1-2-c- A propos du degré d’empathie dans la relation avec les personnes âgées démentes

Il est possible de constater empiriquement que les personnes âgées démentes favorisent une présence corporelle et un contact physique particulièrement rapproché ; ce besoin de chaleur humaine correspond manifestement à une demande implicite que nous comblons généralement spontanément, et souvent inconsciemment, lorsque nous sommes attentifs à leurs préoccupations d’ordre affectif et relationnel : nous ressentons le besoin de leur toucher les mains, voire de les caresser ; nous sommes parfois poussés à les embrasser, lorsqu’une relation forte s’installe… A notre insu, nous risquons alors de répondre à une demande voilée de maternage. Cela se traduit par exemple par le fait de leur donner la main au lieu de leur prendre le bras.

Les personnes âgées démentes conservent une forme de mémoire affective qui leur permet généralement de savoir quelle attitude adopter en fonction des personnes en présence. Elles sont très sensibles au climat de confiance instauré, comme à l’ambiance relationnelle.

L. Chabrier (1998) perçoit la démence comme une « pathologie de la relation », nécessitant à un stade avancée un fort étayage émotionnel.

J.P. Clément (1998), quant à lui, définit cette pathologie comme une déperdition progressive de la pensée individuelle, une disparition de ce qu’il nomme la « présence à soi ».

De fait, les échanges émotionnels se révèlent déterminants dans la communication avec ces personnes, ce qui pose la question de la part d’empathie qu’il est nécessaire d’accepter, voire d’instaurer pour ces échanges de qualité avec elles. L’empathie désigne la faculté de ressentir l’éprouvé de son interlocuteur de manière très proche. Cette capacité de synchronie peut concerner les affects, mais aussi les actions et les raisonnements.

De nombreux auteurs ont consacré des travaux à cet état :

Ainsi, et afin d’interpréter la signification des émotions d’autrui, J. Cosnier (1994) se base sur ce qu’il nomme “ le postulat empathique ” : pour lui, le caractère subjectif des ressentis contre-transférentiels constitue une donnée incontournable pour toute analyse émotionnelle et il est nécessaire d’accorder crédit à notre éprouvé devant autrui pour obtenir une communication de qualité.

Maîtriser et développer les capacités d’empathie vis-à-vis de la personne âgée démente faciliterait le décodage des messages non verbaux qu’elle nous transmet.

Ce concept s’avère pertinent pour beaucoup de situations de face à face avec un patient. Il a inspiré plusieurs techniques d’entretien et complète les notions de non directivité et de neutralité bienveillante exposées par C. Rogers.

Ce dernier définit l’empathie comme :

‘“ un processus d’entrée dans le monde perceptif d’autrui qui permet de devenir sensible à tous les mouvements des affects qui se produisent en lui ” (C. Rogers, 1975) 9 .’

Dans la pratique, l’attitude empathique correspond fréquemment à une attitude en miroir, une “ échoïsation corporelle ” (Cosnier, 1994) qui s’avère rassurante et contenante pour l’interlocuteur. La gestualité et la posture constituent ainsi des outils privilégiés pour marquer notre empathie : Cosnier parle à ce propos d’“ analyseur corporel ”.

N. Feil explique longuement dans son ouvrage “ Validation ” (1982) l’importance de l’empathie pour comprendre les manifestations comportementales des personnes âgées désorientées :

‘“ L’intervenant porte son attention sur les informations sensorielles de la personne : il capte ses rythmes, il écoute les indices verbaux, observe les indices non verbaux, il met en mots les sentiments de la personne désorientée pour lui redonner sa dignité ” (N. Feil, 1982, p.3).’

La qualité de la relation que va instaurer le soignant avec la personne âgée concernée va constituer un élément central dans la prise en charge de ces personnes : l’investissement affectif procuré à ces malades va leur permettre de conserver leur humanité et peut-être l’intérêt qu’ils portent à leur existence présente. De manière plus globale, notre attitude empathique leur permet de se sentir en sécurité et atténue leur anxiété.

