Problématique

« Tout est langage », écrivait F.Dolto en 1987.

Cette conviction et cette aptitude à percevoir chez l’Autre des indices d’expressivité émotionnels, que ceux-là soient exprimés volontairement ou non, constituent un enjeu capital dans l’étude de la communication non verbale, résumée par le désormais célèbre postulat de Watzlawick à l’affirmatif : « on ne peut pas ne pas communiquer ».

Les conséquences dans nos interactions quotidiennes sont que tout sujet peut être abordé comme un acteur potentiel de messages non verbaux, émis explicitement ou non, et ces indices comportementaux seront alors pris en compte par leurs interlocuteurs. Consciemment ou non, ils se forgeront à partir de cela des points de vue déterminants.

C’est ainsi qu’il y a dans toute évaluation et dans toute prise de décisions collectives, notamment médicale, des arguments subjectifs et projectifs qui échappent aux protagonistes et qui pourtant apparaissent déterminants dans la relation engagée.

Non seulement la communication verbale des personnes atteintes de DSTA se délite progressivement, mais elles perdent au cours de la maladie la maîtrise de la commande volontaire, concernant certaines aptitudes psychomotrices acquises par apprentissage.

Ekman et Friesen (1969) 2 ont parlé à ce propos de communication non verbale involontaire par fuites , témoignant d’émotions non contrôlées.

Ce mode de communication indirecte nécessite de « créditer le patient d’une pensée et son comportement d’un sens » (Vignat, 1993), ce qui ne constitue pas les représentations sociales dominantes de la démence. En effet, selon une étude de M.F Rochard (1994), seulement 43% des soignants (toutes catégories confondues) déclarent qu’il est important de reconnaître une affectivité et des désirs aux personnes démentes.

Selon Feyereisen (1993) 3 , les manifestations non verbales de la personne âgée démente (gestes, postures, mimiques) demeurent des critères fiables au fil de la maladie pour comprendre leurs ressentis. Les émotions dites positives ont tendance à diminuer au cours de la maladie, alors que les émotions négatives (et en particulier l’anxiété), se manifestent davantage (Lawton et al., 1996) 4 . Ce sont les femmes qui conservent une meilleure expressivité tout au long de la maladie.

Même si l’investissement émotionnel semble s’amenuiser avec l’avancée en âge (Palmore, 1961), les expressions émotionnelles continuent à représenter pour beaucoup d’auteurs un critère fiable du ressenti des personnes âgées (Levenson, Cartstensen, Friesen et Ekman, 1991) 5 , même lors d’un début de démence (Bartol, 1979) 6 .

Concernant les personnes âgées démentes, de nombreux auteurs préfèrent parler de fragments d’expressions faciales aux stades avancés de la maladie, mettant en évidence la perte progressive de la complexité des expressions (Norberg, Melin et Asplund, 1986 ; Norberg, Adolfsson et Waxman, 1991) 7 .

Confrontés aux déficits cognitifs liés à la pathologie démentielle, il nous faut inventer des modalités d’écoute et d’approche dépassant le tableau déficitaire afin de mieux cerner le vécu des malades.

Même si la question du contrôle volontaire de l’expressivité continue à se poser à propos du dément, il s’agit de passer d’une représentation externe, déficitaire, à une représentation de ce qui se passe du point de vue du malade, ce qui est fondamental lorsqu’on veut par exemple tenter d’évaluer sa qualité de vie.

Notre attention se porte alors nécessairement sur les ressources toujours présentes d’expressions émotionnelles, conscientes ou inconscientes, au moyen du corps. Quelle place et quel sens accorder à leurs messages non verbaux ? Peut-on dégager une cohérence dans les signaux transmis et surtout peut-on mettre en évidence leur prise en compte (consciente ou non) par les tiers ?

Au quotidien, une telle approche a pour intérêt de sortir d’une relation inégale avec les personnes démentes, qui semble relever davantage d’un rapport inconscient de domination que d’une démarche de compréhension de leur vécu interne.

Notes
2.

In : ANCELIN SCHUTZENBERGER A., (1978), Contribution à l’étude de la communication non verbale

3.

BLANCHARD F., (2000), Etude de la qualité de vie à partir des manifestations non verbales dans la démence de type Alzheimer

4.

idem

5.

idem

6.

idem

7.

idem