3-1-b- Classifications proposées

Notre sujet d’étude ne concerne pas l’analyse objective des signaux non verbaux, mais la prise en compte de ce qui est communiqué de manière purement subjective (en se limitant à mettre en évidence ce qui est induit de manière purement visuelle, en supprimant l’indice sonore).

Toutefois, sans prétendre à l’exhaustivité, nous devons évoquer quelques classifications existantes permettant de distinguer les multiples formes de la communication non verbale, en nous attachant à préciser ses liens avec les autres formes de communication.

En effet, la communication multi-canal inclut divers éléments fonctionnant en synergie :

  • les messages voco-acoustiques : énoncé verbal et prosodie,
  • les messages visuels : statiques (bijoux,…), cinétiques lents (postures, rides,…) et cinétiques rapides (mimiques faciales, gestes),
  • les messages olfactifs, tactiles et thermiques.

J. Piaget (1970) 37 a dissocié les indices (corporels ou verbaux, révélant un état émotionnel), les symboles (gestuels ou mimétiques, faisant appel à un code et produit volontairement) et les signes (à caractère conventionnel).

L’école de Palo Alto (1972) a quant à elle distingué le langage digital, basé sur des signaux arbitraires tels que la langue, du langage analogique, correspondant à des signaux motivés, comme par exemple certains gestes.

Ensuite, Cosnier et Brossard (1984) ont élaboré une classification détaillée, en fonction des canaux sensoriels intervenant dans la communication non verbale.

L’unité de comportement constitue l’opération élémentaire basique telle que la mimique faciale ou le relèvement des sourcils.

Cosnier (1974) 38 distingue quatre types comportementaux verbaux et non verbaux, que sont :

  • la communication quasi-linguistique qui correspond aux gestes à visée communicative,
  • les coverbaux qui accompagnent ou illustrent la parole : ils comprennent les mimiques, certains gestes et les postures,
  • les synchroniseurs (regards, hochements de tête) qui stimulent l’attention,
  • les extracommunicatifs qui correspondent aux gestes autocentrés.

Nous pouvons constater qu’il existe plusieurs catégories de communication non verbale : les formes « non langagières » comprennent plus spécifiquement les indices de contextualisation tels que la posture, les parures, ainsi que les catégories co-textuelles telles que les gestes. Certaines formes sont tout de même langagières, comme la prosodie, mais celles-ci sont davantage considérées comme appartenant à la communication paraverbale.

La communication paraverbale englobe l’ensemble des moyens de communication orale qui accompagnent et renforcent la communication verbale (intonation, accent, rythme du débit verbal,…). Certains auteurs incluent dans le paraverbal des marqueurs faciaux tels que le rire, le bâillement, le cri : ceux-ci comportent des significations culturellement déterminées.

Le terme de communication non verbale reste particulièrement vaste et imprécis, regroupant un ensemble hétéroclite de significations. Le visage apparaît cependant un élément essentiel dans nos échanges car il concentre, selon Y. Geffroy (1978), un nombre conséquent d’organes servant à la sensibilité extéroceptive. Malgré nos capacités de maîtrise, les émotions du visage échappent régulièrement à notre contrôle volontaire : le fait que nous ne percevions pas notre visage lors des situations d’interaction renforce le phénomène.

Sami Ali (1977) 39 illustre élégamment cette idée :

‘« Accessible au toucher et non au regard, le visage se définit comme étant l’invisible par quoi se révèle le visible ».’

Enfin, lors d’une interaction face à face, il arrive que le contexte non-verbal (mimo-gestualité, prosodie) devienne un “ co-texte ”, c’est à dire acteur à part entière dans la communication.

La vignette clinique ci-dessous témoigne de l’importance que peut revêtir la communication non verbale, lorsque celle-ci devient l’unique mode d’expression possible dans un échange :

