une robe de procureur » 430
L’éclat des vêtements de cérémonie rappelle que les espaces sacrés, pour les catholiques notamment, débordent largement hors de l’église. La description des vêtements de procession, notamment ceux des confréries, confirme le constat. Les curés sont attentifs aux vêtements liturgiques. Le testament du curé de Privas, J. B. Mermet, montre une liste de vêtements sacerdotaux qu’il lègue à la paroisse et aux confréries. Il a acheté lui-même ces ornements car le prieur refusait or le curé souhaitait que :
«L’Eglise fut pourvue des ornements convenables et que le service divin se fisse avec la solennité, décoration et propreté requise » 431
Les espaces sacrés apparaissent expurgés de tout signe de religion populaire. Les reynages, ces processions très populaires au cours desquelles des aumônes sont collectées pour le luminaire de l’église en échange du titre de « roi » ou de « reine », doivent s’arrêter à la porte de l’église, alors qu’au début du XVIIe siècle, ils accèdent encore à l’intérieur de l’édifice. 432 De même, concernant les reliques, les instructions épiscopales rappellent :
« On n’exposera à la vénération publique aucune relique dont l’authenticité ne soit reconnue » 433
Enfin le lieu de culte est associé dans les deux communautés à une des préoccupations les plus essentielles aux XVIIeet XVIIIe siècles : le salut. En 1635, une protestante d’Annonay, épouse d’un notable, le rappelle :
« Cette saincte Maison, laquelle a esté dédiée despuis si longtemps pour le service de Dieu, comme estant la porte par laquelle degré par degré nous montons au ciel qui est le lieu de notre habitation. » 434
Une telle déclaration, qui n’est pas exactement conforme à la Discipline, rapproche les protestants des catholiques. Le lieu de culte n’est pas un simple lieu de rassemblement et de prières, il est véritablement considéré comme un endroit sacré. Il y a là une dérive, (sous l’influence des catholiques ?), dans la manière de considérer le lieu de culte. C’est sans doute ce qui explique les luttes, chez les catholiques, pour se faire enterrer dans l’église, notamment de la part des notables. De même, les querelles à propos des bancs, notamment ceux des élites, peuvent trouver ainsi une explication. Leurs propriétaires souhaitent qu’ils soient posés sur le caveau familial. Le lien entre les vivants et les morts est ainsi fréquemment affirmé. Toutefois ce caractère sacré accordé au temple n’apparaît pas vérifié partout. Si l’on utilise comme critère le nombre de baptêmes célébrés dans le temple, on s’aperçoit qu’à Privas la proportion se réduit. En effet, entre 1651 et 1655 25 % des baptêmes ont lieu dans le temple alors que pendant les années 1665-1670 cette part tombe à 15 %. Le temple pour les réformés privadois n’est pas un lieu précis. Nous avons vu que les fidèles ont changé à plusieurs reprises de lieu de culte. Cette situation instable est peut-être à l’origine de la différence d’appréciation à propos du bâtiment. Dans ce dernier cas, le terme « espace sacré » ne correspond peut-être pas à la réalité. Mais en 1681, le synode réformé utilise à propos du temple l’expression :
« …temple comme un lieu saint et vénérable et qui est la porte des cieux… » 435
La reprise de l’expression utilisée par les annonéens en 1635 permet de supposer que la situation est assez générale. Le terme « d’espace sacré » à propos des temples ne semble donc pas exagéré. Cette manière de considérer les lieux de culte a inévitablement des conséquences sur les attitudes que l’encadrement attend des fidèles.
ADA 28 B 4, les ordonnances de l’évêque Louis de Suze imposent à l’église de Saint Laurent d’acheter un ciboire.
ADA 5 J 160/1, Ordonnances de l’évêque de Viviers, dans les archives paroissiales de Ste Eulalie (1713).
Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances épiscopales, 1734, ouvrage cité, p. 103.
ADA, Mgr de Suze, ouvrage cité, p. 201.
ADA 2 E 4656, testament de J.B. Mermet, curé de Privas, registres du notaire Paul Sainte, 2/12/1745, fol. 203-205.
SAGA 308-2 registres paroissiaux de Sarras, 1688.
Mgr de Villeneuve, ouvrage cité.(1734), p. 103.
Anonyme, « Un épisode de l’histoire de l’édit de Nantes en Vivarais sous Louis XIII » dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1853, pp. 285-302.
S. Mours, « La vie synodale en Vivarais », ouvrage cité, p. 55-103.