4. Les différences dans la persécution selon les villes, la situation d’Annonay.

Les relations entre réformés et catholiques d’Annonay sont complexes. Alors que les tableaux 493 permettent de montrer les persécutions de la part des officiers de justice, dans le même temps des signes d’une certaine « tolérance » ou indifférence semblent subsister. Le maintien du cimetière protestant jusqu’en 1697 pourrait être interprété ainsi. Le cimetière des réformés annonéens est en 1685 celui de la Josserande ou Hors-Déome 494 . Il est confisqué par les catholiques et en 1686, à l’occasion d’une épidémie de fièvre ardente, puis béni par l’archevêque de Vienne avant d’être utilisé 495 . Officiellement le cimetière n’est donc utilisable que par les catholiques. Toutefois, les registres du consistoire d’Annonay le confirment, les enterrements continuent après la Révocation 496 , mais à un rythme plus réduit qu’avant 1685. Or, en théorie, tous les réformés depuis l’édit de Fontainebleau sont des « nouveaux convertis », une telle situation est donc complètement illégale et seul le cimetière catholique devrait être utilisé. Le secrétaire du consistoire, Isaac Estoille, a continué d’inscrire les décès sur le registre des actes pastoraux. Mais tous les enterrements ne se font pas sans difficultés. Certains réformés sont enterrés secrètement soit au cimetière soit dans des terrains privés. C’est déjà le signe d’un contrôle incomplet du clergé. D’autres cas signalent également l’intervention du clergé dans les enterrements car l’habitude semble avoir été conservée d’enterrer les « nouveaux convertis » dans leur ancien cimetière désormais catholique. Mais certains, les De Fornier par exemple, sont enterrés au cimetière protestant et aucune intervention du clergé n’est signalée. Il faut attendre 1697, soit 12 ans après la Révocation, pour que le clergé intervienne et enterre désormais uniquement selon le rite catholique dans le cimetière Hors-Déôme. Cette situation peut-elle être interprétée comme une faille dans la vigilance du clergé et du personnel des officiers de justice, ou s’agit-il d’une indifférence de la population ? Car les enterrements des réformés, même s’ils sont peu nombreux et nocturnes, ont inévitablement dû attirer l’attention des catholiques. On retrouve donc, dans cet exemple, les mêmes observations qu’avant 1685, ce mélange entre agressivité et tolérance. La persécution semble se limiter aux périodes de présence des dragons, et à la vigilance du procureur du roi et de ses acolytes. Ainsi l’arrêt officiel des enterrements dans le cimetière réformé se fait dès le mois de septembre1685. Il y a donc anticipation, peut-être par les officiers du bailliage, de la décision royale. 497

Le comportement des réformés associe la résistance avec l’adoption de certaines pratiques catholiques. La famille Veyre, dont plusieurs membres sont des notables annonéens, montre la conversion et ses limites. En 1737, Claude Veyre et Jeanne Fournat 498 se marient dans l'église des Pénitents d'Annonay. Le lieu n’est pas anodin. Il s’agit de la chapelle d’une confrérie, où les notables catholiques ont coutume de célébrer leurs mariages. Les notables préfèrent les petites chapelles plutôt que l’église paroissiale. A la différence de la pratique des réformés au XVIIe siècle, pour lesquels tous les mariages sont célébrés dans le temple, les notables catholiques aiment se distinguer dans le choix d’autres espaces sacrés. Les pratiques des notables catholiques ont donc influencé celles des réformés. Le mariage Veyre-Fournat permet de s’apercevoir en même temps que l'endogamie confessionnelle se maintient. En dépit de la Révocation et des abjurations, les mariages « interconfessionnels » sont rares. De plus, en 1738, Barthélémy, le fils de Claude Veyre, bourgeois d'Annonay, est baptisé par le curé d'Annonay, Laurencin. Le baptême a lieu le jour même de sa naissance, c’est encore un signe de l'alignement sur les pratiques des catholiques et de la pression du clergé sur les réformés. Certes, cette dernière est très forte et ne permet guère de se dispenser du baptême sous peine d’amende mais elle est inégale. Nous avons vu l’abbé d’Auvergne reprocher aux curés des environs d’Annonay leur laxisme face aux « nouveaux convertis ». Les intervalles entre la naissance et le baptême relevés avant 1685 pour Annonay étaient compris entre trois et quatre jours. Cet intervalle, il est vrai, était en réduction. Mais le baptême, célébré le jour-même de la naissance, semble bien être une pratique d’inspiration catholique. La suite de l’histoire de cette famille est pleine d’enseignements. En 1739, « est née Marianne sur les onze heures du matin et a été baptisée ledit jour par Mr Chabert, curé d'Annonay, son parrain : Louis Fournat (son oncle), et sa marraine : Dlle Marianne Veyre, épouse de Me Jean Chomel ». Les comportements ambigus se poursuivent. Le baptême a lieu à l'église, le jour-même de la naissance, mais les parrains et marraines sont choisis parmi les « nouveaux convertis ». La famille Veyre semble illustrer une situation plus générale. Le comportement des notables est fait de compromissions, entre la volonté de maintenir leur position sociale, et leur attachement confessionnel. Ce sont ces compromissions qui sont fustigées par les pasteurs. Peirot, s’adressant aux annonéens leur reproche de faire baptiser leurs enfants à l’église et Durand accuse les privadois de tiédeur dans leur foi. Deux accusations qui méritent bien des nuances lorsqu’on les confronte aux documents précédents.

Notes
493.

Voir tableaux 36 et 37.

494.

Voir carte 5.

495.

ADA 1 MI 350, Chomel le béat, ouvrage cité, p. 443.

496.

Voir tableau 38 et annexe 4.

497.

Le bureau de l'hôpital offre en 1686 le même exemple de maintien de relations entre les deux communautés. Il est composé de 8 bourgeois dont : Jacques Demeure, avocat et syndic des catholiques, Claude Guérin, avocat, Louis Gourdan, avocat, François Chomel, docteur en médecine, Claude Chapuis, avocat, (nouveau converti), Louis Argoud, bourgeois, Denis Montchal (bourgeois) et Jean-Baptiste Meyssat, bourgeois, nouveau converti d’après Filhol, tome II, ouvrage cité, p. 643-645.

498.

ADA 4 J 1, Veyre B., livre de raison, 1739.