Madame V. : une relation basée sur l’expression non verbale
Madame V., âgée de 76 ans, arrive dans l’établissement de Long Séjour suite à un accident vasculaire cérébral ayant provoqué une hémiplégie gauche, six mois auparavant. Après plusieurs mois d’hospitalisation dans un service de rééducation fonctionnelle, elle ne peut toujours pas se servir de sa main gauche, ni de sa jambe paralysée.
Grâce aux séances d’orthophonie et beaucoup d’obstination, elle arrive à articuler quelques mots, mais elle éprouve une extrême difficulté à s’exprimer et à se faire comprendre verbalement. Après avoir fourni d’importants efforts ces derniers temps, dans l’espoir de progrès et d’un retour à domicile, Madame V. ne se sent plus capable de persévérer et refuse toute forme de rééducation, en répétant son désir de mourir.
Lors de notre première rencontre, Madame V. est couchée dans son lit, en train de sangloter. Lorsque je me présente à elle, elle tourne vers moi son visage, avec une moue résignée qui aurait pu vouloir dire : « à quoi bon ? ». Ses yeux sont d’une immense tristesse et marquent le sentiment de lassitude qui l’envahit. Elle semble à bout, murée dans son chagrin qu’elle n’arrive même plus à verbaliser. Lorsqu’elle essaye de s’exprimer, elle ne trouve pas ses mots et renonce rapidement, dans un profond soupir.
L’échange verbal apparaissant impossible, je me suis rapprochée d’elle, lui ai pris la main et, lentement, lui ai décris les expressions faciales qu’elle exprimait de mon point de vue. Je lui ai parlé de ses moues dubitatives, de ces grimaces inspirant la douleur, de son regard implorant. J’ai essayé de mettre des mots sur ce qu’elle pouvait ressentir, en émettant des hypothèses qu’elle me confirmait parfois d’un simple regard approbateur. Cette « béquille verbale » lui a semble t-il permis de se sentir comprise, entendue dans sa souffrance.
A la fin de notre entretien, son visage marquait toujours une souffrance, mais semblait cependant plus apaisé : son regard n’avait plus cette expression de détresse initiale.

Mehrabian (1972) 40 relève quatre signes non verbaux fondamentaux permettant de percevoir le statut et la disposition de notre interlocuteur à notre égard :

  • la posture corporelle,
  • la distance interpersonnelle,
  • le contact oculaire,
  • le comportement paralinguistique.

Concernant le comportement paralinguistique, la prosodie constitue une forme de communication essentielle pour diagnostiquer l’état émotionnel de quelqu’un : en écoutant par exemple la voix de notre interlocuteur lors d’une conversation téléphonique, nous pouvons avoir un aperçu assez fiable de son état émotionnel.

Selon R. Menahem (1983) :

‘“ La voix est certainement l’un des indicateurs les plus sensibles pour traduire et trahir l’état affectif d’un locuteur ”(p.203).’

Mais les difficultés d’ordres théorique et méthodologique empêchent une confirmation expérimentale de cette donnée. Les évidences empiriques et cliniques permettent uniquement de vérifier de manière subjective et naïve une relation entre l’état psychique et la voix d’un sujet. Pour cet auteur, le stress engendre des modifications physiologiques, telles que les modifications respiratoires et la tension musculaire, qui procurent indéniablement des effets sur la prosodie.

De nombreuses descriptions cliniques ont d’ores et déjà évoqué l’association de certains troubles prosodiques à certaines pathologies (et plus particulièrement les dépressions et les schizophrénies), mais il apparaît actuellement impossible d’établir des corrélations précises à ce sujet :

‘“ La voix est au carrefour des mécanismes physiologiques et psychologiques qui règlent les comportements et sont susceptibles de traduire les interactions entre le corps et le monde. Les dysfonctionnements, quelle qu’en soit l’origine, vont s’exprimer par des modifications des différents paramètres de la voix. Ce que l’on ignore encore, ce sont les configurations qui seraient caractéristiques d’un certain type de trouble ” (R. Menahem, 1983, p.222).’

Concernant à présent les modifications comportementales spécifiques aux échanges visuels, des études de Brossard centrées sur la relation thérapeutique entre le médecin et le patient ont permis d’observer des manifestations comportementales intégralement liées aux interactions visuelles.

Ainsi, par exemple, lorsque le patient adopte par le regard une position en retrait, le médecin est enclin à fournir en retour des « processus compensatoires » (Brossard, 1992) par l’intermédiaire de stimulations visuelles plus importantes.

Ont été observées aussi des phénomènes de « contagion » par le regard : le regard du thérapeute se calque alors sur celui du patient, en adoptant un fonctionnement visuel en miroir.

Feyereisen et Lignian (1981) ont quant à eux mis en évidence dans une étude les perturbations du regard que peuvent provoquer les troubles aphasiques. Ils ont constitué trois groupes d’expérimentation : un groupe de quatre personnes témoins, un groupe de quatre personnes souffrant d’une aphasie de Broca (non fluente) et un groupe de quatre personnes atteintes d’une aphasie de Wernicke (fluente).

