L’attitude des fidèles dans les espaces sacrés est un autre point de convergence entre les deux communautés. Elle nous est connue malheureusement uniquement par les documents ecclésiastiques. Mais les répétitions permettent d’imaginer une certaine réalité. Au XVIIe siècle, les synodes réformés critiquent fréquemment les fidèles peu attentifs dans le temple. Les synodes réformés entre 1657 et 1683 rappellent à chaque réunion que l’attitude dans le temple doit être plus recueillie.
Celui de 1657 signale :
« L'article fait au synode précédent touchant l'honneur et le respect qu'on doit porter en se découvrant durant la lecture de la parole de Dieu, chant des psaumes et administration du Saint Sacrement, et publié en chaire sera renouvelé » 436
En 1673 :
« La compagnie …avec regret la tiédeur et l'indifférence que l'on fait paraître dans les saintes assemblées, où plusieurs particuliers ne daignent pas se mettre à genoux aux prières, qui est la posture la plus convenable à la dévotion, ni chanter les psaumes et les louanges du Seigneur, méprisant ainsi une des plus saintes occupations et un des plus importants devoirs des fidèles, qui en sont scandalisés; et, étant informé des scandales de tous ceux qui sortent avant la bénédiction qui en est le couronnement, a ordonné très expressément de pratiquer tous ces devoirs si criminellement négligés jusqu'à présent, chargeant les consistoires de tenir très sévèrement la main à leur observation. » 437
De même, en 1681, il est rappelé au synode :
« La compagnie enjoint aux consistoires de tenir la main à ce que, lors de la célébration des sacrements, tout le peuple soit dans son devoir et fasse paraître une piété et une dévotion particulière et, pour le regard du saint baptême, lorsqu'on lira la liturgie, (les fidèles) sont exhortés d'y apporter une religieuse attention et un silence plein de modestie … il est enjoint très particulièrement aux fidèles, de quelque qualité qu'ils soient, de se comporter avec le respect convenable lorsqu'ils sont dans le temple comme dans un lieu saint et vénérable et qui est la porte des cieux, et de ne s'amuser point à parler ni à discourir les uns avec les autres, ni à se faire des compliments et des civilités, particulièrement lorsque la prédication sera commencée et surtout observer de se mettre à genoux toutes les fois qu'on fera la prière et qu'on donne la cène du Seigneur, sans qu'aucun d'eux s'en puisse dispenser. Et pendant le chant des psaumes et la lecture de la Parole de Dieu, les hommes seront obligés d'avoir la tête découverte… » 438
L’extrait précédent peut être comparé avec la citation extraite de Léorat-Picansel, curé d’Annonay à la fin du XVIIIe siècle. En 1748, il rappelle quelle était l’attitude de Chomel dans l’église :
« N'osant ni se remuer, ni cracher par respect pour le saint lieu … Chantant par cœur les psaumes, les hymnes, les cantiques, les antiennes, suivant avec une attention religieuse toutes les différentes cérémonies » 439
Qu'en est-il pour les autres fidèles ? Celui qui est considéré comme un saint a une attitude exemplaire, donc, pour les autres fidèles, l'attitude contraire doit être très fréquente. Cela permet d’imaginer un joyeux brouhaha que l’on retrouve apparemment dans le temple. Plusieurs points de ressemblance peuvent donc être dégagés. Les attitudes de prière exigées par l’encadrement sont les mêmes : la position à genoux, les mains jointes, tête découverte en signe d’humilité et dans le silence qui doit permettre le recueillement. Ces dispositions que souhaitent imposer les synodes réformés sont aussi celles que poursuit la Réforme catholique. D’autre part, la réaction des fidèles est identique face à ces exigences nouvelles. Comment expliquer de telles réticences ? Les habitudes sont sans doute anciennes. L’église comme le temple apparaissent tout d’abord comme des lieux de sociabilité, d’autre part, le lieu de culte est largement aussi un théâtre social. Le refus d’enlever son chapeau ainsi que l’exige la Discipline confirme le souci de prestige notamment chez les notables. On retrouve la même manière de se comporter que