1-3-b- L’impact des préjugés dans notre relation aux personnes âgées démentes : l’exemple de l’agressivité et de la régression

Il semble important de souligner l’impact des représentations dans les attitudes des soignants face à des situations « incompréhensibles », donc souvent par glissement jugées « incohérentes », chez les personnes démentes.

Ainsi, l’agrippement (indépendamment des aspects neurologiques) peut signifier pour certains une forme d’agression physique, et pour d’autres dans certains contextes un désir d’entrer en communication.

De même, la régression peut être perçue comme une volonté de se réfugier dans des comportements enfantins et d’installer une relation de type maternel avec les soignants. D’autres perçoivent un moyen « violent » de renoncer, de se placer « hors-jeu » » face à des situations apparemment insurmontables : lorsque par exemple la personne démente devient « un objet passif de soin », la régression va alors découler d’un cercle vicieux s’installant entre les deux parties : pour éviter les menaces, les sentiments de honte, les réprimandes, les personnes âgées démentes désinvestissent parfois leur identité, leur estime de soi, et plongent dans le mutisme, la dépersonnalisation et la régression. La régression peut donc constituer une sorte de demande implicite de leur part de s’effacer que M.F. Rochard (1994) nomme « l’envers du stade du miroir ». Pour P. Girardin (1998), elle constitue une réélaboration métabolisant toujours une souffrance et doit être prise en charge en tant que signe de déconnexion, de détachement désespéré.

Cette faculté de « décodage » des comportements dépend, entre autres, de la capacité des soignants à tenir compte du contexte de la situation. Le soignant doit créditer la personne âgée démente d’une pensée ou d’un comportement comportant un enjeu important pour elle : reconstituer la chaîne associative allant de la manifestation comportementale (cris, agressivité, régression,…) au conflit psychique.

Dans notre relation aux personnes démentes, alourdis des qualificatifs de « confus » ou d’« incohérent », nous effectuons souvent des glissements de sens dangereux ; et pourtant, même si la tonalité émotionnelle chez ces personnes se trouve amplifiée et, selon Green, « prend le pas sur la fonction référentielle », leurs troubles comportementaux parasitent le décodage mais n’altèreraient en rien la signifiance du propos.

Toutes manifestations pathologiques parasites (agitation, plainte, agressivité, régression,…) peuvent et doivent être considérées comme un mode détourné d’expressions inconscientes : expression de leur souffrance, bien évidemment, mais aussi révélateurs d’une demande de reconnaissance.

Il s’agit alors de relativiser l’importance de la plainte ou du comportement déviant dans leurs significations littérales pour prendre davantage en compte l’élément précurseur de cet acte intempestif et le facteur déclencheur de la situation. Cela nous permettrait, de plus, de repérer et d’accorder davantage de valeurs et d’enseignements à certaines situations perturbatrices, faisant obstacle aux interactions soignants / personnes âgées démentes.