Les résultats apparaissent démonstratifs : les personnes-tests du premier groupe marquent un accroissement progressif des regards en direction du thérapeute, au fur et à mesure de leur énoncé verbal. Les personnes atteintes d’une aphasie de Broca développent quant à elles des mécanismes d’évitement du regard envers le thérapeute, soulignant peut-être ainsi leur difficulté d’expression verbale. Enfin, la continuité et l’insistance des regards dirigés par les personnes souffrants d’une aphasie de Wernicke constituent une manifestation de leur maladie : nous pouvons considérer que leur regard sert à maintenir la communication avec leur interlocuteur, alors même que leur discours automatisé reflète typiquement leur maladie.

Certes, nous ne pouvons effectuer de diagnostics fiables, uniquement à partir des indices comportementaux fournis par les échanges visuels. Mais comme le souligne Brossard, l’analyse des regards représente un outil d’analyse précieux :

‘« On peut cependant avancer que le comportement par le regard doit constituer, du point de vue du diagnostic en psychopathologie, un indicateur précieux de l’existence de changements de l’état psychoaffectif de patients souffrant de troubles psychiques. D’une manière plus générale, c’est un indice comportemental dont on commence à mieux connaître le rôle dans la relation médecin-patient » (Brossard, 1992, p.143).’

Le corps de l’autre nous dévoile ainsi des messages inconscients, grâce à des critères captés subjectivement à travers nos ressentis. Ces messages ne correspondent pas à un mode d’expression volontaire, mais « échappent » au sujet qui peut se trouver débordé par certaines de ses manifestations corporelles ; pour percevoir ces signaux implicites, il nous faut nous positionner dans une écoute particulièrement empathique de l’autre et accepter de rompre avec nos schémas d’interprétation habituels :

‘« (…) écouter, c’est se désapproprier de soi et de ce qui est connu ou connaissable pour laisser venir l’inconnu en sa nouveauté » (P. Bousquie, 1997, p.78).’

L’expérience clinique a permis de caractériser la gestualité des personnes dépressives : celle-ci s’avère généralement uniforme, monotone et appauvrie. Selon S. Frey, la complexité gestuelle du patient dépressif constituerait un critère fiable pour témoigner d’une amélioration de son état. Il a pu noter que la complexité gestuelle s’accroît en parallèle du débit verbal et constitue un critère fiable de l’amélioration de l’état dépressif.

Plusieurs études concernant le positionnement de la tête ont montré l’impact de celui-ci sur notre jugement : une certaine forme d’inclinaison nous fera apparaître une personne comme plutôt tendre, alors que la droiture reste synonyme de rigidité dans nos représentations collectives. Mais cet impact demeure moins influent que l’expressivité faciale (Frey,1983) 41 .

S. Frey (1980) 42 , lors d’une étude de corrélation entre les manifestations non verbales de médecins et de patients dépressifs, conclut que le diagnostic de dépression envisagé par le médecin se reflète dans la position sagittale de sa tête, inclinée et coordonnée de manière empathique à celle du patient.

Il y a là matière à hypothèses concernant ce que le patient communique implicitement au médecin et sur la possibilité de prendre acte de l’état d’un patient en observant ce qu’il induit chez les tiers.

Toute aussi importante que la prosodie et le regard, la prise en compte des messages gestuels s’avère déterminante dans le décryptage des messages non verbaux émis par les personnes âgées démentes.

Ekman et Friesen ont dissocié deux types de gestes accompagnant le message verbal lors d’une interaction :

  • les gestes illustrateurs (ex : mouvements des sourcils)
  • les gestes régulateurs (ex : mouvements de tête approbateurs)

Birdwhistell a quant à lui souligné l’impact du culturel dans la signification gestuelle : en effet, les gestes pouvant être traduits en mots (ex : le hochement de tête affirmatif) ont une signification hautement culturelle ; Ekman et Friesen les nomment “ emblèmes ”.

Seules les expressions affectives, impliquant essentiellement des mimiques faciales et les gestes adaptateurs sans volonté informative (tels que le fait de se gratter), n’entretiennent aucune relation de signification avec le langage. Nous pouvons observer que le phénomène d’anxiété tend à exacerber ces modes d’expression.

K.R. Scherer (1976) 43 distingue quatre types de fonctions sémantiques que peuvent revêtir les signes non verbaux :

1- la signification indépendante : le signe non verbal désigne directement le référent (par exemple, le signe digital ‘V’ pour exprimer la victoire).

2- l’amplification : les signes non verbaux illustrent les signes verbaux (par exemple, l’élévation des sourcils, l’utilisation de pauses verbales).

