2. La persistance des fêtes dans les deux confessions en dépit des condamnations.

En dépit des condamnations répétées des synodes et des évêques, les fêtes paraissent se continuer et parfois se modifier. On constate en effet la persistance de certaines fêtes (foires, carnavals). Elles se maintiennent notamment lorsqu’elles ne concernent pas le dimanche ou lorsqu’elles sont associées à des intérêts économiques. L’exemple de Privas paraît révélateur. La ville est située sur une frontière confessionnelle. Les deux communautés qui y vivent condamnent également la fête. Zone sensible, la ville a reçu des prêtres marqués par les idées de la Réforme catholique au XVIIe siècle. En dépit de tout ceci, le carnaval ou la foire de Privas semblent rester célèbres en Vivarais. Deux extraits permettent de s’en convaincre :

« Hier dimanche 22e du mois les huguenos s'assemblèrent dans un endroit nommé Chassagnes à la vue de Privas et qui en est si près qu'on les entendait chanter de notre jeu de mail et Mr Lagarde les a entendu chanter de sa maison le soir, veille d'une foire à Privas. Il s'en rendit un grand nombre de sorte que la petite place était toute pleine de ces gens-là,… Enfin grâce à dieu il n'est arrivé dans cette foire la plus fameuse de Privas que quelques coups de battons donnés entre paysans qu'on a mis dans le corps de garde et ensuite relâché » 452

En 1745, un avocat de Toulouse reproche à Mr de la Caumette, premier consul de Privas, de ne pas avoir répondu plus tôt à son courrier, et il donne une explication :

« Sans doute que les plaisirs que vous avez goûtés pendant le carnaval vous ont empêché de le faire plutôt… » 453

Brueys de la Caumette, premier consul de Privas, est pourtant un catholique convaincu. Il n’hésite pas à prendre position pour condamner les agissements des protestants.

D’autres sources montrent que le carnaval de Privas est réputé dans la région. Or, il fait parti des fêtes condamnées par les deux communautés. On mesure, à travers la persistance des fêtes, les écarts qui peuvent apparaître entre la religion officielle et la pratique des fidèles. En dépit des efforts de la Réforme catholique ou de ceux des synodes du Désert, des résistances subsistent. Des relations existent donc à cette occasion entre les deux communautés. Lorsque les paysans « huguenos » des environs de Privas décident de venir à la foire ou au carnaval, des formes de sociabilité interconfessionnelle se maintiennent. Les notables privadois, ainsi Chateauneuf, considèrent les réformés des environs comme des « sauvages », et ont essentiellement des rapports de force avec eux, mais est-ce le cas de toute la population privadoise ? La foire est un lieu de violence, mais cela ne tient pas à la présence des deux confessions. La plupart des fêtes, les archives de justice en témoignent, s’accompagnent de tels débordements. En dépit des interdictions des pasteurs et des curés, les fêtes et notamment les foires restent actives. La carte des foires et marchés en 1791 montre que leur localisation ne correspond pas du tout à une répartition confessionnelle. La date de la carte est certes tardive par rapport aux limites de notre étude, mais la plupart de ces foires sont signalées exister de « date immémoriale » 454 . La zone des Boutières, marquée par une forte concentration de réformés, apparaît comme une région à densité élevée de foires. Une situation qui est sans doute le résultat de son rôle de contact entre bas-pays et montagnes, les productions agricoles étant complémentaires et les cours d’eau, orientés est-ouest, constituant autant d’axes de pénétration.

Enfin, l’encadrement n’est pas à l’abri de tout reproche. Le pasteur P. Durand raconte, dans une lettre, une visite au cabaret, pourtant considéré comme un « lieu de damnation » 455 . Il passe un moment dans un cabaret et discute avec la servante en lui faisant croire qu'il va se marier avec elle :

« ce n'était que pour rire et pour nous badiner d'une servante de cabaret qui croyait tout de bon ».

Une telle attitude montre que les résistances à l’enseignement officiel sont nombreuses. Le cabaret reste un lieu de vie, souvent interconfessionnel.

Notes
452.

ADA E dépôt 75 GG 16, lundi 23/11/1744 : copie d'une lettre du marquis de Chateauneuf dans les archives de la Communauté, adressée à l'intendant à propos d'une assemblée au désert en plein jour dans les environs de Privas.

453.

ADA E DEPOT 75 GG1, Archives de la communauté de Privas, 24/03/1745.

454.

ADA 13 M 4, tableau des foires et marchés, 1820, et L 1677, tableaux des foires et marché, 1791, ces documents ont permis de compléter l’intéressante carte de Y. Morel et C. Rattin, Aspects de la vie quotidienne en Ardèche du XVIII e au XX e siècle, Privas, 1984, p II-17.

455.

BPF, Collection Court, 617 H 1, 13/12/1731.