c) Une communauté réformée moins soudée qu’au temps des persécutions

La moins bonne cohésion au sein de la communauté réformée d’Annonay pourrait être également un signe de ces difficultés pour le pasteur à asseoir son autorité sur une communauté habituée depuis plusieurs décennies à une large autonomie. Les conversions, à l’époque des persécutions, nous ont montré que les individus isolés du groupe, les veuves, les célibataires étaient plus fragiles. Il semble bien qu’aux XVIIe et XVIIIe siècle l’adhésion à une confession ne soit pas une affaire individuelle mais qu’elle relève d’un fonctionnement communautaire. C’est la raison pour laquelle nous avons pris en compte cette analyse de la cohésion confessionnelle dans l’analyse plus large de la déconfessionnalisation. Alors qu’au XVIIe siècle les différends portés devant la justice sont très rares entre familles réformées, on voit quelques exemples à la fin du XVIIIe siècle. 663 Au XVIIe siècle, l’activité du consistoire obligeait les coupables à se soumettre à ses décisions, et les conflits se terminaient par des compromis. A la veille de la Révolution, ce n’est apparemment plus le cas. M. H. Reynaud évoque les tensions entre deux familles de notables de la communauté réformée, les Boissy d’Anglas et les Johannot 664 . Ces affrontements sont le résultat de questions d’héritage mal réglées et d’injures un dimanche matin sur la route de « l’Auvergnat », le lieu du culte réformé. Cette querelle va s’envenimer et s’enraciner. Le procès pour régler la question de l’héritage commence en 1773. En 1776, la tension monte nettement, Johannot provoque en duel Boissy d’Anglas qui profite de l’occasion pour porter l’affaire devant la justice ordinaire d’Annonay. Johannot porte plainte à son tour. Le procès s’enfonce alors dans les méandres de la justice d’ancien régime. Enfin, en 1793, en pleine tourmente révolutionnaire, Boissy d’Anglas n’intervient pas pour sauver Pierre Johannot de la guillotine et François, son frère, de la prison. On assiste donc à une longue querelle qui déchire deux familles réformées par l’intermédiaire de la justice si longtemps redoutée par les protestants. Ces tensions pourraient être interprétées comme le signe d’une cohésion plus difficile, alors que les persécutions se sont arrêtées, certains membres de la communauté n’hésitant pas à s’opposer publiquement entre eux, au risque de briser la cohésion du groupe. Nous pensons que cette cohésion plus difficile est un élément qui est susceptible de fragiliser la communauté, et donc avoir des répercussions sur la confessionnalisation de cette communauté.

Notes
663.

Par exemple dans ADA registres du notaire Faurie, volume 4, folio 42, du 3/01/1667 : un conflit éclate entre un notable P. Chomel, bourgeois d'Annonay, mari de Madeleine Chomel, et syndic de l'église « Prétendue Réformée ». Pierre Chomel est accusé, lorsqu'il a été exacteur pour le compte de la communauté réformée en 1648, d'avoir fait un compte faux. Il doit 2291 livres à titre de retard de paiement. Ce retard s'expliquerait, d'après P. Chomel, par la lenteur des réformés à payer leur cote. Finalement P. Chomel accepte de reverser 1654 livres pour le reliquat. Les réformés refusent de s'adresser à la justice au motif que : « les parties pour éviter l'événement incertain d'un procès et les grands frais qu'il conviendrait faire ».

Un autre exemple d'un conflit qui se termine par un compromis et non par un procès entre deux réformés : Jean Ravel bourgeois d'Annonay, a intenté un procès devant les officiers ordinaires contre Marie Laurent (veuve de Me Pierre Léorat, docteur en droit) et Isabeau Léorat, femme de Louis Delagrange avocat, car les deux parties ont des terres de chaque côté d’une rivière, or Marie Laurent a fait construire un canal pour dévier l'eau, d'où la plainte de Jean Ravel qui s’estime lésé ; finalement Jean Ravel accepte de retirer sa plainte et Marie Laurent de défaire ses travaux (dans ADA notaire Béolet volume 1 folio 21, 23/09/1677). Ainsi les procès entre membres de la communauté réformée semblent se terminer souvent par des compromis.

664.

Reynaud M.-H., « Qu'il fut difficile à M. Boissy de devenir d’Anglas, ou l’hostilité de la famille Johannot », Le Vivarais dans la Révolution, Revue du Vivarais, tome XCIII, janvier-juin 1989, n° 697-698, p. 57-74.