Car pénétrer l’espace intime de la personne âgée démente peut fort bien être vécu comme menaçant et angoissant si nous ne prenons pas le temps de faire accepter notre présence :

par une attitude empathique (il faut du temps pour se régler par l’écoute sur le vécu émotionnel de l’autre), par une attitude apaisante régie par notre compassion et un engagement profond de ce que nous sommes en train d’accomplir.

‘“ L’écoute mobilise l’être tout entier. Ecoute-moi équivaut à dire à une personne ‘Fais que j’existe pour toi’ ” (Kaeppelin, 1993, p7).’

L’écoute empathique ouvre un espace de parole pour la personne âgée démente, qui redevient acteur à part entière de la communication : lui est par là signifiée l’importance de ce qu’elle ressent et de ce qu’elle souhaite exprimer. Egalement, cette situation privilégiée permet à la personne âgée démente de “ s’écouter elle-même ” (Bettet, 1995), renforçant sa perception identitaire. L’empathie constitue une sorte de “ caisse de résonance ” (J.L Hétu, 1982) pour l’expressivité émotionnelle de la personne âgée démente.

Par notre faculté empathique, perceptible par la personne âgée démente par le biais du non verbal (regard chaleureux, sourires, gestes contenants, voix douce…), nous instaurons un climat de confiance fondamental pour la qualité de la relation.

Quels bénéfices s’en dégagent ? Bien sûr, le narcissisme de la personne âgée démente, ainsi réinvesti, va s’en trouver renforcé. Mais l’intérêt se trouve aussi du côté de la motivation des soignants dans leur travail. N. Fossier-Varney (1999), dans un article traitant du soin relationnel apporté aux personnes âgées démentes, décrit l’amélioration de la qualité de la prise en charge et du travail procurée par une attitude empathique :

‘“ Les soignants ont repéré leurs possibilités de perception de la qualité de l’environnement, de l’ambiance, quel que soit le stade évolutif de la maladie, quels que soient les déficits. Odeurs, bruits, discussions, tons, mouvements, gestes, attitudes sont perçus avec justesse, et en retour les patients sont capables de renvoyer une expression plus adaptée, soit par des messages verbaux, soit par leurs comportements ou mimiques ”(p.629).’

La clinique quotidienne auprès de personnes âgées démentes montre une étroite corrélation entre l’attitude empathique et le degré d’intimité instauré avec ces personnes.

Une étude de Mehrabian (1969) discerne cinq critères permettant d’identifier le degré d’intimité dans une interaction :

A l’inverse, les mises à distance, les invectives ou les injonctions à l’égard des personnes âgées démentes constituent parfois des défenses contre la demande empathique et l’angoisse qu’elle induit. Aussi est-il nécessaire de mettre en travail nos représentations et nos attitudes contre-transférentielles à l’égard de ces patients afin de prendre conscience du fait que les émotions qu’elles tentent d’exprimer ne sont peut-être pas nécessairement celles qui nous sont suggérées d’emblée par notre propre état émotionnel : cela consiste par exemple à ne pas dire automatiquement qu’une personne est perturbée lorsque c’est parfois nous qu’elle perturbe…

Ainsi, nous pouvons expliquer les variations lexicales pour qualifier l’état global d’une personne âgée en fonction de notre qualification, induisant des termes techniques spécifiques, mais aussi en fonction de nos interlocuteurs, notre état d’esprit, nos représentations sociales, nos motivations…

D. Guillaume (1995) distingue à ce propos trois types de réponses :

  1. les techniques pures(ex : la personne âgée régresse)
  2. aucune référence technique (ex : la personne âgée vit dans un monde à part)
  3. le mélange des deux (ex : la personne âgée retombe en enfance)

La forme de discours adoptée, qui témoigne du degré d’empathie possible, va influencer nos comportements vis-à-vis du malade.

En plus des formations initiales et continues, nous voyons l’importance qu’il y a à instaurer des groupes de parole où s’analyse le ressenti des soignants avec une méthode rigoureuse. La pluridisciplinarité constitue certainement à ce propos une garantie contre les dérives idéologiques et contre les effets de leadership propres à un groupe de même formation initiale. Il s’agit également de rester constamment vigilants quant à nos comportements par la réflexion sur le sens donné à notre travail et les valeurs éthiques qui s’y rattachent.

Notes
9.

ABRIC J.C., (1996), Psychologie de la communication