4. La gestion de la communauté.

Avant 1679 la mixité confessionnelle 562 est la règle dans la gestion de la communauté annonéenne. Le coup de force de 1679 exclut les réformés du partage du pouvoir consulaire. Mais la mixité va très vite réapparaître dans les faits. En 1686, un consul « nouveau converti » est à nouveau élu 563 . Le retour à la mixité se fait prudemment. Les premiers consuls sont des « nouveaux convertis faisant leur devoir de catholiques ». Ensuite, à partir de 1701, la mixité redevient la règle avec un catholique et « nouveau converti », quel que soit l’état de sa conversion. Le maintien de la mixité confessionnelle dans le consulat n’est pas lié à un rééquilibrage démographique en faveur des réformés car, en 1721, les réformés ne représentent que 28 % de la population annonéenne. La baisse depuis 1685 a été permanente, ils représentaient alors 43 % de la population. C’est en partie la conséquence de l’exode après la Révocation qui a surtout touché les artisans, de la croissance rapide de la population catholique et du mouvement de conversion dans les rangs des réformés. Ce retour à une situation antérieure dans la gestion de la ville semble montrer qu’après les pressions extérieures nées dans le contexte de la Révocation, un équilibre réapparaît au sein de la ville. Cette gestion commune est un autre élément qui permet de rapprocher Annonay et Augsbourg. En revanche la destruction des archives municipales ne permet pas de dire si le corps politique est lui aussi revenu à la mixité confessionnelle. Comment expliquer ce retour à la situation d’avant 1679 dans la gestion de la ville ? Est-ce le signe d’une perte de vigilance dans la surveillance de la part de l’intendant ? Pourtant, la période 1686-1701, moment du basculement, n’est pas une période d’apaisement dans la politique de persécution ainsi qu’il apparaît sur le graphique présenté en introduction à ce chapitre 564 . Au contraire, la répression connaît même son paroxysme. De plus, l’adhésion des « nouveaux convertis » au catholicisme laisse toujours à désirer. L’autre hypothèse est la forte présence de notables au sein de la communauté des « nouveaux convertis », leur absence rend difficile la gestion de la ville. Difficulté car ils détiennent, avec leur spécialisation dans plusieurs secteurs, un pouvoir économique et financier important au sein de la communauté. Si l’on se rappelle l’endettement chronique des communautés, la présence des notables réformés peut se révéler indispensable. Une autre piste pour expliquer le rétablissement de la mixité dans la gestion, dans la première moitié du XVIIIe siècle, serait de rappeler que les intendants ont souhaité, éviter toute provocation afin de ne pas déclencher de nouveaux mouvements camisards ; Annonay bénéficie-t-elle de ce contexte ? Enfin, les communautés ont souhaité racheter les offices de consuls souvent supprimés à la suite de la création de ceux de maire ; or les « nouveaux convertis » disposent d’un pouvoir financier qui le permet.

La même situation observée à Villeneuve-de-Berg montre un comportement bien différent. Les réformés ont été écartés du consulat beaucoup plus tôt, entre 1638 et 1659, et les consuls sont tous les deux catholiques après la Révocation. Mais les sources sont moins précises pour permettre l’identification, et une marge d’erreur subsiste. En 1707, l’arrivée au consulat d’un « nouveau converti » 565 déclenche l’opposition du juge royal et l’ouverture d’une information. Il est tout de même élu avec l’assurance du curé présentant un certificat de catholicité. L’accession au consulat d’un « nouveau converti », vingt ans après la Révocation, reste donc un sujet sensible, tout au moins pour le juge royal. A Privas, la situation de mixité se maintient quelques années également après l’arrêt d’expulsion de 1664, sans doute en raison d’une situation démographique en faveur des réformés. En effet, le syndic protestant, Pierre Blachier élu en 1663 est à nouveau en charge en 1666. Mais en 1753, le maire et tous les conseillers politiques signent pour réclamer à l’intendant le départ du maître d’école réformé. Une telle démarche révèle que la communauté est gérée uniquement par les catholiques.

Au total, les persistances sont nombreuses et permettent parfois de remettre en cause la coupure chronologique de 1685. La Révocation n’est pas dans tous les cas une rupture complète. La gestion des communautés, par exemple, montre que l’interruption est de courte durée dans le cas d’Annonay. Dans cette ville, la frontière confessionnelle se maintient en dépit des conversions car les réformés qui résistent sont pour certains isolés géographiquement des catholiques et les mariages mixtes restent peu nombreux. En ce qui concerne Villeneuve-de-Berg, la communauté est trop affaiblie pour résister à la Révocation, les effectifs se réduisent, mais l’évolution a commencé avant 1685. Quant à Privas, les modes de vie apparaissent encore largement imprégnés des pratiques réformées mais des changements importants ont eu lieu dans la gestion de la ville. Les effets de la Révocation sont donc très différents selon les villes étudiées, parfois simple ralentissement avant un nouveau départ, ailleurs coup de grâce porté à une communauté dont le déclin s’est engagé bien plus tôt.

Notes
562.

Voir tableau 3.

563.

J. Schnetzler, « La paroisse protestante des Vans, une enclave calviniste dans la Cévenne catholique, (environ 1750-1825) », in Revue du Vivarais, Eglises, pouvoirs et sociétés en Ardèche (milieu XVII e siècle – milieu XIX e siècle, Actes du colloque de Charmes-sur- Rhône,(avril 1992), tome XCIV, n° 1 et 2, janvier-juin 1993, n° 713-714, p. 55-101 dresse le même constat à propos des Vans, dans le sud du département actuel de l’Ardèche. Il signale le retour à la mixité confessionnelle dans la gestion de ville après la Révocation. Or, les deux villes se ressemblent sur certains points dans les deux cas il s’agit d’isolats confessionnels au sein d’un environnement catholique et les relations entre les deux communautés sont relativement cordiales.

564.

Voir graphique 22.

565.

Voir annexe 29.