f) L’évolution des effectifs des confréries après 1750, un signe de déconfessionnalisation ?

Les informations chiffrées 683 , obtenues à partir des registres des confréries, font apparaître deux réalités. D’une part, un désintérêt pour les confréries se dessine en effet au travers des graphiques. Est-il la traduction d’une moindre importance du sentiment religieux, un des aspects de la déconfessionnalisation ? Après un maximum atteint au milieu du siècle, les nouvelles adhésions se raréfient. L’évolution des deux confréries annonéennes présente beaucoup de symétries. De plus, les motifs d’absence changent 684 . Les empêchements professionnels et le désintérêt augmentent. Les confréries sont marquées par le vieillissement. Les décès des confrères sont nombreux. L’ensemble de ces informations confirme une perte de vitalité.

Dans le même temps, la comparaison avec les effectifs de la Franc-Maçonnerie montre qu’en dépit de la baisse générale constatée, la résistance est meilleure pour les confréries. Mais des différences existent : ces constats ne se confirment pas complètement à Privas où la confrérie des Pénitents a un succès très limité,  sans doute en raison de l’hostilité des « nouveaux convertis » 685 jusqu’en 1775 ; en revanche les années précédant la Révolution montrent une hausse des adhésions. La Franc-Maçonnerie n’exerce pas une concurrence aussi forte qu’on aurait pu l’imaginer. Certes, lors de l’affiliation des loges d’Annonay au Grand Orient, à partir de 1775, puis leur fusion en 1780 l’on constate une certaine désaffection des notables pour les confréries et une remontée de la courbe des adhésions de la loge maçonnique. Les taux calculés 686 pour la confrérie annonéenne du Scapulaire montrent que dans les nouvelles adhésions la part des notables est plus réduite. Mais cette confrérie, à la fin du XVIIIe siècle, est largement féminine, les conclusions que l’on peut tirer de ces observations sont donc fragiles. Mais quelques observations montrent l’absence de concurrence entre les deux organismes. D’une part, le pourcentage de notables adhérant à la confrérie du Scapulaire est important entre 1765 et 1775 alors que les adhésions aux loges sont les plus nombreuses, d’autre part, ce même pourcentage remonte après 1778 alors que les loges existent encore. Certes les taux ne retrouvent pas la situation des années 1750, mais cette remontée est un signe que les confréries restent attractives pour les notables alors que les loges connaissent très rapidement une stagnation ; après l’enthousiasme lors de la création des loges le nombre d’adhésions diminue 687 . Enfin, à partir de 1775, les effectifs de notables baissent dans les confréries. Sont-ils attirés vers les loges ? La courbe des adhésions à la loge annonéenne ne met pas en évidence une situation de vases communicants : en effet après une croissance entre 1779 et 1781, la stagnation est à nouveau incontestable. Ainsi, le départ des notables des confréries est très tardif,  on constate une baisse seulement dans les années 1770-80, et ne semble pas lié à la concurrence des loges maçonniques. 688 Ces données confirment les observations faites par R. Sauzet à Nîmes 689 ou par M.-H. Froeschlé-Chopard 690 . Les confréries gardent une vitalité certaine jusqu’à la veille de la Révolution dans le cas d’Annonay.

L’absence de concurrence entre les loges et les confréries a sans doute favorisé le maintien des notables au sein de ces dernières. Deux faits paraissent susceptibles de rendre compte de cette situation. D’une part, certains confrères fréquentent en même temps les loges. Quelques personnes ont été recensées avec la double appartenance, une minorité il est vrai. Il s’agit de notables catholiques. Les notables sont souvent décrits comme la couche sociale la plus précocement touchée par la déchristianisation. Toutefois, Sieur Charles Duret, maître en chirurgie à Annonay, est membre de la confrérie des Pénitents et en même temps participe aux activités de la loge de la Vraie Vertu. 691 C’est un signe que confrérie et loge ne sont pas aussi opposées dans leur forme de sociabilité et leur mode de pensée, tout au moins pendant la période. D’autre part, le maintien de pratiques plus caractéristiques du XVIIe siècle ne semble pas incompatible avec les idées nouvelles. Leur fonctionnement présente des ressemblances qui ont pu favoriser le passage de l’une à l’autre. Le déroulement de la réception d'un nouveau membre dans la confrérie des pénitents du Saint Sacrement d’Annonay 692 comprend la réception qui se passe après la messe, (ou un office) souvent le dimanche, c'est le recteur en charge de la confrérie qui reçoit le nouveau. Cette réception présente des ressemblances avec celle pratiquée par les francs-maçons. Il y a ici la même volonté d’appartenir à un groupe restreint, accessible seulement à quelques-uns. Le paiement d’un droit pour les nouveaux avant d’être agrégés à la confrérie est un autre point commun. Un membre déjà reçu au sein de la même confrérie, dans une autre ville, peut être accepté à Annonay à condition de présenter un certificat. C’est également un fonctionnement commun avec les loges. De même, les fêtes maçonniques sont célébrées dans un contexte religieux : la présence d’un aumônier, les dons aux pauvres, autant de traits qui rappellent la confrérie. Ainsi, en 1780, une fête est organisée à la demande du Grand Orient en l'honneur du dauphin chez les pères Récollets.