celle rencontrée à propos des bancs. L’attitude face au sacré n’est pas la même pour les fidèles et le clergé. L’utilisation selon les liturgies du français ou du latin ne change donc pas les comportements. L’attention des fidèles n’est pas davantage soutenue par une liturgie en français. Les écarts sont importants entre les attentes du clergé et la pratique des fidèles. De telles attitudes de la part des fidèles montrent les limites d’enracinement de chaque religion. La difficulté à se discipliner, les historiens du corps nous le rappellent, est peut-être le résultat d’un manque de maîtrise sur soi. Lorsque les manifestations de religion populaire se font sentir, on perçoit, avec une autre ampleur, les mêmes débordements. Les révoltés suivant Roure et pillant Aubenas en 1670, ou les « Inspirés », entrant en transe face à une contrainte qu’ils estiment ne plus pouvoir supporter, celle de la conversion, expriment, comme les fidèles dans l’église ou le temple, l’impossibilité d’accepter des attitudes qui sont étrangères à cette culture populaire. Ces sensations, qui ne sont pas celles du monde des notables, rapprochent très largement les fidèles des deux confessions. Certes entre les émeutes populaires et les attitudes dans les lieux de culte il y a une différence mais seulement dans l’intensité de la manifestation et non pas dans sa nature.
L’impression première à propos des espaces sacrés était la différence très importante entre les deux confessions. Les luttes du XVIe siècle s’étaient données souvent pour objectifs la destruction ou la confiscation des symboles présents dans cet espace. Ainsi, à Privas, l’église est récupérée par les protestants ; à Annonay, les objets du culte catholique sont vendus aux enchères, certains quartiers sont d’un accès difficile aux prêtres catholiques portant le « Saint Sacrement » ; ailleurs les croix sont abattues. Les lieux de culte sont bâtis pour répondre à des exigences de la doctrine et donc veulent être ostensiblement différents. Les plans, les objets, les décorations ou leur absence, tout oppose les deux confessions. Pourtant des points de convergence apparaissent. Les espaces sacrés sont considérés de la même manière, des morceaux de paradis sur la terre. Les attitudes de piété exigées sont les mêmes, et les fidèles éprouvent les mêmes difficultés à les respecter. Les fidèles dans le lieu de culte respectent la hiérarchie sociale, que ce soit lors des processions ou dans la répartition des fidèles à l’église ou au temple. La contrainte, exercée sur les attitudes des fidèles, entre dans un contexte plus large de la culture classique, celle de « l’honnête homme » qui doit respecter des rites de plus en plus précis dans toute sa vie sociale. Cette évolution ouvre la voie à une autre définition du notable. La notabilité est acquise, dans l’esprit des populations de l’époque, à celui qui a intégré ces nouvelles manières de se comporter. Chomel le béat est considéré comme un saint par les catholiques d’Annonay en partie en raison de son attitude dans l’église. Enfin le temple comme l’église sont des lieux identitaires. Dans les deux cas ils accueillent régulièrement les fidèles, parfois trois ou quatre fois par semaines à la fin du XVIIe siècle. Dans leurs murs se déroulent les cérémonies qui rythment la vie de l’individu et de la communauté ; nous avons vu que les baptêmes devaient avoir lieu dans le temple et que les églises devaient comporter des fonts baptismaux. Ce sont aussi les lieux du pardon : soit dans le secret du confessionnal ou face au tribunal du consistoire. C’est donc ici que la communauté puise sa cohésion. Priver les fidèles de leurs lieux de culte, les catholiques ont vécu cette expérience dans la première moitié du XVIIe siècle, les réformés après 1685, revient à fragiliser la communauté toute entière.
AN TT 275 A, synode réformé deVernoux, 1657.
S. Mours, « La vie synodale en Vivarais », ouvrage cité, p. 55-103.
S. Mours, « la vie synodale en Vivarais », ouvrage cité, p. 55-103.
H. Léorat-Picansel, Vie de Monsieur Louis Chomel mort en odeur de sainteté à Annonay, ouvrage cité, p. 116.