La baisse des effectifs de certains ordres religieux confirme l’impression de déconfessionnalisation mais avec les mêmes nuances que celles apportées précédemment. L’exemple des religieuses de Notre-Dame d’Annonay permet de préciser l’analyse 694 . Sur l’ensemble du siècle, la baisse de leur effectif est incontestable, mais la période la plus difficile est située au milieu du XVIIIe siècle. Ce couvent n’a pas reçu beaucoup de filles de « nouveaux convertis », ce n’est donc pas une explication du maintien des adhésions dans la première moitié du XVIIIe siècle. Le décret royal de 1749, révoqué en 1763, interdisant de recevoir des novices en raison de l’état de grande pauvreté du monastère, constitue sans doute l’explication principale de cette évolution des effectifs. Si l’on retient cet argument, cet ordre présente donc une résistance certaine de ses effectifs contrairement à bon nombre de réguliers, et notamment les ordres masculins ; ainsi, les chanoines réguliers de Saint Ruff présents à Annonay disparaissent à la fin du siècle. De plus, à la veille de la Révolution, les effectifs connaissent une remontée. Enfin, sur les 31 religieuses qui sont encore présentes en 1790 lors de la mise en place de la Constitution civile du clergé, 30 déclarent qu’elles « entendaient vivre et mourir religieuses ». Les effectifs, même s’ils sont gonflés par des apports extérieurs, sont largement issus de la population annonéenne, soit 45 %. Les notables sont largement présents parmi les familles des religieuses. Sur l’ensemble de la période, le pourcentage s’élève à 89 % et il ne paraît pas décliner à la veille de la Révolution. La congrégation semble toutefois marquée par un vieillissement. Certes, le graphique de répartition des décès dans la communauté ne montre pas d’augmentation de leur nombre à la fin du siècle. Ces résultats peuvent être, en partie, faussés par l’allongement de la durée de vie liée à l’amélioration des conditions d’existence. Mais l’âge moyen au décès 695 ne cesse en effet d’augmenter dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Au total, l’impression est celle d’un ordre marqué par un affaiblissement du recrutement, doublé sans doute d’un vieillissement, mais qui est loin d’être à l’agonie.
L’abbé Léorat-Picancel, curé d’Annonay à la fin du XVIIIe siècle, confirme cette réduction des ordres féminins, en soulignant l’originalité des religieuses de Notre-Dame :
« L’abbaye de Sainte Claire, bien déchue de son ancienne ferveur, avait douze religieuses de chœur et deux sœurs. Trente religieuses de chœur et quatre sœurs converses au couvent de Sainte Marie (= religieuses de Notre Dame) prouvaient que les leçons de la philosophie contre l’état religieux n’étaient pas universellement adoptées. Il y avait toujours beaucoup de pensionnaires dans cette maison et une école publique et gratuite pour les jeunes personnes pauvres du sexe » 696
Une des explications du relatif maintien des religieuses de Notre-Dame tient peut-être au rôle tenu dans l’enseignement des jeunes filles. Le caractère récent de cette congrégation et leur place dans la Réforme catholique ou dans la Contre-Réforme ne semblent pas, en revanche, des facteurs déterminants car les Récollets qui présentent les mêmes caractéristiques connaissent notamment à Privas un déclin de leurs effectifs.
L’impression d’ensemble est donc très nuancée. La déconfessionnalisation apparaît mais elle est très inégale selon les groupes sociaux et les confessions. D’autre part, des signes montrent le maintien d’une forte piété pour les deux communautés. Comment expliquer ce double constat ? Les facteurs de cette déconfessionnation limitée sont-ils identiques dans les deux communautés ?
Voir tableau 58 et graphiques 41 et 42.
Voir tableau 58.
Abbé Léorat-Picancel, présenté et annoté par M. Guigal et M.-H. Reynaud, Annonay pendant la terreur, Annonay, 1988, p. 21.