Les confrères, au travers des formules testamentaires, montrent encore une piété datant de l’époque de la Réforme catholique. Ainsi, Joseph Presles, notaire royal à Annonay reprend, dans son testament de 1776, toutes les caractéristiques du testament du XVIIesiècle avec l’élection de sépulture, les dons à l’hôpital général, les dons aux confréries et les deux trentains de messes à célébrer dans l’année du décès. 693 Les notables membres des confréries présentent souvent les mêmes caractéristiques. Il y a donc, au sein du groupe des notables, le maintien, très tard dans le XVIIIe siècle, de comportements qui révèlent un attachement à la religion et une pratique religieuse marquée par la Réforme catholique.

A la présence des notables s’ajoute un autre élément de vitalité des confréries avec le recrutement féminin. Certaines confréries recrutent des éléments féminins, ce qui leur permet de maintenir un nombre d’adhésions élevé. La confrérie du Scapulaire bénéficie d’un apport féminin majoritaire à partir du début du XVIIIe siècle. Les femmes, notamment celles des familles de notables, restent plus largement attachées à la foi catholique alors que les hommes sont parfois attirés par de nouvelles formes de sociabilité et que leur pratique religieuse semble évoluer.

Au total, les informations dont nous disposons révèlent une vitalité assez tardive des confréries, sans doute en raison de l’absence de concurrence de la part des loges maçonniques mais aussi peut-être en lien avec les influences religieuses qui ont marqué Annonay au XVIIe siècle. Toutefois des marques de désaffection sont aussi incontestables chez les notables mais également dans le reste de la population pour lesquelles nous disposons de peu d’explications. Enfin les données étudiées sont réduites et invitent à la prudence dans les conclusions.

Notes
683.

Comparaison entre le graphique 40 et le tableau de l’annexe 7.

684.

Voir tableau 57.

685.

Voir graphique 23 : évolution des adhésions dans la confrérie du Confalon de Privas.

686.

Voir annexe 7.

687.

Voir graphique 40.

688.

Voir annexe 7 : tableau des pourcentages des notables dans la confrérie annonéenne du Scapulaire.

689.

Article de R. Sauzet, sur « Sociabilité et militantisme : les pénitents blancs de Nîmes au XVIIIe siècle », colloque Sociabilités, pouvoirs et société, Rouen, 1983, p. 611. R. Sauzet signale un taux de 16 % de notables. Ce sont des pourcentages un peu inférieurs qui ont été retrouvés à Annonay à partir de l’exemple de la confrérie du Scapulaire. (11,5 % dans la décennie 1770). Voir tableau de l’annexe 7.

690.

M.-H. Froeschlé-Chopard, « Indulgences et confréries, tests de l’évolution des dévotions au dix-huitième siècle », Religions en transition dans la seconde moitié du XVIII e siècle, textes présentés par Louis Châtellier, Oxford 2000, p.75-94.

691.

ADA 2 E 19420 notaire Pierre Chomel , vol. 30, fol. 498/500, 23/11/1772.

692.

Presles J., Livre pour la réception des Pénitents commencé sous le rectorat de Mr Joseph Presles, procureur au bailliage le 25 septembre 1746, p. 2.

693.

ADA 2 E 19420 notaire Pierre Chomel, vol. 32, fol. 471/532, 19/9/1776.