Les comportements des deux communautés sont différents dans les trois villes étudiées. Mais des points communs apparaissent également. Les efforts de conversion visent surtout les notables. Le raisonnement tenu par les autorités semble être le même que dans les autres provinces, le Poitou notamment. 459 En Vivarais, comme dans d’autres provinces du royaume, les mesures de répression visent surtout les notables car les autorités sont persuadées qu'en obtenant leur conversion le peuple suivra. Le cas d’Annonay est particulièrement révélateur. En 1685, la population réformée est réunie au couvent de Sainte Claire pour une abjuration collective. La liste 460 conservée dans les archives de justice comprend 157 noms. L’analyse sociale de cette population permet de confirmer l’hypothèse 461 . Certes, certaines identifications sociales sont impossibles mais l’impression générale est une sur-représentation des notables par rapport aux répartitions sociales de 1670 et de 1721. Les notables, nous l’avons vu, sont nombreux parmi les rangs des réformés au XVIIe siècle. On trouve notamment des médecins, des officiers de justice et des négociants. Mais le pourcentage de 1685 est encore plus élevé que celui de 1670 qui était pourtant fort. De plus le pourcentage des notables est plus faible en 1721 qu’en 1685. En revanche, les artisans et les paysans sont moins bien nombreux, proportionnellement, parmi ceux qui abjurent. Mesure-t-on ici l’effet de l’émigration qui, on le verra, concerne en priorité les artisans ? En partie, mais pas seulement. En ce qui concerne les paysans leur faible taux d’émigration, du fait de leur attachement à leur bien foncier, n’explique pas la sous-représentation par rapport aux années 1670 et 1721. Cette forte représentation des couches sociales favorisées, en 1685 lors des abjurations, peut donc bien être interprétée comme une volonté des autorités de convertir les notables avant tout. Ils sont également les premières cibles car ils sont plus vulnérables. Leur condition sociale, leur fortune, leur lieu d’habitat, en centre ville au contact avec les catholiques, autant de faits qui les mettent dans la dépendance des autorités. Les moyens de contrainte sont en effet limités dès que l’on s’éloigne d’Annonay. Tous ceux qui sont hors d’Annonay échappent à la conversion collective. C’est ce qui agace au plus haut point l’archevêque de Vienne et son vicaire général, l’abbé d’Auvergne, qui reprochent aux « réunis » de quitter Annonay pour éviter de se soumettre aux exigences du rite catholique.
Cette attitude très agressive vis à vis des notables se poursuit pendant tout le premier tiers du XVIIIe siècle. Le tableau 462 comptabilise les mises au couvent ordonnées par l’intendant parmi les notables annonéens souvent à la suite d’un refus d’envoyer les enfants au catéchisme catholique. Parmi les couvents concernés un nous est familier : celui de Notre-Dame, une fondation du début du XVIIe siècle à l’initiative des dévots annonéens. Le monastère de Sainte Claire est, en revanche, plus ancien. Le chiffre 3, dans la colonne statut social, correspond aux notables. La colonne immédiatement à droite rappelle si la conversion a été faite en 1685 (avec le chiffre 1) ou non (dans ce cas un 0 est indiqué). Dans une légère majorité des cas (60 %), la conversion s’est effectivement produite en 1685. Ainsi se révèlent les résistances des notables puisque leur conversion ne les détourne pas de refuser pour leurs enfants une instruction religieuse catholique. Pour les autres notables (soit 40 %), leur nom n’apparaît pas sur la liste de 1685, ils n’ont donc pas participé à la conversion collective. Cela confirme qu’en 1685 seuls quelques réformés annonéens, parmi lesquels se trouvent une majorité de notables, ont été concernés. L’analyse sociale des mises au couvent révèle que les professions juridiques sont particulièrement concernées puisqu’on compte deux notaires, deux avocats à la cour bailliagère, un expert ou officier souvent chargé de la conservation des droits seigneuriaux, et un procureur, chargé des affaires de la communauté, soit 60 % des cas recensés. Les effectifs des officiers de justice vont fortement se réduire parmi les notables « nouveaux convertis ». Ces derniers seront désormais davantage des marchands. Le tableau permet d’imaginer les tensions qui ont pu se créer entre des magistrats qui, quelques années auparavant, coopéraient et qui se retrouvent désormais en opposition. Mais aucun document ne permet d’analyser cette évolution des relations au sein du personnel du bailliage. Enfin, les procès engagés contre des « nouveaux convertis » par le procureur du roi concernent principalement des notables.
Enfin, les archives de l’hôpital général rappellent que dès 1687 les notables sont des cibles privilégiées des persécutions 463 déjà à propos de la question de l’envoi des enfants au catéchisme. Dans cette liste certains sont connus, ils apparaissent dans le tableau des condamnations de 1702 ainsi Me Louis Lagrange, avocat, la veuve de Me Rignol, notaire ou Charles Alléon, banquier et marchand. D’autres noms apparaissent également : Pierre Fournat, marchand, Sr Delacou, avocat, , Jean Léorat, marchand, Matthieu Johannot, marchand papetier, et J. Johannot (papetier). Une liste assez longue qui évoque une résistance importante et qui permet d’évoquer à nouveau l’existence, en dépit de la persécution, de la frontière confessionnelle.
Y. Krumenacker, Les protestants du Poitou au XVIII e siècle (1681-1789), ouvrage cité, p. 62-85.
ADA 11 B 42, Cahier d’abjuration des habitans de la ville d’Annonay de l’hérésie de Calvin, manuscrit, 1685.
Voir tableau 29.
Voir tableau 30.
Archives municipales d’Annonay A3, 1687.