2-2-c- Illustration d’une méthode : la « clé des sens »

La méthode de la « Clé des sens », élaborée par M. Perron (1996), est très simple à appréhender et à mettre en place. Par le biais d’un échange sensoriel basé sur la remémoration de traces mnésiques porteuses d’affects, cette technique permet de mobiliser l’intérêt et la participation à une relation active de la personne âgée.

M. Perron (1996) appelle cela « ouvrir des tiroirs », conduisant à des souvenirs enfouis émotionnellement intenses ; selon l’auteur, les souvenirs s’étirent quand on les sollicite.

Cette méthode aurait d’ailleurs pu s’appeler « La clef de l’émotion », le médiateur sensoriel n’étant là que pour faciliter l’émergence de l’émotion enfouie chez ces personnes âgées en situation de communication difficile.

Cette démarche stimule d’une certaine façon la mémoire de la personne âgée, et libère la parole enfouie, mais ne s’intéresse qu’aux traces mnésiques ayant laissé un souvenir durable.

La méthode est très simple. Elle consiste à proposer à la personne âgée un objet susceptible de favoriser chez elle l’émergence de souvenirs et ainsi de déclencher un échange relationnel avec cette personne :

‘« L’expression de cette émotion actuelle mais rattachée à des souvenirs a un effet libérateur et structurant » (M. Petit, cité par F. Blanchard et ali., 2001, p.205)’

Pour chaque personne âgée, il faudra réfléchir longuement, avec l’aide de sa famille et de l’équipe soignante, à l’objet le plus approprié et le plus à même de déclencher des affects chez la personne :

‘« L’expérimentateur doit chercher à privilégier cette quête du plaisir propre à chacun, dans le choix des clés à proposer et dans la manière de les proposer » (M. Perron, 1996, p.78).’

Le médiateur relationnel peut alors prendre la forme d’un râteau, d’une poupée, d’un aliment, d’un pendentif…

M. Perron (1996) relate l’expérience de personnes exposées pendant plusieurs jours dans des conditions de privations sensorielles extrêmes : vivant dans le noir absolu et en milieu totalement insonorisé et coupé du monde extérieur, d’importants troubles psychologiques vont s’installer au bout de quelques jours seulement ; les personnes expérimentées souffrent rapidement de troubles du sommeil, de dysfonctionnement du langage et du raisonnement, ainsi que de nombreuses manifestations hallucinatoires :

‘« Plus tard, aux réactions émotionnelles comme l’angoisse, l’irritation, l’impossibilité de rester en place, s’ajoutent une désorganisation des mouvements et une déficience du toucher. Le sujet a l’impression de flotter, que ses bras se décollent et que son corps rapetisse. Ces troubles apparaissent en moyenne après trois ou quatre jours, mais dans certains cas exceptionnels au bout de huit heures. L’expérience est mieux supportée par les sujets dont le psychisme est solide et l’isolement stimule même chez certains la capacité de réflexion et de créativité. En revanche, les sujets psychologiquement fragiles ne tardent pas à perdre la notion de temps et supportent surtout difficilement l’isolement, la solitude complète et la privation de repères qui leur donnent normalement prise sur le monde » (M. Perron, 1996, p.72).’

Cette expérience éclaire à quel point notre organisme, privé de repères sensoriels, se trouve très rapidement déboussolé et désorganisé. Nos sens constituent un mode de communication majeur pour appréhender le monde qui nous entoure, et représentent un vecteur relationnel incontournable.

M. Perron (1996) croise le récit de cette expérience avec un constat établi en maison de retraite : une personne âgée particulièrement dépendante et grabataire peut se trouver dramatiquement peu sollicitée sur le plan sensoriel, que ce soit concernant sa perception visuelle du monde qui l’entoure (décor de sa chambre, fenêtre, visage des soignants), sa perception auditive (voix des soignants, objets manipulés), olfactive (odeur corporelle, alimentaire, odeur des produits d’hygiène) ou tactile (linge corporel, literie, manipulation soignante).

Cette constatation contraste avec les constantes sollicitations sensorielles de notre environnement quotidien.

Nous comprenons alors l’étonnante réponse qu’une personne âgée aveugle et grabataire nous a un jour formulée, lorsque nous lui demandions ce qu’elle souhaitait que nous lui offrions pour Noël : « Un bouquet de fleurs » avait-elle répondu sans hésiter.

Ce qui pouvait paraître étonnant de la part d’une personne aveugle n’était en fait que le reflet de son isolement sensoriel ; elle recherchait à travers ce cadeau une odeur, peut-être aussi une sensation tactile, porteuses de souvenirs et éloignées des odeurs hospitalières qui constituaient son quotidien depuis plusieurs mois.

M. Perron (1996) raconte une anecdote relatant fort bien cette nécessité de perception et d’appréhension sensorielles, dont sont fréquemment dépourvues les personnes âgées dépendantes :

‘« L’hiver dernier, il a neigé. C’était un dimanche. C’est assez rare que nous ayons de la neige par ici. Le jardin était beau. Les personnes du premier étage ne pouvaient pas voir la neige en restant couchées ou assises… Alors avec une collègue, nous avons poussé quelques fauteuils devant la baie vitrée du petit salon.
Je pensais qu’ils allaient être heureux mais en fait cela ne semblait pas vraiment les intéresser…
Je suis alors descendue avec une bassine et je l’ai remplie de neige… Quand Mélanie a touché la neige, elle est devenue toute folle, elle riait en poussant des cris, puis elle a serré un peu de neige dans ses mains, je crois qu’elle voulait faire une boule…parce qu’ensuite elle a lancé des morceaux de neige sur sa voisine… Elle avait l’air vraiment heureux. Comme ses mains étaient toutes froides, j’ai voulu les réchauffer mais elle m’a dit : « Non, non, j’aime ça le froid de la neige… » (M. Perron, 1996, p.78).’