3-1- La thématique de la communication non verbale : outils théoriques

3-1-a- Choix méthodologiques et difficultés rencontrées

La communication non verbale constitue un objet d’étude particulièrement délicat quant à l’exigence d’objectivité. Cosnier relève cinq difficultés méthodologiques majeures, que sont :

  1. le recueil des données, concernant la mimo-gestualité,
  2. la description des données,
  3. le traitement des données,
  4. la corrélation intra-sujet (avec les autres canaux),
  5. la compréhension et l’interprétation des données.

Nous pouvons constater que ces problèmes d’ordre méthodologique concernent l’ensemble des étapes nécessaires à une étude scientifique. L’étude posturale et mimo-gestuelle doit être prise en compte, non pas de manière linéaire comme l’étude verbale, mais dans un espace-temps continu et tridimensionnel : aux fonctions métacommunicative, dénotative et connotative que peut revêtir la communication verbale s’ajoutent le caractère implicite et les non-dits liés au non verbal. À son insu, notre locuteur peut en effet nous transmettre des impressions concernant ses dispositions, ses intentions latentes, qui constitueront des indices de jugement déterminants dans l’interaction.

Lorsque nous interprétons les signaux non verbaux émis par un sujet, nous sommes constamment dans l’interprétation subjective. Cette part d’ambiguïté constitue une différence de taille avec la communication verbale, beaucoup plus objective : cette dernière implique davantage le sujet, responsable de ses propos. Certaines manifestations non verbales pour une part volontaire, pour une part inconsciente, permettent ainsi d’entrevoir les dispositions psychologiques profondes du locuteur.

De plus, Scherer (1974) et Weitz (1974) nous rappellent que l’étude des signes non verbaux doit comprendre l’exhaustivité des signes, dans leurs inter-relations mutuelles. C’est pourquoi leur cotation ne peut-être que probabilistique (et non pas invariable comme les signes verbaux). Cette notion constitue un obstacle supplémentaire, car elle engendre une part d’incertitude dans nos choix de cotation :

‘“ Comment un parleur décide si le hochement de tête du receveur est un signal d’attention, de compréhension ou d’approbation ? ” (Scherer, 1976) 34 .’

Nous constatons ici qu’un comportement peut revêtir plusieurs fonctions à la fois, ce qui en complexifie les possibilités d’interprétation.

Concernant la difficulté à décrire la gestualité, Badler et Smoliar (1979) pointent l’absence d’outils partagés quant à la manière de décrire le mouvement :

‘“ Tout se passe comme si chaque projet de recherche partait de zéro en établissant une série arbitraire de caractéristiques gestuelles observables ”. 35

En effet, l’absence de langages codifiés et fiables permettant de décrire les unités gestuelles place continuellement le chercheur “ dans la situation d’un analphabète qui se met à analyser le comportement verbal ” (S. Frey, 1983).

Ceci nous oblige à adopter l’une des trois stratégies suivantes :

  • Classer en catégories les patterns gestuels en fonction de la méthodologie du chercheur,
  • Décrire les mouvements les plus fréquents et aisément observables,
  • Proposer, lorsque cela est possible, une signification psychologique ou fonctionnelle aux gestes perçus dans un contexte donné.

Aussi, lors d’études d’interactions enregistrées sur vidéos, K.R. Scherer nous met en garde sur l’incapacité des expérimentés à déterminer le début et la fin d’une unité comportementale observée. De même, les représentations stéréotypées et les préjugés des personnes sondées vont influer de manière non négligeable sur leurs opinions.

W.S. Condon a de même effectué en 1976 une microanalyse linguistique et kinésique de la communication, au moyen de films sonores. Il a opéré par visionnements successifs de fragments de films, de manière répétée, afin de repérer les différents types de comportements observables. Il s’est heurté à la complexité à distinguer et analyser les unités comportementales :

‘“ Bien souvent nous avons parfaitement compris ce qu’une personne a dit et voulu dire, mais nous ne pouvons préciser comme elle l’a dit ni comment nous avons réussi à la comprendre ”. 36

La multiplicité des définitions et catégorisations existantes concernant la communication non verbale nous incite à focaliser notre recherche de données sur des aspects spécifiques à notre étude, et ne pas prétendre à une démarche exhaustive : ainsi, nous nous intéresserons plus particulièrement aux signaux visuels, et dans cette catégorie, aux signaux cinétiques : ceux-ci informent sur l’humeur, l’état de vigilance et l’état de santé du sujet, et vont induire nos comportements liés à la proxémie (position et distance entre le sujet et nous).

Ekman et Friesen (1969) soulignent à ce propos que ce sont les micro-expressions du visage, quasi-subliminales, qui forment en nous nos impressions subjectives concernant l’état émotionnel de notre interlocuteur. La mobilité gestuelle ainsi que les micro-expressions faciales nous permettent selon Ekman d’interpréter des types d’émotions spécifiques, alors que les expressions faciales statiques et les postures nous permettent uniquement d’entrevoir les affects globaux, généraux. C’est pourquoi nous avons choisi d’effectuer notre étude à partir de scènes filmées et non pas de photographies.

Notes
34.

SCHERER K.R., in COSNIER J. et BROSSARD A. et al., (1984), La communication non verbale, pp.71-100

35.

COSNIER J. et BROSSARD A. et al., (1984), La communication non verbale, p.146

36.

CONDON W.S., (1984), in COSNIER J. et BROSSARD A. et al. (1984), La communication non verbale, p.31-70