Une autre réponse est donnée par les testaments. Quelques exemples permettent d’apprécier la situation ; celui d'un protestant tout d’abord, Jean Léorat, « fils à Mondon », marchand-tanneur d’Annonay. Il vit dans le quartier de la Réclusière, quartier à forte concentration de protestants. Les formules se sont réduites mais la référence à Dieu est toujours présente : « Au nom de Dieu soit fait amen ». 657 Il lègue aux pauvres 1800 livres et 300 à l'hôpital royal d'Annonay. Signe étonnant, mais déjà évoqué, l'hôpital n’est pas perçu par les réformés d’Annonay comme le symbole catholique de l'aumône, et ceci en dépit des diverses procédures judiciaires engagées par l'hôpital, dans les années qui ont suivi la Révocation, pour tenter de récupérer les legs faits par les particuliers aux consistoires. De telles actions en justice n’ont pas manqué de créer des tensions entre « nouveaux convertis » et l’hôpital. L’autre exemple est celui d’un notable catholique, Charles Duret, maître-chirurgien et officier de la confrérie des pénitents du Saint Sacrement, il teste en 1772 :
« Il recommande son âme à Dieu, lègue à l'hôpital général de l'Enfant-Jésus la somme de 500 livres et donne et lègue à la confrérie du St Sacrement 30 livres payable à son décès, se recommandant aux prières de Mrs les Directeurs et pauvres de l'Hôpital et à celles des pénitents ses confrères » 658 .
La référence à la confrérie le distingue du testament réformé mais les dons à l’hôpital les rapprochent. Dans les deux cas, les formules se sont raccourcies mais elles témoignent d’un maintien de l’attachement religieux. Ces deux exemples sont confirmés par les pourcentages de testaments comportant encore une invocation. Pour les trois villes étudiées entre 1770 et 1787, 63 % des testaments catholiques et 60 % des protestants comportent une formule pieuse. La différence avec Lyon, où les testaments réformés sans formules représentent, en 1780, 60 % des cas, est considérable. Certes Lyon n’est pas représentative de l’ensemble du royaume 659 mais les pourcentages vivarois apparaissent généralement élevés.
Toutefois ces constats doivent être nuancés selon les lieux d’étude. Les observations faites précédemment à Privas se confirment. Les formules d’invocation sont de plus en plus absentes. C’est le cas de Jacques Grel, bourgeois, dont la formule est réduite à quelques termes :
« Lègue aux pauvres la quantité de six setiers de bled moitié froment moitié meslé à eux payables dans l’année de mon décès » 660
La seule constante par rapport à la première du XVIIIe siècle reste le don en nature. Mais il n’est désormais plus effectué seulement le jour du décès. La référence religieuse se limite parfois à la formule de reconnaissance :
« Désirant disposer des biens qu’il a plu à dieu me donner ai fait mon testament mistique et secret de la manière qui suit » 661
La laïcisation du testament semble donc s’être poursuivie à Privas de manière plus active qu’à Annonay. En effet, sur les 36 testaments étudiés entre 1750 et 1787, 90 % à Annonay comportaient une invocation contre seulement 66 % à Privas. Compte-tenu des faibles effectifs les pourcentages n’ont qu’une valeur relative, mais l’empreinte de la Réforme catholique semble encore forte à Annonay. Certes, les formules sont plus brèves mais le recours à des intercesseurs reste encore fréquent dans les testaments annonéens. D’autre part les réformés annonéens n’hésitent pas à utiliser des invocations (dans 60 % des cas) dans les testaments à la différence de leurs correligionnaires privadois. Cette différence entre Privas et Annonay révèle-t-elle une déconfessionnalisation plus avancée des réformés privadois ? L’exemple lyonnais invite à la prudence : les testaments ne sont pas toujours des révélateurs de la foi de leurs auteurs 662 . Dans le cas du Vivarais, les mêmes conclusions semblent pouvoir être reprises car les testaments nuncupatifs sont souvent différents des testaments mystiques. D’autre part d’autres sources montrent un maintien de l’attachement confessionnel.
ADA 2 E 19420, notaire P. Chomel, volume 39 folio 407, 5/01/1775.
ADA 2 E 19420, notaire P. Chomel volume 30, folio 498, Annonay, 23/11/1772.
Krumenacker Y., Des protestants au siècle des Lumières, le modèle lyonnais, ouvrage cité, p. 266.
ADA 2 E 3204, notaire Joseph Louis Grel, 28/4/1782, fol. 284-85.
ADA E dépôt 75 II 42, archives de la communauté de Privas, 18/4/1775. Testament de Pierre Chaumat bourgeois de la ville de Privas.
Krumenacker Y., Des protestants au siècle des Lumières, le modèle lyonnais, ouvrage cité, p. 267.