e) Des écarts croissants entre les attentes du clergé et la pratique des fidèles ?

Les catholiques connaissent-ils une déconfessionnalisation ou même une déchristianisation ainsi que le décrivent les membres du clergé en cette fin du XVIIIe siècle ?

Les écarts entre les instructions du clergé et la pratique des fidèles semblent s’accroître. Des infractions anciennes, telle que la désobéissance aux consignes concernant les fêtes, continuent de se produire qui peuvent désormais se dérouler ouvertement. La partie de jeu de paume se déroulant à Privas à une heure de l'après-midi, le dimanche 5 août 1764, souligne clairement que le dimanche n’est pas employé uniquement à la pratique religieuse. Un exemple en contradiction avec les instructions de l’évêque de Viviers :

« Rien n'est si déplorable dans le Christianisme que la profanation scandaleuse des Dimanches et des Fêtes. Ces jours ne sont pour la multitude qu'une occasion de prévarication par la facilité avec laquelle on se dispense des actes de religion les plus expressement commandés et l'on se permet toutes sortes d'œuvres défendues, le jeu, le libertinage, la débauche remplacent les œuvres serviles 679 . »

Le mandement de l’archevêque de Vienne réduisant les jours fériés parce qu’ils ne sont pas respectés offre un autre exemple de l’écart entre pratique populaire et instructions du clergé. Cette réduction du nombre de jours fériés intervient à la suite de plaintes. La solution que propose le prélat est de transférer des jours de fêtes de la semaine sur le dimanche, mais il rappelle au passage le comportement des fidèles :

« Nous avons vu avec regret que les jours de fête, où l'Eglise défend à ses enfants les œuvres serviles pour ne vaquer qu'à la prière et aux autres exercices de piété, deviennent presque toujours un sujet de péché pour plusieurs, qui sous le prétexte spécieux que les biens de la terre sont en danger de se perdre ne se font aucun scrupule de transgresser ce précepte. D'autres encore, plus coupables que les premiers se laissent entraîner par l'amour des plaisirs, passent dans la débauche des jours où ils ne devraient être occupés qu'à leur sanctification » 680 .

Mais les plaintes du clergé concernant le respect du dimanche et des fêtes religieuses sont anciennes et il est difficile de mettre en lumière une évolution dans les comportements.

L’évolution de la définition du surnaturel et de la superstition semble également révélatrice de nouvelles relations avec l’au-delà. En 1773, cinq personnes, dont deux femmes, les femmes semblent entretenir des liens « privilégiés » avec l’au-delà quelle que soit leur appartenance confessionnelle, sont jugées à Annonay. 681 On les accuse de faire croire qu’elles voient les morts. Leurs visions se font en échange d’aumônes. Mais le procès diligenté par un notable, il s’agit du procureur du roi d’Annonay, n’évolue pas vers une accusation de sorcellerie car la supercherie est vite découverte : les aumônes des habitants trop crédules ont fait le bonheur de ces femmes. On connaît l’appartenance sociale des accusés : il y a un artisan, peigneur de soie, et deux vignerons. Ces derniers ont souvent un statut proche des ménagers, ils sont propriétaires d’une partie de leur exploitation et peuvent avoir un mode de vie qui les distingue du reste de la paysannerie. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le procès aurait pu se terminer par l’accusation de sorcellerie. Ici, c’est le vol qui est découvert. L’esprit des « Lumières » semble avoir marqué les notables, mais cette nouvelle approche de la réalité est-elle concurrente de la religion ?

Plusieurs informations permettent de passer d’exemples isolés à des constats plus larges. Tout d’abord, les confréries constituent un indicateur des pratiques. Leurs effectifs connaissent ailleurs dans le royaume une baisse à partir du milieu du XVIIIe siècle. Qu’en est-il pour les trois villes étudiées 682  ?

Notes
679.

ADA BIB 1538, Mgr de Villeneuve, Recueil des ordonnances du diocèse de Viviers, ouvrage cité, 1734, p.167-168.

680.

ADA G 12, G. D’Hugues, Mandement épiscopal, Vienne, 1752.

681.

ADA, 37 B 69, dossier 13, 1773, justice du marquisat d’Annonay.

682.

Voir les graphiques 39.