3- la contradiction : les signes non verbaux ont une signification opposée au message verbal. Ekman et Friesen (1969) 44 parlent de “ fuites non verbales ” lorsque l’émetteur dévoile son émotion ou un trait caractéristique de sa personnalité, malgré sa volonté de contrôler et cacher son ressenti. Lors d’une contradiction flagrante entre les messages verbaux et non verbaux, nous aurons davantage tendance à privilégier l’information non verbale en tant que critère fiable (Argyle, 1976 ; Watzlawick, 1972).

4- la modification : les signes non verbaux atténuent la signification du message verbal.

Concernant à présent la posture, Scheflen décrit trois niveaux d’interprétation significative que sont :

  • le point : cela représente une posture déterminée, que nous adoptons.
  • la position : cela correspond à une suite de plusieurs points ; le changement de posture doit impliquer au minimum la moitié du corps.
  • la présentation : cela comprend la totalité des positions adoptées au cours d’une interaction

Birdwhistell (1950) a constitué une micro-analyse gestuelle déclinant en kinèmes et kinémorphèmes les mouvements corporels et gestuels les plus anodins, à la manière du modèle linguistique (phonèmes…). Ce gigantesque travail n’a pas pu être exploité couramment, du fait du nombre de gestes répertoriés (plus de cent unités !). De plus, il a été reproché à cette méthode de ne pas de tenir compte des éléments parakinésiques tels que l’amplitude et l’intensité des mouvements.

Depuis, Ekman et Friesen (1976) ont décrit un modèle d’analyse des mimiques faciales qui s’est avéré davantage exploitable que la méthode de Birdwhistell. De même, Frey (1981) et Condon (1976) 45 ont composé leurs propres modèles décrivant l’activité corporelle.

Quelle que soit la méthode employée en fonction de nos préoccupations, deux contraintes s’avèrent incontournables selon Cosnier :

  • la fidélité des résultats d’un expérimentateur à l’autre,
  • l’économie du résultat final : « que l’intérêt du résultat soit en rapport avec les efforts déployés ».

Nous nous intéressons plus particulièrement aux indices émotionnels ou affectifs, qui ont une valeur expressive plus que volontairement communicative : ils sont observables à travers les mimiques, les gestes et la posture.

E. Marc et D. Picard (1989) 46 soulignent que les expressions faciales renseignent davantage sur le type d’émotion ressentie par la personne, alors que la gestualité et les postures permettent plutôt d’évaluer le degré émotionnel et l’implication du sujet.

Le visage constitue la zone corporelle la plus expressive et en particulier le regard et la bouche (Ekman et Friesen, 1972) 47 .

La tenue et les ajouts esthétiques constituent des comportements symboliques, maîtrisés par le sujet. De même, les signes corporels (embrasser, saluer quelqu’un) comportent un objectif ciblé et conventionnel.

Ainsi, les messages corporels peuvent remplir des fonctions diverses (communicatives, régulatrices, symboliques) : la fonction expressive, qui permet de déchiffrer l’état émotionnel global de la personne, ne concerne qu’une partie mineure des messages non verbaux.

Lors d’un échange entre deux interlocuteurs, il existe habituellement une forme de « synchronie interactionnelle » au niveau corporel, qui s’effectue automatiquement (W.S. Condon, 1984). Les travaux de E. Hall (1971) ont montré à ce propos à quel point nous maintenons inconsciemment la « bonne distance » avec notre interlocuteur, en fonction de notre degré d’affinité avec celui-ci et des normes sociales qui nous sont imposées.

Notes
37.

MARC E. et PICARD D., (1989), L’interaction sociale

38.

COSNIER J., (1994), Psychologie des émotions et des sentiments

39.

GEFFROY Y., (1978), La vidéo en psychothérapie : la confrontation de soi

40.

COSNIER J., BROSSARD A. et al., (1984), La communication non verbale

41.

FREY S. et al. in COSNIER J. et BROSSARD A., (1984), La communication non verbale, P.152

42.

Idem

43.

ECKMANN P., FRIESEN W.V., SCHERER K.B., (1976)

44.

ANCELIN SCHUTZENBERGER A., (1978), Contribution à l’étude de la communication non verbale

45.

CONDON W.S. in COSNIER J. et BROSSARD A., (1984), La communication non verbale

46.

MARC E. et PICARD D., (1989), L’interaction sociale, pp.162-175

47.

MARC E. et PICARD D., (1989), L’interaction sociale, p.163