3. Des situations différentes selon les villes

a) Evolutions des effectifs des deux confessions

La comparaison des populations 720 avant la Révocation et à la date de l’édit permet d’apprécier plus globalement l’évolution de la situation dans chaque ville et de tenter de répondre à la question de la déconfessionnalisation dans chaque communauté. On remarque que l’évaluation du nombre de réformés annonéens, donnée par le curé Léorat-Picancel, était un peu en-deçà de la réalité, mais assez proche tout de même. L’inconvénient de cette mesure est que les « nouveaux convertis » ne font pas tous baptiser leurs enfants au « Désert » or les statistiques de 1787 sont obtenues à partir de cette source complétée par les déclarations effectuées lors de l’édit. C’est la raison pour laquelle un autre indicateur a été utilisé, en complément de celui-ci, à partir des mariages.

A ce premier indice on peut rajouter une appréciation plus globale fournie par les effectifs de mariages pour le calcul d’un indicateur de fidélité à la foi réformée. 721 Certes, cet indicateur présente lui-aussi des limites. D’une part, tous les protestants ne déclarent pas leur mariage en 1787, ce sont souvent seulement les notables. D’autre part, il ne fournit pas d’information sur la qualité de la foi de ceux qui restent protestants, il ne nous permet de saisir qu’une évolution des effectifs. Mais c’est un indicateur qui permet de comparer la situation des trois villes.

Le constat fait habituellement concernant l’évolution des communautés réformées est, en général, le suivant : les communautés très minoritaires ont des difficultés à maintenir leur intégrité, en revanche, les communautés mieux implantées passent l’obstacle de la Révocation et des persécutions. Certes, les réformés de Villeneuve-de-Berg ne représentent plus que 1,6 % de la population de la ville, alors que les annonéens sont 8,8 % et les réformés privadois 6,1. Il y a donc bien un seuil critique en-dessous duquel la minorité réformée a beaucoup de mal à se maintenir. Toutefois, les taux de conservation de la population réformée, estimée à travers le nombre de mariages comme à travers le nombre de baptêmes, montrent que d’autres paramètres que le rapport de force démographique interviennent. La surprise vient en effet d’Annonay dont la situation « insulaire » aurait permis d’imaginer la disparition de la population réformée. Or il n’en est rien, au contraire. Certes l’importance des notables dans la population réformée de cette ville peut expliquer que le nombre de mariages déclarés lors de l’édit de 1787 soit plus important qu’ailleurs. Les notables réformés annonéens se sont empressés de faire officialiser leur mariage et leurs enfants dans les registres de l’édit, pour des questions de succession et de reconnaissance légale de leurs enfants. Une telle démarche renforce le pourcentage de mariages déclarés après 1787. Mais il est aussi le signe d’une communauté dynamique : elle est la première des trois à disposer d’un pasteur résident avant l’édit de tolérance. On a donc avec Villeneuve-de-Berg et Annonay deux types d’isolat protestant. Dans les deux cas, ce sont des villes avec une minorité protestante, entourées d’une campagne catholique. Dans le premier cas, il y a extinction presque complète de la minorité réformée, dans le second il y a maintien et même expansion. Comment expliquer ce déclin et cette prospérité dans des contexes apparemment identiques ?

S’agit simplement d’une différence démographique liée à la fécondité? Non, car 722 celle-ci est en baisse constante depuis le XVIIe siècle et elle est particulièrement basse pour Annonay. Seule la population réformée de Privas maintient une fécondité presque égale à celle des catholiques, ce qui peut expliquer, en partie, la moindre réduction des effectifs réformés dans cette ville. Certes, ces données, comme toutes celles concernant les Réformés au XVIIIe siècle, doivent être prises avec précaution. La clandestinité n’a guère favorisé la conservation des sources et un enregistrement correct des baptêmes et des mariages. On constate tout de même que les baisses de fécondité sont plus prononcées dans certains cas, par exemple à Villeneuve-de-Berg et Annonay. Cette situation s’explique peut-être parce que ce sont des notables en majorité qui ont des comportements démographiques différents.

Il y aurait dans ce cas un retournement complet de situation. Alors que les notables réformés se distinguaient au XVIIe siècle par une plus forte fécondité que la moyenne de leur communauté, la situation se serait donc inversée en cette fin du XVIIIe siècle. Dans ces deux villes, les convictions religieuses ne se traduisent pas, comme dans le cas de certaines minorités, par une forte fécondité, révélatrice d’une volonté de survie à tout prix. Le facteur social semble bien être l’élément essentiel dans la compréhension des ces différences démographiques. Privas, pour laquelle les différences sociales entre les deux communautés sont moins marquées, ne présente pas de différence flagrante dans le comportement démographique.

S’agit-il d’un rapport de force entre catholiques et protestants, particulièrement défavorable à ces derniers ? Dans les deux cas, le déséquilibre entre les deux communautés, catholique et réformée, est important. Donc ce facteur ne peut être retenu comme une explication satisfaisante. Des persécutions plus violentes ont-elles favorisé l’extinction du protestantisme ? Ici encore la réponse est négative. L’analyse de la répression conduite au XVIIe siècle a montré que celle-ci était plus violente à Annonay qu’à Villeneuve-de-Berg, tout au moins celle dont les autorités locales sont responsables. On aurait donc pu imaginer de la communauté réformée villeuneuvoise une baisse moins forte des effectifs. Mais il n’en est rien.

En revanche, l’ancienneté de la conversion au catholicisme distingue les deux villes. Dans le cas de Villeneuve-de-Berg, la conversion est précoce, dans le premier tiers du XVIIe siècle, et cela a augmenté la difficulté de maintien de la communauté. Mais le petit groupe qui reste semble attaché à la foi réformée. Le maintien des prénoms vétérotestamentaires et l’émergence d’une personnalité comme Court, au début du XVIIIe siècle, en témoignent. Nous avons vu également que la séparation spatiale, à Annonay, des deux communautés constituait certainement un autre facteur de conservation du groupe réformé.

Notes
720.

Voir tableaux 53 et 54.

721.

Il a été calculé avec le rapport : nombre de mariages lors de l’édit de tolérance (1787-1792)/nombre de mariages en 1675-1680 * 100, voir tableau 54.

722.

Voir tableau 55.