2-2-b- Les émotions exprimées par les personnes âgées démentes

L’émotivité de la personne âgée démente s’avère particulièrement variable et perméable à l’environnement extérieur. Ces malades semblent percevoir très finement la résonance affective qui découle de nos comportements : le dérèglement de leur état affectif n’obstrue pas leur perception des non-dits, et plus généralement des messages implicites à nos comportements non verbaux et paraverbaux.

L’état émotionnel constitue ainsi un objet d’analyse qui ne place pas la démence sénile comme déficitaire de ce point de vue : quelle que soit la sévérité du trouble, les personnes âgées démentes ressentent et expriment des éprouvés psychiques. Seules l’incapacité à les nommer pour les transmettre peuvent mettre l’interlocuteur en difficulté. Même si leur capacité de raisonnement est altérée, l’émotion subsiste et “ quand l’émotion surgit, elle le fait brusquement. Elle n’est ni volontaire ni raisonnée ” (Cosnier, 1994).

On le voit, aborder le thème des émotions ressenties par les personnes âgées démentes constitue un sujet complexe et difficilement objectivable : que ressent réellement la personne démente ?. Tout au moins, nous pouvons donner un aperçu de la complexité à traiter un tel sujet du point de vue méthodologique, compte tenu de l’intrication des comportements verbaux et non verbaux, faisant obstacle à toute analyse spécifique. Par précaution, lorsque les mots ne viennent plus, nous devrions nous référer uniquement à ce que la personne âgée démente donne à voir , en interrogeant notre contre-transfert à son égard, pour élaborer des pistes de réflexion sur ses ressentis.

En effet, au-delà de l’échange informatif, l’interaction permet « un partage de représentations d’affects et d’actions » (Brunel et Cosnier, 1995) 31 , appelé empathie : l’émotion se trouve alors abordée indirectement par le biais d’affects que nous déposons chez notre interlocuteur.

Notre recherche repose sur le postulat que le feed-back facial permet de distinguer le type d’émotions ressenti par le sujet. Certes, certaines études effectuées auprès de sujets souffrant de problèmes neurologiques (Leventhal, 1979 32  ; Tourangeau et Ellsworth,1979 33 ) ont révélé des incohérences entre les émotions ressenties et les expressions faciales. Cependant, notre hypothèse ne semble pas avoir été mise en question en ce qui concerne les sujets atteints de Démence Sénile de Type Alzheimer (DSTA). La différenciation des expressions faciales continue à constituer un critère suffisamment fiable pour distinguer les émotions fondamentales (surprise, colère, joie…) ressenties par ces sujets.

La perspective de décrire de manière plus fine ce que nous donne à voir la personne âgée démente va aussi permettre de recréer un lien entre la personne et son environnement ; comme le souligne R. Scherer (1984) :

‘« Ces processus émotionnels servent surtout de point d’intersection entre le milieu et l’organisme, ce qui signifie qu’ils occupent les fonctions d’agents intermédiaires entre les situations et évènements perpétuellement changeants du milieu d’une part, et de l’individu d’autre part. »’

C’est pourquoi nous centrerons notre attention du point de vue d’observateurs externes à l’interaction étudiée, pour mettre en évidence ce qu’une approche visuelle les conduit à formuler spontanément concernant l’état émotionnel de patients déments.

Notes
31.

PLANTIN C. et al., (2000), Les émotions dans les interactions, p.207

32.

RIME B. et SCHERER K., (1993), Les émotions, p.54

33.

idem