3. Des choix identiques de prénoms, signe d’effacement des divisions confessionnelles ?

La volonté des notables de se tourner vers un même mode de vie est un autre signe de l’effacement des divisions confessionnelles. De nouvelles formes de sociabilité nous ont montré l’existence de relations entre catholiques et « nouveaux convertis », principalement des notables, mais les autres groupes sociaux ne semblent pas exclus de ces évolutions. Un autre signe d’une évolution identique dans les deux communautés tient au choix commun de prénoms-composés 631 . Tous les prénoms composés ont été pris en compte en excluant ceux qui étaient déjà très fréquents au XVIIe siècle : Jean-Louis, Jean-Jacques, Jean-Pierre, Jean-François, et pour les femmes : Marie-Anne qui n’est souvent qu’une variante mal orthographiée de Marianne. L’objectif était de mettre en valeur la part de nouveaux prénoms. Les sources manquent malheureusement d’homogénéité. Pour les réformés, l’utilisation des registres de l’édit de 1787, favorise la représentation des notables. Mais très peu de sources sont disponibles entre 1720 et 1787. Il n’en est pas de même avec les registres paroissiaux catholiques où l’on retrouve l’ensemble de la population.

Alors qu’au XVIIe siècle il pouvait y avoir dans la même famille plusieurs individus portant le même prénom, au XVIIIe siècle les notables souhaitent marquer plus nettement l’originalité de chaque individu. Parfois le prénom composé est construit à partir du prénom du père, auquel un autre est ajouté. L’augmentation du nombre de prénoms composés est générale. Elle ne respecte pas la limite confessionnelle. Toutefois elle s’effectue selon des clivages sociaux. Les notables sont les premiers à l’expérimenter. Le pourcentage des prénoms composés à Privas le confirme. Les réformés, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, utilisent plus les prénoms composés et de moins en moins les prénoms vétérotestamentaires 632 . Ce type de prénom subsiste mais il n’est plus reconnu, par une majorité de protestants, comme un signe d’appartenance à une communauté.

Cependant des situations très différentes sont visibles 633 dans le choix des prénoms. Privas et surtout Villeneuve-de-Berg montrent un maintien plus important des traditions dans le choix des prénoms. Dans le cas de Villeneuve-de-Berg, il semble que la minorité protestante tente de s’accrocher à ses traditions face à une population majoritairement catholique. La situation à Privas, où les prénoms vétérotestamentaires sont plus importants chez les catholiques que chez les réformés, est très étonnante. C’est le signe de la présence de « nouveaux convertis » qui restent attachés à leur culture. En revanche dans ces deux villes les prénoms composés sont réduits (l’analyse des registres de 1787 donne un taux pour Privas encore plus faible que celui calculé dans le tableau : 9 %). Enfin dans le cas d’Annonay, la différence entre les deux confessions est très importante. Alors que les catholiques adoptent modérément les prénoms composés les réformés les utilisent largement. Déjà en 1721 la distinction était nette entre les catholiques dont le taux de prénoms composés ne dépassait pas 1,52 % et les réformés atteignant 5,03 %. Le contraste constaté sur le tableau 634 entre 1750 et 1787 entre les deux communautés annonéennes s’explique donc par une chronologie et une composition sociale différentes. Les pourcentages correspondent sans doute à une stratification sociale, plus qu’à une limite confessionnelle. Toutefois, la part des notables ne représente par un pourcentage de la population aussi élevé que la part des prénoms composés. Une partie de la population d’Annonay semble, avec l’engouement pour les prénoms composés, essayer de se tourner vers la « modernité » et d’oublier son passé de division confessionnelle. La situation privadoise rappelle que les écarts sociaux sont beaucoup moins grands. Certes quelques marchands réformés ont fait fortune mais ils habitent souvent hors de Privas. Enfin Villeneuve-de-Berg paraît beaucoup moins touchée par cette évolution, en raison peut-être de l’absence d’une bourgeoisie marchande et manufacturière que ses voyages amènent à découvrir les modes nouvelles de la capitale. L’originalité d’Annonay se confirme donc. Dans les deux autres villes, l’écart entre les pourcentages des deux communautés n’est pas très important, en revanche le comportement des deux communautés annonéennes est très différent. Ce n’est pas le signe que les divisions confessionnelles réapparaissent mais plutôt la manifestation des importants contrastes sociaux. Enfin l’analyse comparative 635 des stocks de prénoms conduite sur la population d’Annonay complète les constats précédents. Le même choix des prénoms composés dans les deux communautés aurait permis de penser à un rapprochement des deux confessions. Il n’en est rien. Les pourcentages montrent que les différences se maintiennent par rapport au XVIIe siècle. Les choix de prénoms restent très différents. L’explication ne tient plus au choix par les réformés de prénoms vétérotestamentaires comme au siècle précédent, mais de prénoms simples ou composés différents de ceux des catholiques. On a peut-être une nouvelle confirmation d’une frontière confessionnelle qui redevient étanche lorsque les persécutions disparaissent. La situation privadoise montre une légère réduction des différences par rapport au XVIIe siècle, mais l’analyse porte sur des effectifs réduits. 636

La situation est donc différente de celle du XVIIe siècle car les prénoms bibliques n’ont jamais atteints des taux aussi élevés dans la population annonéenne. Il y a bien ici une différence majeure qui apparaît.

Notes
631.

Voir tableau 51. Les prénoms composés les plus fréquemment rencontrés  : pour les hommes : Jean Antoine Barthélémy, Jean André, Louis Henry, Jean joseph, Jean André, Jean Théodore, Nicolas Théodore, Pierre Sylvain, Jacques-François, Jean-Sypion, Etienne-Alexis, Pierre-André, Pierre-Antoine, Jean-Cézard, Melchior Caesar, Bernard Antoine, J.-Etienne, Thimotée-Louis, J.-Simon, Etienne-Laurent, Jean-Etienne, Louis-Marc, Jean-Hugues, Joseph Pascal, Esprit François, Joseph François, Jean Simon, Joseph Benoît, Paul David, Jacques François,

et pour les femmes : Marie Anne Françoise., Emilie Françoise, Claire Louise, Anne Etiennette, Louise Victoire, Anne Magdelaine, Suzanne Ambertine, Thérèse Marie, Vict. Ang., Jeanne Marie, Catherine Rose, Marie Jeanne, Marguerite-Ursule, Marguerite-Rose, Marianne Louise.

632.

Voir tableau 39.

633.

Voir tableau 51.

634.

Voir tableau 51.

635.

Voir tableau 63, 64 et 10. La technique utilisée pour le XVIIe siècle a été reprise ici.

636.

Voir tableau 64.